Le "shadow banking", la finance de l'ombre en français, représente tous ces intermédiaires financiers qui ne font pas partie du circuit bancaire traditionnel. On peut citer les hedge funds, les fonds spéculatifs ou encore les fonds d'investissement.
Ce ne sont pas des banques à proprement parler, mais des acteurs financiers qui empruntent à court terme pour spéculer et qui sont donc très dépendants de la remontée des taux. Des activités qui ne sont pas illégales en soi, mais qui échappent à la régulation bancaire.
Des opérations hors bilan
Comme son nom l'indique, la régulation bancaire s'applique aux banques. Elle prévoit notamment qu'un établissement bancaire dispose de suffisamment de fonds propres et qu’il ait suffisamment d’avoirs pour couvrir le risque d’une faillite de ses débiteurs. C'est dans ce sens-là qu'il a été dit que Credit Suisse était suffisamment capitalisé.
Le problème peut toutefois être ailleurs, car les très grandes banques effectuent également des opérations hors bilan, qui échappent donc à cette régulation. Pour Myret Zaki, journaliste économique indépendante pour Blick et Bilan, ce système s'apparente à une véritable nébuleuse.
"On a volontairement fermé les yeux, en ne réglementant que ce qu'il y a sur les bilans des banques. On donnait ainsi à la population un gage de sérieux en 2008, après le krach désastreux de la crise financière. Mais le lobbying bancaire a fait en sorte que toute la spéculation qui était faite auparavant à l'intérieur des banques puisse se faire à l'extérieur, dans ce monde de la finance de l'ombre", explique-t-elle vendredi dans La Matinale.
"Là, n'importe quel véhicule de spéculation qui n'est pas une banque peut emprunter du crédit à court terme, faire des opérations très risquées avec des produits dérivés, avec des tonnes de leviers et avec très peu de marges et très peu de fonds propres. Ce marché-là représente aujourd'hui 157'000 milliards de dollars, soit beaucoup plus que le PIB mondial et c'est une vraie bombe à retardement", ajoute-t-elle.
Le risque de la remontée des taux
Cette bombe à retardement peut exploser à tout moment en cas de remontée des taux, y compris à la figure des très grandes banques qui sont exposées à ce risque via les activités de leur banque d’investissement.
"Elles sont non seulement exposées, mais elles sont actrices dans leurs activités hors bilan: elles font partie des principaux acteurs qui empruntent et qui spéculent", poursuit Myret Zaki.
Pour la journaliste, ce secteur du shadow banking est tout simplement "le poumon du système financier" actuel, mais il comporte des risques très importants, surtout pour les banques de petits Etats. "Ce sont ces banques qui vont être soupçonnées les premières d'être les plus vulnérables, parce qu'elles ne sont pas soutenues par des banques centrales de la taille de la Fed aux Etats-Unis ou encore de la Banque centrale européenne. Il faut des banques qui soient soutenues par des liquidités quasiment illimitées pour faire face à cet effondrement potentiel des crédits spéculatifs", détaille-t-elle.
Credit Suisse déjà affaibli
Dans le cas de Credit Suisse, la Banque nationale suisse ne disposait tout simplement pas de ces moyens. Avec la remontée des taux, les risques de ces crédits spéculatifs sont brusquement apparus au grand jour. Ils ont été identifiés en premier lieu par les hedge funds, ces fameux fonds spéculatifs, qui ont vendu le titre Credit Suisse, ce qui a accéléré la dégringolade en bourse et créé par effet boule de neige la panique chez les clients, qui ont massivement retiré leurs avoirs.
De plus, Credit Suisse était une banque déjà passablement vulnérable, après avoir été affaiblie par des scandales à répétition et un déficit de confiance de la part de ses clients. Au dernier trimestre de 2022, 100 milliards de fonds avaient ainsi déjà quitté le deuxième acteur bancaire du pays.
Quid des responsabilités?
Reste toutefois à connaître les responsabilités des uns et des autres dans ce scénario catastrophe. Contacté par la RTS, Credit Suisse affirme dans une prise de position qu'elle était couverte de manière adéquate contre la hausse des taux d'intérêts et par rapport aux dérivés de crédit qui figuraient dans son bilan.
Quant aux activités hors bilan liées à cette finance de l'ombre, la banque refuse de commenter.
Pour Oliver Depierre, spécialiste du droit bancaire et des nouvelles technologies, les responsabilités sont encore à éclaircir, mais les risques n'ont surtout pas suffisamment été pondérés. "Il y a des responsabilités qui peuvent apparaître du point de vue du contrôle interne, du point de vue de l'auditeur externe ou encore du régulateur. Il y a là effectivement des choses qui n'ont pas joué et je pense que ça va être le rôle du Parlement d'établir pourquoi on n'a pas été capable, avec un certain nombre de scandales à répétition, d'assainir le Credit Suisse plus tôt", explique-t-il.
"Mais c'est surtout la non pondération des risques par rapport au capital, aux fonds propres, qui a été problématique. La banque a le droit de prendre des risques, cela fait partie de son activité, mais elle doit les pondérer en fonction de ses fonds propres et les déclarer à l'auditeur et au régulateur", conclut-il.
Sylvie Belzer/ther