Le Temps fait face à des difficultés financières et à des contestations à l'interne
Le quotidien romand, propriété de la Fondation Aventinus, se trouve en difficulté financière et managériale, a appris le Pôle enquête de la RTS. Racheté fin 2020 à l’éditeur Ringier Axel Springer Suisse SA, le journal était devenu le premier du pays à passer en main de mécènes. Il vit aujourd’hui des heures délicates.
Selon des informations recoupées par la RTS, la direction du journal projette un déficit très supérieur à ce qui avait été budgété pour 2023. Ce découvert supplémentaire serait compris entre 800'000 et 900'000 francs, en plus des deux millions de francs de pertes déjà prévues et pris en charge par la Fondation Aventinus.
Cette situation résulte notamment d’une chute de l’audience du journal papier, couplée à une stagnation du numérique, après des années de hausse héritée pour l’essentiel de l’ancienne direction. Le Temps a en effet perdu 12'000 lecteurs entre les études de 2022 et de 2023 de l’institut spécialisé REMP, ce qui correspond à une baisse de 13%. Aussi, les rentrées publicitaires sont en baisse cette année, particulièrement avec le rachat de Credit Suisse par UBS.
Mesures d’économies
Le 8 mai dernier, des mesures d’économies ont donc été présentées par la direction au personnel du journal. Une première depuis son rachat. Le plan proposait de baisser la LPP des employés à son minimum légal (à l’exception des employés de 60 ans et plus), de supprimer les frais de garde du personnel et de suspendre la cotisation aux frais de formation.
Ces mesures ont été sèchement refusées par les salariés du titre le 11 mai, selon les renseignements de la RTS. Dès lors, un processus de discussions a commencé avec la mise en place, dès la semaine prochaine, d’un groupe de travail, réunissant la Société des rédacteurs et des personnels (SRP) et la direction du journal. Le but? Tenter de trouver des solutions financières à court terme d’ici à la mi-juin. Des licenciements ne sont pas exclus.
Défiance interne
Simultanément, le journal doit faire face à une autre crise: la défiance des employés envers leur rédaction en chef et leur direction. Un sondage a été effectué auprès de 110 salariés du titre entre mars et mai. Cinquante-neuf personnes y ont répondu (54%). Il montre le manque d’adhésion du personnel à la nouvelle ligne rédactionnelle du journal.
Près de trois quarts des répondants (74,6%) affirment se sentir peu ou moyennement en phase avec la ligne éditoriale actuelle. A cela s’y ajoute 8,5% qui disent n’être "pas du tout en phase" avec elle. Seul 1,7% des répondants affirment être "complètement en phase" avec les choix rédactionnels du titre.
Ligne droitière et pas claire
Qu’est-il reproché à la ligne éditoriale actuelle? La réponse qui revient le plus (18 occurrences) est une "droitisation de la ligne" et la "mise en avant de sujets réactionnaires". Viennent ensuite une ligne éditoriale "pas assumée" ou "pas claire" (9 réponses), suivi d’un "management trop vertical qui enlève beaucoup de liberté éditoriale et créativité aux journalistes", un "manque de confiance et de dialogue" et une "absence de débat et d'échange" (8 réponses).
Au total, 26 remarques négatives figurent dans le document pour huit remarques positives. De plus, 45 des 59 répondants (76%) estiment nécessaire qu’un "débat franc autour de la ligne éditoriale ait lieu". Dans ce cadre, une rencontre entre le personnel et la rédaction en chef avait été agendée mi-mai avant d’être reportée, vu la situation économique du titre. Elle aura finalement lieu la semaine prochaine, jeudi 1er juin.
Crises corrélées
Les deux crises que traverse actuellement Le Temps sont liées, aux yeux de beaucoup d’employés. La stratégie mise en place lors du rachat n’a pas eu les résultats escomptés, estiment-ils. Ils regrettent une sorte d’inertie au sein du journal, avec peu d’innovations, et une stratégie axée sur l’actualité régionale qui ne s’est pas concrétisée au-delà de l’Arc lémanique.
Le traitement rapide de l’information, impulsé par la nouvelle rédaction en chef, n’a pas porté ses fruits, jugent plusieurs sources de la RTS. Résultat: l’audience n’est pas au rendez-vous et les rentrées d’argent manquent. Dans ce contexte de difficultés financières, la reprise en main de Heidi.news et de sa rédaction par Le Temps, révélée par Blick la semaine dernière, suscite des interrogations à l’interne.
Silence d’Aventinus
Qu’en pense le propriétaire du titre, la Fondation Aventinus? Contacté par la RTS, son président François Longchamp ne souhaite pas commenter. L’ancien conseiller d’Etat genevois rappelle le principe de base de la fondation: ne pas intervenir dans les orientations rédactionnelles ou administratives du journal. Il renvoie à la direction du quotidien romand au sens large (lire encadré).
Raphaël Leroy
Tibère Adler: "Les discussions se poursuivront et nous trouverons les solutions pour passer cette année"
Tibère Adler, administrateur-délégué du journal, était invité dans l’émission Forum vendredi. Selon lui, il n'y a pas matière à s'inquiéter pour l'avenir du titre. Au niveau économique, Le Temps, qui a été créé il y a 25 ans, est en crise depuis son lancement, lance-t-il. "Il n'a eu qu'un ou deux exercices bénéficiaires et a toujours été soutenu par ses actionnaires", indique-t-il. Le rachat par la fondation Aventinus a donc pour but d'"assurer sa présence à long terme dans le paysage médiatique romand". Le membre de la direction du journal ajoute que, sans cette intervention, la rédaction compterait une trentaine de journalistes en moins.
Tibère Adler rappelle que les médias connaissent des difficultés partout autour du monde. A ces difficultés structurelles, Le Temps doit, lui, faire encore face à la perte d'un annonceur de taille: Credit Suisse, qui représentait "plusieurs centaines de milliers de francs" de revenus publicitaires avant son rachat par UBS. "Cela crée une situation économique plus délicate", souligne-t-il. Il dément par ailleurs la stagnation du nombre d'abonnements numériques. Ceux-ci "continuent à croître", assure Tibère Adler, même si le rythme est moins soutenu qu'espéré.
Tout ceci provoque des débats et des questions au sein du quotidien. "C'est de la cuisine interne à l'entreprise. Les discussions se poursuivront et nous trouverons les solutions pour passer cette année", souligne-t-il.