Les intérêts sur l’épargne remontent, mais restent loin des niveaux d’il y a 20 ans
En septembre dernier, la Banque nationale suisse (BNS) relevait son taux directeur de 0,75 point, mettant un point final à près de huit ans de taux négatifs. Depuis lors, l’institut d’émission a décidé de trois bonds supplémentaires, un demi-point en décembre, un autre demi-point en mars puis un quart de point la semaine dernière. Objectif de la banque centrale: lutter contre l’inflation et assurer la stabilité des prix en resserrant les conditions de crédit.
En conséquence, les banques rémunèrent à nouveau les comptes d’épargne. Une maigre consolation pour les épargnants, eux qui voient la valeur de leurs avoirs être grignotée par l’inflation.
Alors que les prix ont grimpé en moyenne de 2,8% en Suisse l’an dernier, les taux d’intérêt atteignent au maximum 1,10% et souvent nettement moins, selon un sondage effectué auprès d’une quinzaine de banques actives et quatre néo-banques en Suisse romande, dont UBS, Credit Suisse, PostFinance et l’ensemble des banques cantonales.
Les néo-banques mènent la danse
Le mouvement haussier a été initié par les néo-banques, ces établissements bancaires de nouvelle génération, entièrement numériques. Dès septembre 2022, Yuh - une coentreprise de PostFinance et Swissquote - décide de relever le taux de rémunération de l’épargne. Zak, la filiale en ligne de la Banque Cler, lui emboîte le pas le mois suivant. C’est en décembre que la première banque traditionnelle sort du bois, la Banque Migros, suivie par d’autres établissements au début de 2023.
"Ce sont souvent des petites et nouvelles banques qui souhaitent attirer de nouveaux clients. L'un des moyens d'attirer de nouveaux clients est d'offrir des conditions plus attrayantes, c'est-à-dire des taux d'intérêt plus élevés et/ou des frais plus bas", explique Benjamin Manz, directeur du site de comparaison en ligne Moneyland. "Les grandes banques, qui ont déjà beaucoup de clients, ont tendance à augmenter les taux d'intérêt lorsqu'elles y sont obligées, afin de ne pas perdre de clients existants", poursuit cet expert des domaines bancaires et financiers.
Spécialiste en placements et opérations bancaires chez VZ, Emeric Bruegger met quant à lui en garde les épargnants: il ne suffit pas de regarder le seul taux d'intérêt affiché en gros caractères. "Il y a des conditions qui semblent très intéressantes à première vue, mais qui, à y regarder de plus près, ne le sont pas forcément. Certaines offres, notamment celles des banques en ligne, comportent des limitations, par exemple un plafond à partir duquel le taux de rémunération baisse voire devient nul", souligne-t-il.
Les taux actuels comparables à ceux de 2006...
Depuis le 23 juin dernier, le taux directeur de la BNS est fixé à 1,75% et il pourrait même encore grimper d'ici la fin de l'année. Il faut revenir près de 17 ans en arrière, en septembre 2006, pour retrouver une situation comparable. Précisons que, avant 2019, la banque centrale ne déterminait pas un taux directeur, mais assignait une marge de fluctuation des taux d’intérêt, avec une limite inférieure et une limite supérieure. C'est la moyenne de ces deux limites qui est ici considérée.
Qu’en est-il des taux d’intérêt sur l’épargne actuels, par rapport à ceux qui avaient cours à l’époque? Sur les 15 banques traditionnelles prises en compte, plus de la moitié (8) proposent de meilleures conditions à leurs clients qu’à l’été 2006 (pour le compte d’épargne classique, hors bonus et cas spéciaux), trois autres établissements proposent le même taux et trois banques sont plus restrictives. Quant à la dernière, la BCGE, elle n’a pas été en mesure de nous livrer les chiffres en vigueur à l’époque.
Globalement, les banques sont donc tout aussi généreuses aujourd’hui qu’en 2006, voire davantage. Dans les prochaines semaines, la situation pourrait même encore s'éclaircir pour les épargnants puisque plusieurs banques nous ont indiqué qu'elles suivaient attentivement l'environnement financier ainsi que l'évolution du marché concurrentiel, faisant miroiter de nouvelles hausse des taux d'intérêt.
... mais très loin des taux d'il y a vingt ans
Cependant, si l’on remonte encore plus en arrière, la situation est nettement moins favorable aux épargnants. En avril 2002, les taux de la BNS étaient similaires au taux directeur actuel. Or, toutes les banques, sans aucune exception, offraient à l’époque un taux d’intérêt beaucoup plus avantageux. La différence va de -40% à -73%. A titre d'exemple, au printemps 2002, les clients de la BCBE bénéficiaient encore d’un taux à 2,00% contre 0,75% à compter du 1er juillet, tandis que ceux de la Banque Migros recevaient 1,50% d'intérêt contre 0,40% aujourd'hui.
Mais alors, qu'est-ce qui a changé entre 2002 et 2006? Ni les experts financiers que avons consultés ni les représentants du secteur bancaire ne peuvent fournir une explication définitive. Tous, par ailleurs, insistent sur la difficulté de comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait au début des années 2000 sur la base d'un seul indicateur. "La régulation du système bancaire et le cadre économique ne sont plus les mêmes qu'il y a 20 ans", affirme Martin Hess, le responsable de la Politique économique de l'Association suisse des banquiers (ASB).
"Entre 2002, 2006 et 2023, le contexte conjoncturel, et donc aussi celui des taux d'intérêt, est très différent", note pour sa part Emeric Bruegger de VZ. "Le taux directeur de la BNS est bien sûr un indicateur important, mais ce n'est pas le seul, renchérit Benjamin Manz de Moneyland. D'autres facteurs sont le comportement de la concurrence ou le mouvement des taux (vers le haut ou vers le bas)." Ainsi, la BNS poursuivait en 2002 une politique monétaire d'expansion en raison de la faiblesse de l'économie, consécutive à l'explosion de la bulle des valeurs technologiques. En 2006, nous étions à l'inverse dans une phase de politique monétaire restrictive, comme aujourd'hui, rappelle-t-il.
La double peine pour les clients des banques
Reste que, ces vingt dernières années, les épargnants subissent la double peine. A côté des taux d'intérêt nettement plus faibles, les clients des banques font aussi face à une explosion des frais bancaires. Au début des années 2000, la tenue des comptes était gratuit dans la plupart des banques. Aujourd'hui, c'est une exception.
Cette évolution a poussé le Surveillant des prix de la Confédération à consacrer deux rapports à cette question, en 2015 puis l’an dernier. Et malgré ses appels répétés, les banques ne semblent pas prêtes de revoir leurs pratiques.
>> A lire sur ce sujet : Les frais bancaires ne baissent toujours pas, malgré les appels des autorités
Didier Kottelat
Quid des comptes de prévoyance?
Les comptes de prévoyance profitent eux aussi de la remontée des taux d’intérêt. Parmi les quinze banques prises en compte, les avoirs des comptes de pilier 3a sont rémunérés entre 0,30% et 1,10%. En ce qui concerne les comptes de libre passage, les taux d’intérêt oscillent entre 0,25% et 0,70%.