Les voyages en avion presque de retour à leur niveau d'avant Covid, malgré la crise climatique
Aéroports et compagnies aériennes s'attendent à une très bonne année 2023 et particulièrement à une très bonne saison d'été pour leurs affaires. La demande est si forte qu'elles peinent à y répondre. Sur le plan mondial, les ventes de billets d'avion pour la période de mai à septembre atteignent 92% des niveaux pré-Covid, selon l'IATA, l'association du transport aérien international.
Pourtant, les spécialistes prévoyaient que la pandémie change les manières de voyager pour des raisons économiques: moins de clients de classe affaire, et pour des raisons écologiques: voyager moins, moins loin et plus sobrement.
Pas de frein à l'envie de partir en vacances
Les prix des billets d'avion ont pris l'ascenseur par rapport à l'année passée. La Fédération Ssuisse du Voyage parle d'une hausse de 25%. A la fin de l'année, le trafic aérien devrait retrouver ses niveaux d'avant la crise sanitaire, estime l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).
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Interrogé dans Tout Un Monde vendredi, Paul Chiambaretto, professeur en marketing et stratégie à la Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase, dédiée à l'économie du transport aérien, précise que si la demande en voyage est si élevée ce n'est pas uniquement une question d'offre des compagnies aériennes. "Elles retrouvent des taux de remplissage très proches de ceux d'avant crise et parfois même supérieurs. Cette demande très élevée ne tient pas seulement de l'offre mise à disposition par les compagnies aériennes. La demande est au rendez-vous même lorsque les compagnies aériennes augmentent leurs prix! Par exemple, en France, les prix ont augmenté de plus de 20% sur les douze derniers mois en moyenne et même jusqu'à 50% sur certains marchés."
Les vacances sont devenues fondamentales pour bon nombre d'Européens à tel point qu'ils sont prêts à sacrifier d'autres postes de dépenses
Les envies de voyager sont plus fortes que jamais, même en cette période d'inflation, assure Didier Arino, directeur de Protourisme, un cabinet de conseil français sur le tourisme. "Les vacances sont devenues fondamentales pour bon nombre d'Européens à tel point qu'ils sont prêts à sacrifier d'autres postes de dépenses. Dans les arbitrages d'achat, on voit en France une diminution de la dépense dans l'habillement, l'investissement automobile, les aménagements pour la maison et une vigilance sur l'alimentaire. Les vacances sont vraiment l'espace dans lequel on a l'impression de s'épanouir. C'est l'occasion de se construire des souvenirs et notamment en famille."
La tendance des long-courriers
Les vols domestiques se portent un peu mieux que les long-courriers et leurs niveaux d'activité sont proches de 2019. Le secteur aérien pourra donc bientôt se targuer d'en avoir terminé avec la crise du Covid.
Pour Andrew Charlton, directeur d'Aviation Advocacy, un cabinet de Conseil basé à Nyon, la reprise des long-courriers est ralentie par le marché asiatique qui est plus lent à redémarrer après des années de restrictions liées au Covid. Mais ce n'est pas la seule raison. "La guerre en Ukraine rend plus difficile les vols long-courriers pour les compagnies car les avions doivent contourner la Russie. Ce qui augmente les coûts. Je pense aussi que beaucoup de passagers ont encore des inquiétudes liées au Covid les rendant plus frileux à l'idée de voyager. Ils sont confiants vis-à-vis de l'Europe mais sont un peu plus inquiets à propos des destinations plus lointaines comme l'Afrique, l'Amérique latine ou l'Asie."
L'envolée du secteur premium
Un autre élément marquant de cette reprise en force du voyage est l'envolée du secteur premium composé de la classe affaire et de la première classe. Les compagnies aériennes y accordent donc une attention toute particulière: Lufthansa va investir deux milliards et demi de dollars pour moderniser les classes premiums de ses long-courriers, la compagnie australienne Quantas présente aussi de nouvelles premières classes, Qatar Airways et Air France prévoient d'en faire de même dès l'hiver prochain.
En moyenne, 20 à 25% des passagers qui voyagent en classe affaire ou en première classe génèrent entre 50 et 70% des recettes d'un vol
Ces billets d'avion très coûteux sont très importants pour les compagnies note Paul Chiambaretto. "En moyenne, 20 à 25% des passagers qui voyagent en classe affaire ou en première classe génèrent entre 50 et 70% des recettes d'un vol. D'une certaine façon, ils subventionnent ceux qui voyagent en classe économique. Donc toutes les compagnies aériennes se battent pour attirer ces clients."
Il précise aussi que "le secteur qui a le mieux fonctionné pendant le Covid est le luxe paradoxalement. Toutes les grandes marques de luxe, dans la maroquinerie ou l'horlogerie, ont vécu de belles années, prouvant que le luxe est particulièrement résilient. Ce qui a généré un certain nombre de réflexions, d'où la montée en gamme de certaines compagnies aériennes. Cela devrait leur permettre de se prémunir de variations de la demande en cas de nouvelles crises."
Ces trois dernières années, les compagnies ont subi près de 200 milliards de dollars de pertes à cause du Covid, selon l'IATA. Elles ont donc besoin de se refaire, écrit le journal Bloomberg et misent sur le premium. Il revient plus vite à son niveau de 2019 que les classes économiques. Les compagnies misent aussi sur l'épargne que les plus fortunés ont réalisée pendant le Covid en ne voyageant plus car ils pourraient le réinvestir aujourd'hui.
Quid des préoccupations pour l'environnement?
Les vols courts sont souvent synonymes de low cost et ils semblent avoir eux aussi de beaux jours devant eux. Le patron de Ryanair a annoncé l'achat de 300 Boeing, preuve qu'il croit à la croissance du marché. Cela démontre que les réflexions à propos du climat et les habitudes nées pendant la crise du Covid ne sont plus d'actualité. La presque disparition des voyages était perçue comme une bénédiction pour l'environnement. Mais ce temps perdu a laissé place à une envie de voyager si forte qu'elle l'emporte sur les préoccupations environnementales, constate Paul Chiambaretto.
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Le voyage est devenu une manière de prendre sa revanche sur tous les confinements et toutes les frustrations vécues au cours des dernières années. Cela, indépendamment des enjeux environnementaux
"Les générations sont pétries de paradoxes. Par exemple en France, mais c'est le cas pour la majorité des Européens, tout le monde est très engagé pour les enjeux environnementaux. Et en même temps la crise du Covid-19 a montré que tout pouvait s'arrêter rapidement, avec notamment les blocages liés aux confinements. Donc de la frustration est née, laissant place à une forme de 'travel revenge'."
"Le voyage est devenu une manière de prendre sa revanche sur tous les confinements et toutes les frustrations vécues au cours des dernières années. Cela, indépendamment des enjeux environnementaux. Pour autant, il est important de noter que les Européens ne veulent pas voyager plus mais mieux. Ils vont par exemple moins partir en week-end dans des capitales européennes mais plutôt partir quatre ou cinq jours", ajoute-t-il.
Sujet radio: Blandine Levite
Adaptation web: Julie Marty
Pas de monde "d'après Covid"
Bien que le fait de rester plus longtemps sur place génère moins de vols pour les compagnies aériennes, cette nouvelle temporalité leur rapporte un peu plus grâce aux billets vendus plus cher, précise Paul Chiambaretto. Les statistiques montrent que les séjours sont allongés et que la clientèle business a une volonté de penser les déplacements de manière plus intelligente.
"Même si on évite de faire des allers-retours dans la journée et si l'on privilégie la visioconférence, le voyage, surtout aérien, n'est pas mort. Le Covid a montré que l'on a besoin de voyager et qu'un monde virtuel peut tenir quelques mois mais n'entraîne pas pour autant de modifications structurelles des comportements", assure le professeur en marketing et stratégie.
Si beaucoup de touristes sont prêts à trouver des hébergements écologiques, à partir moins souvent ou en train, Didier Arino explique que beaucoup s'accordent un beau voyage auquel ils ne veulent pas renoncer. "Les vacanciers se disent que peut-être tout s'arrêtera demain et la vie sera moins agréable qu'aujourd'hui. Ils ont une vraie détresse du devenir de la planète mais pensent que ce n'est pas parce qu'ils prennent l'avion individuellement que ça va changer la donne. D'autant plus qu'ils ont l'impression d'avoir été manipulés: on leur a expliqué que le nucléaire avait un mauvais impact sur la planète, or maintenant on la tarit d'éloges. Ils voient qu'en Allemagne on rouvre les centrales à charbon, etc. Ils sont donc prêts à faire des sacrifices mais pas pour leurs vacances."