Des frais de tenue de compte qui prennent l’ascenseur, des cartes gratuites qui ne le sont plus, d’autres montants qui apparaissent sur les relevés de compte: si vous êtes client d’une banque suisse depuis une vingtaine d’années, vous avez sans doute remarqué une flambée des frais sur le long terme. “Nous constatons que, de manière générale, il y a une tendance à augmenter les frais ou à en facturer de nouveaux”, écrit le Surveillant des prix de la Confédération Stefan Meierhans dans un rapport publié en août 2022 (en pdf), le deuxième consacré à cette thématique en quelques années.
La principale raison invoquée par les établissements bancaires pour justifier la hausse des prélèvements est la baisse continue des marges sur intérêts. Le modèle d’affaires traditionnel des banques est en effet de prêter de l’argent à un taux plus élevé que celui qu’elles accordent aux épargnants. Ces dernières années, ce modèle a passablement été mis à mal en raison des taux extrêmement bas voire négatifs fixés par la Banque nationale suisse (BNS). Mais depuis septembre dernier, le taux directeur est de retour en territoire positif. Il vient d'être augmenté de 0,25 point pour atteindre 1,75%.
Une baisse des frais? Pas pour tout de suite
Alors, c’est parti pour une baisse des frais? Pas vraiment, selon le sondage que nous avons mené auprès d’une quinzaine d’établissements actifs en Suisse romande, dont UBS, Credit Suisse, PostFinance et l’ensemble des banques cantonales. Certaines banques mettent en avant leurs offres à bas coûts existantes, tandis que d’autres remettent en question le lien entre le taux directeur de la BNS et les frais bancaires. Enfin, plusieurs institutions insistent sur le fait qu’elles ont réintroduit des taux d’intérêt positifs sur les comptes d’épargne.
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Les banques interrogées précisent par ailleurs n’avoir aucun projet concret de baisse des frais générale ou ciblée, même si nombre d’entre elles n’excluent pas une adaptation en fonction de la concurrence et de l’état du marché. Au sortir d’une longue période de taux négatifs, elles semblent aujourd’hui quelque peu réticentes à se passer de nouveaux revenus qui ont contribué au maintien de bénéfices conséquents, pour la plupart d’entre elles.
En Suisse, des clients qui rapportent
En Suisse, le bénéfice moyen par client des banques est d'ailleurs très nettement supérieur à la norme dans les établissements à l’étranger, selon le Retail Banking Monitor de PricewaterhouseCoopers (PwC), qui date de l'été dernier. “La Suisse enregistre non seulement le meilleur bénéfice par client, mais aussi celui qui affiche la plus forte progression parmi tous les pays et régions étudiés. Alors qu’il était encore de 480 francs suisses en 2020, il a bondi à 546 francs suisses en 2021”, écrit la société d’audit et de conseil.
Alors, les clients des banques suisses sont-ils des "vaches à lait"? Pas du tout, répond l'Association suisse des banquiers (ASB). Responsable de la Politique économique de l'ASB, Martin Hess relève que la marge brute des banques n'a cessé de s'éroder depuis la crise de 2007-2008, comme le montre le Rapport sur la stabilité financière 2023 publié la semaine dernière (en pdf). "En Suisse, la compétition dans le secteur bancaire est intense. Si les clients sont prêts à payer des frais, c'est qu'ils sont satisfaits des services offerts, sinon ils changeraient d'établissement", estime-t-il. Et de rappeler que, pour des prestations de base, certaines banques proposent des offres gratuites.
Le dossier transmis au SECO
Le Surveillant des prix de la Confédération ne s'accommode toutefois pas de l’inertie au niveau des frais bancaires. Dans son rapport d’août 2022, il disait en effet s’attendre, “de manière cohérente”, à une réduction des frais “dès que la situation des taux d’intérêt se sera normalisée.” Même si, actuellement, il ne suit pas de manière active l'évolution des frais, le Surveillant des prix “garde un oeil sur le sujet et compte toujours sur une baisse des frais bancaires”, relève-t-il aujourd'hui.
Dans le viseur de Monsieur Prix, on retrouve en particulier les frais de clôture de compte et les frais de transfert de titres. “Les résultats de l’analyse laissent soupçonner que les frais de transfert de titres et, dans une moindre mesure, les frais de clôture de compte visent davantage à sanctionner ou à décourager les clients de transférer leurs avoirs vers une autre banque qu’à couvrir les coûts générés par ces opérations”, notait le Surveillant des prix en 2015 déjà.
N’ayant pas les moyens de prouver un éventuel dysfonctionnement de concurrence, il a transmis le dossier au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) en avril 2016. Celui-ci a écrit aux banques, à deux reprises pour certaines, sans grand succès. Des années plus tard, “la plupart des banques continuent de facturer des frais disproportionnés et entravent ainsi le fonctionnement optimal du marché”, constate ainsi le deuxième rapport de Monsieur Prix.
Des frais de transfert de titres qui ont peu bougé
Entre 2016 et 2022, seuls quelques établissements ont baissé leurs frais, tandis que d’autres les ont même augmentés. Au rang des bons élèves, on retrouve notamment Credit Suisse et la banque Valiant. La banque aux deux voiles (propriété d'UBS depuis peu) a fait passer les frais de transfert pour chaque position de 200 francs en 2015 à 50 francs aujourd'hui, soit une chute de 75%. Pour Valiant, la baisse est de 53% (de 150 à 70 francs).
La Banque cantonale du Valais, elle, a fait l’inverse. Alors qu’elle figurait parmi les moins chères en 2015 (75 francs par position pour les titres suisses, 120 francs pour les titres étrangers), elle a augmenté ses frais à respectivement 100 francs (+33%) et 150 francs (+25%). Interrogée sur les raisons de cette évolution à contre-courant, la BCVs a répondu de manière laconique: "La tarification de nos prestations fait l'objet d'une analyse régulière, en regard des nouvelles exigences réglementaires et de la pratique de la concurrence."
De son côté, l'Association suisse des banquiers (ASB) déclare ne pas pouvoir se prononcer sur les modèles de tarification individuels des banques, mais relève que la concurrence fonctionne également dans ce domaine. Les clauses contractuelles, y compris celles concernant les frais de transfert de titres, sont transparentes, avance Martin Hess. Les clients connaissent les conditions lorsqu'ils s'engagent dans une relation avec une banque, avance le responsable de la Politique économique de l'ASB. Pour lui, "des prix trop élevés seront sanctionnés par le public".
Monsieur Prix veut un procès, le SECO résiste
Le Surveillant des prix n'est pas du même avis. Pour lui, la question même de la légalité de ces frais se pose, en regard de la Loi fédérale sur la concurrence déloyale. Monsieur Prix appelle de ses voeux “une décision judiciaire” dans ce domaine qui “pourrait faire tomber les entraves au bon fonctionnement de la concurrence dans le secteur bancaire suisse et éviter le prélèvement de frais injustifiés”. Il encourage par conséquent le SECO à lancer “sans tarder” un procès pilote en la matière, “si toutes les conditions légales préalables sont remplies”.
Interrogé à plusieurs reprises pour savoir s’il partage le point de vue du Surveillant des prix sur le caractère “disproportionné” des frais de transfert de titres, le SECO botte en touche: “Seul un tribunal peut, sur plainte éventuelle d’une partie et en connaissance de toutes les circonstances du cas d’espèce, juger de manière contraignante sur les clauses relatives aux frais d’une banque sont déloyales ou illicites.”
Malgré l’appel de Monsieur Prix, le SECO ne compte toutefois pas lancer lui-même un procès. “Nous nous permettons de préciser que nous agissons en toute indépendance du Surveillant des prix”, précisent les services de communication de cet office fédéral. Pour l’heure, le SECO préfère miser sur le dialogue avec les banques, mettant en avant les maigres avancées obtenues ces sept dernières années. Il refuse par ailleurs de dévoiler la stratégie qu’il compte adopter en cas d’échec des discussions.
Un vent de fraîcheur sur le secteur bancaire
Finalement, l’impulsion viendra peut-être des néo-banques. Entièrement numériques, ces établissements financiers de nouvelle génération proposent des prestations bancaires simples et sont généralement meilleur marché que les banques classiques. En Suisse, on peut citer entre autres Zak (lancée par la Banque Cler), Yuh (une coentreprise de Swissquote et PostFinance), CSX (la banque en ligne de Credit Suisse), Neon ou encore Yapeal.
Bien que limitée, l’offre de ces néo-banques ne cesse d’ailleurs de s’élargir. Yuh propose depuis deux ans déjà d’acheter des actions suisses et étrangères à moindre coût et Neon est sur le point de lancer un service similaire. Ces deux sociétés ne disposent cependant pas d’un environnement d’investissement aussi étendu que leurs grandes soeurs et ne permettent pas encore le transfert de titres depuis un autre établissement.
Même s’il reconnaît que les néo-banques n’ont pas déclenché de révolution sur le marché bancaire helvétique, le Surveillant des prix salue le vent de fraîcheur apporté par ces nouveaux acteurs qui “contribuent à une relative augmentation de la concurrence dans ce secteur, notamment pour les clients qui ont besoin d’un service light”. Assez pour pousser les banques traditionnelles à baisser leurs frais? Seul l’avenir le dira.
Didier Kottelat