L'intervention du Conseil fédéral pour sauver le système bancaire suisse suite à la débâcle de Credit Suisse n'a pas vraiment étonné Marc Perrenoud. Invité de La Matinale jeudi, cet historien spécialiste de l'histoire politico-bancaire suisse raconte que l'économie suisse a pu compter à plusieurs reprises par le passé sur de l'argent public "pour lubrifier ses rouages et continuer à financer les exportations".
"Notre histoire est jalonnée par une série de crises profondes et structurelles. Elles sont à chaque fois arrivées dans des circonstances internationales particulières et ont nécessité des interventions publiques importantes pour sauver des établissements bancaires."
Parallèle avec le sauvetage de la BPS en 1933
Avant la débâcle de Credit Suisse, il y a eu le sauvetage d'UBS en 2008, mais surtout la crise financière des années 1930. "A cette époque par exemple, le Conseil fédéral était intervenu à plusieurs reprises." Notamment en 1933, pour sauver la Banque populaire suisse (BPS) qui était l'une des huit grandes banques du pays,
A chaque fois, on dit que c'est une mesure exceptionnelle, et après on referme tout et on repasse aux affaires habituelles
Au moment du sauvetage de cette banque, comme le raconte Marc Perrenoud, le conseiller fédéral conservateur Jean-Marie Musy, qui dirigeait les finances, s'était dit hostile à une intervention de l'Etat dans l'exploitation d'une banque. Mais il avait aussi dit qu'il n'avait pas le droit de refuser une telle mesure pour sauver le pays. Le Conseil fédéral avait d'ailleurs conclu qu'un tel sauvetage par l'Etat ne devrait plus jamais se reproduire. Des aspects qui rappellent beaucoup, selon l'historien, l'actualité économique suisse de ces derniers mois.
"A chaque fois, on dit que c'est une mesure exceptionnelle, et après on referme tout et on repasse aux affaires habituelles", déplore-t-il. "Mais il y a un problème récurrent qui se pose avec le poids énorme du secteur bancaire dans l'économie." Un poids qui n'a par ailleurs jamais cessé d'augmenter tout au long du 20e siècle, jusqu'à aujourd'hui.
Travaux d'investigation importants
D'où l'importance, selon lui, des travaux d'investigation qui seront prochainement entrepris par la commission d'enquête parlementaire dans le cadre de l'affaire Credit Suisse. Et ce, pour tenter non seulement de comprendre, mais aussi d'éviter que de telles crises secouent l'ordre national et international à l'avenir.
Pour faire un travail en profondeur, il faudra se pencher sur ce qui s'est passé dans les banques et Credit Suisse durant ces derniers mois, mais aussi ces dernières décennies
Mais sur quoi la commission d'enquête parlementaire devra-t-elle s'attarder pour faire au mieux la lumière sur la gestion de la crise Credit Suisse par le Conseil fédéral, l'administration fédérale et tous les acteurs chargés de la surveillance? "Pour faire un travail en profondeur, il faudra se pencher sur ce qui s'est passé dans les banques et Credit Suisse durant ces derniers mois, mais aussi ces dernières décennies", insiste-t-il. Pour ce faire, il faudra que la commission ait accès aux archives et dossiers de l'administration fédérale, de la FINMA et de la Banque nationale, ainsi qu'aux archives des banques elles-mêmes.
"L'économie suisse, c'est comme un iceberg", image Marc Perrenoud. "Vous avez une partie émergée qui est visible et qu'on peut analyser avec les archives publiques dans l'administration fédérale et dans les autres institutions paraétatiques, et il y a toute la partie immergée qui concerne l'économie privée."
Pour faire une analyse approfondie, il faudra pouvoir, comme il l'explique, descendre sous la ligne de flottaison. Mais ça ne sera pas facile, estime-t-il, cette partie cachée étant protégée par le secret des affaires.
Recherches très réglementées
Et Marc Perrenoud sait de quoi il en retourne. Il a fait partie, dans les années 1990, de la commission Bergier. Cette commission d'experts extraparlementaire a eu pour mission de faire toute la lumière sur le sort et l'étendue de ce qu'on a appelé l'affaire des fonds en déshérence. Collaborateur scientifique au sein de la direction opérationnelle, il a vécu la difficulté de consulter les archives bancaires.
"D'une part, on a réalisé qu'elles étaient beaucoup plus importantes que ce qu'on nous avait dit, et d'autre part, on nous a interdit de photocopier les documents, du moins dans un premier temps", se souvient-il. "Ce qui était une entrave à nos recherches, surtout que nous n'avions que cinq ans pour les mener." Il leur fallait donc avoir le droit de faire des photocopies, ce qu'ils ont pu au final obtenir, mais dans des conditions très réglementées.
Mais ce qui est le plus problématique, selon lui, c'est que ses collègues et lui espéraient que cette documentation serait ensuite disponible pour d'autres chercheurs, et ce dans des conditions à régler. "Or, avant même la fin du travail de la Commission Bergier, l'économie privée a fait pression sur le Conseil fédéral pour que ces copies leur soient rendues", regrette-t-il. Pour lui, il s'agit donc là d'un véritable problème démocratique qu'il va falloir régler.
Propos recueillis par David Berger
Texte pour le web: Fabien Grenon