"Il s'agit d'une triste journée pour vous et pour nous aussi", a déclaré le président du conseil d'administration aux actionnaires de l'établissement né il y a plus d'un siècle et demi.
"Nous nous trouvons à un stade que nul n'avait attendu de la sorte", a ajouté Axel Lehmann. "Je peux mesurer l'amertume, la colère et le choc de tous ceux qui sont déçus et affectés par la tournure des événements".
"Nous avons manqué de temps"
Faisant part de la volonté et de l'énergie mises en oeuvre pour remettre la deuxième banque de Suisse sur la bonne voie, Axel Lehmann a regretté une "semaine fatale" de mars qui a ruiné tous ses plans. "Je suis vraiment désolé pour cela. Je m'excuse de n'avoir pu mettre un terme à la perte de confiance accumulée au cours des ans et de vous avoir déçus."
A l'image du directeur général Ulrich Körner, Axel Lehmann a relevé avoir manqué de temps, alors que la banque avait besoin d'une revue stratégique complète et d'une transformation culturelle. "Vous devez me croire: nous avons lutté de toutes nos forces" pour redresser la barre, a-t-il martelé.
Ulrich Körner, de son côté, a assuré que la fusion avec UBS était la seule option viable. Un effondrement du Credit Suisse "aurait été une catastrophe pour la Suisse et le monde".
Pas de dividende, ni de prime spéciale
Axel Lehmann a par ailleurs précisé qu'en raison de la prise de contrôle de Credit Suisse par l'Etat, le versement de dividendes était interdit. Le vote sur une prime spéciale pour le conseil d'administration et la direction a également été retiré de l'ordre du jour.
Quant à l'avenir de la banque, Axel Lehmann précise: "Jusqu'à la réalisation de la fusion, Credit Suisse est une entreprise indépendante qui doit mener ses activités comme d'habitude. Nous espérons, bien entendu, que la fusion pourra être réalisée dans les plus brefs délais. Cependant, la durée de l'application dépend en fin de compte de diverses approbations officielles. Nous ne pouvons donc pas prédire exactement combien de temps durera cette phase de transition."
Axel Lehmann et le conseil d'administration réélus
Malgré une longue liste de reproches, les actionnaires de Credit Suisse ont tout de même renouvelé leur confiance au président du conseil d'administration. Axel Lehmann a été réélu de justesse, avec 55,67% des voix.
Cinq des douze membres du conseil d'administration ne se sont pas présenté à une réélection. Les sept autres conservent leurs fonctions. Mais les scores obtenus à l'issue des votes n'ont pas dépassé les 56%, un résultat historiquement faible.
Pour le reste des votes, les actionnaires ont refusé (3,6% pour; 46% contre; 50% abstention) une demande d'enquête spéciale déposée par un actionnaire.
La stratégie climatique de Credit Suisse, présentée dans le rapport 2022 de la task force sur les divulgations financières liées au climat, a été acceptée par 53% des voix. Plusieurs défenseurs du climat avaient recommandé de la refuser, à l'image des militants du climat qui manifestaient à l'entrée du Hallenstadion mardi matin (lire encadré), la jugeant trop peu ambitieuse.
Le vote sur les rémunérations du conseil d'administration obtient de justesse (50,06% des voix) la majorité nécessaire. Celles de la direction sont en revanche refusées.
Votation impossible sur le changement des statuts
L'Assemblée générale n'a pas pu voter sur une modification des statuts visant à modifier le capital social et à introduire une marge de fluctuation du capital. En effet, de nombreux actionnaires ont refusé de voter et le quorum de présence requis, au moins 50% du capital social, n'a pas été atteint. Il n'y a donc pas eu de vote sur ce point qui figurait pourtant à l'ordre du jour, un camouflet pour Credit Suisse.
Dans le détail, un peu moins de 1,6 milliard des droits de vote étaient représentés lors de cette assemblée, soit environ 40% des plus de 4 milliards de voix au total. Environ 13 millions de voix reviennent aux 1748 actionnaires présents au Hallenstadium. Une vingtaine de participants ont attendu leur tour pour exprimer leur colère.
Défilé d'actionnaires tristes et en colère
Parmi eux, Vincent Kaufmann, le directeur de la Fondation Ethos, qui représente de nombreux grands fonds de pension ainsi que de petits actionnaires, a fustigé "l'avidité et l'incompétence des dirigeants", ainsi que "des rémunérations atteignant "des sommets inimaginables". Il a rappelé que les dommages financiers subis par les actionnaires étaient irréversibles".
Rappelant avoir toujours voté contre les rémunérations excessives, il reproche les prises de risque de la banque et demande des dédommagements. Mécontent de l'échange d'actions Credit Suisse contre les actions UBS, il a sommé le conseil d'administration de "rémunérer au maximum les actionnaires", avant d'exprimer son espoir que l'entreprise fasse la lumière sur toute cette histoire.
Une actionnaire romande de la banque a fait part d'"un sentiment très fort de tristesse face à un immense gâchis qui était évitable". Des déboires que Credit Suisse a mal gérés depuis 15 ans. "Les managers ont franchi la ligne rouge", n'apprenant rien du passé
Un autre actionnaire a dénoncé l'attitude des plus gros détenteurs de titres de la banque, ceux-ci n'ayant que rarement sanctionné les dirigeants de Credit Suisse.
Nicolas Goetschmann, qui représente l'association des actionnaires d'Actares (soucieux d'une gouvernance durable), a rappelé les nombreux scandales coûteux de Credit Suisse ces dernières années: Greensill, Archegos, Mozambique. "La reprise par UBS signifie une perte de plus de la moitié de l'action, à la charge des actionnaires. Nous comptons sur une reprise responsable par UBS, plus de stabilité et de confiance de la part du nouveau PDG Sergio Ermotti", a-t-il déclaré.
Les investisseurs obligataires floués
D'autres propositions qui devaient être à l'ordre du jour de l'assemblée générale ont été retirées, comme le plan de gestion, considéré généralement comme un indicateur de confiance dans la direction.
Le rachat en urgence de Credit Suisse s'est aussi traduit par la dévaluation à néant de 17 milliards de dollars de dette "Additional Tier 1" (AT1), provoquant l'émoi parmi les investisseurs obligataires habituellement protégés en cas de faillite ou de sauvetage d'urgence.
Un groupe d'investisseurs sur la dette AT1 de Credit Suisse a engagé le cabinet d'avocats Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan pour réclamer un dédommagement.
Feriel Mestiri avec agences
Protestation des activistes du climat
En marge de l'assemblée, des activistes pro-climat ont protesté mardi devant l'entrée du Hallenstadion. La police était sur place, mais elle n'est pas intervenue. L'action s'est déroulée sans incident. Elle a duré une trentaine de minutes.
Une vingtaine d'activistes ont brandi des banderoles, considérant que le Credit Suisse était comme le Titanic, et que l'humanité allait aussi sombrer.
Les manifestants ont notamment exigé de Credit Suisse une indemnisation pour le Mozambique. Ils estiment que la banque a enfreint de nombreuses prescriptions lors de l'octroi de crédits par des filiales britanniques de Credit Suisse à ce pays.
Quid du rôle de la Comco dans le rachat de Credit Suisse?
La fusion d'UBS et de Credit Suisse créera un mastodonte bancaire, qui pourrait se retrouver en position dominante sur le marché suisse. Jusqu'ici, la Commission de la concurrence (Comco) n'a pas eu son mot à dire.
L'une des missions de cet organisme fédéral est de contrôler les grandes fusions d'entreprises pour éviter les abus de position dominante et garantir la concurrence. Sauf pour les banques. Dans ce cas-là, c'est l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) qui est compétente. Le surveillant bancaire doit encore analyser la situation. La Comco sera ensuite consultée et pourra transmettre des recommandations à la Finma, qui prendra une décision. Ce travail ne débutera que quand UBS présentera le projet détaillé de rachat, dans un délai de cinq mois.
Par ailleurs, le suivi de la Comco continuera une fois la fusion achevée. "Si nous constatons que cette nouvelle entité a une position dominante sur certains marchés, si des dénonciations disent qu'elle se comporte de manière anticoncurrentielle vis-à-vis de consommateurs ou d'autres banques, nous pouvons réagir", explique mardi dans le 12h30 Laura Melusine Baudenbacher, la présidente de la Comco.