La crise du Covid a poussé de nombreuses Suissesses et Suisses à réévaluer la place du travail dans leur vie. En 30 ans, le temps partiel a progressé d'un quart des personnes actives à plus d'un tiers aujourd'hui. Même si l'aspiration au temps partiel a démarré bien avant la pandémie de coronavirus, la période de confinement a donné un coup d'accélérateur à cette tendance.
Aujourd'hui, la flexibilité des horaires de travail s'impose comme une évidence dans l'esprit de beaucoup d'employés, surtout parmi les jeunes. Et le jour de prédilection pour ce jour de relâchement est sans conteste le vendredi. Il n'existe aucune donnée officielle à ce sujet, mais plusieurs indices illustrent ce phénomène.
Moins de monde sur les routes le matin
Le trafic autoroutier représente un bon indicateur. Selon les relevés effectués par l'Office fédéral des routes (OFROU) sur 8 postes de comptage en Suisse romande aux heures de pointes du matin (entre 5h et 9h), il existe un grand écart entre le vendredi et le reste de la semaine.
Par rapport à la moyenne hebdomadaire de fréquentation, le constat est sans appel. Si les mercredis, en vert, sont légèrement moins fréquentés, ce sont bien les vendredis, en rouge, qui empiètent déjà sur le week-end.
A Berne, le bus 10 diminue la cadence le vendredi
Les données de BernMobil, les transports publics de la capitale, montrent la même tendance. Le vendredi entre 7h et 8h30, la fréquentation baisse d'environ 15% par rapport aux mêmes heures du mardi, mercredi ou jeudi. En revanche, les personnes utilisant les transports publics en dehors des heures de pointe sont plus nombreuses le vendredi que le reste de la semaine.
"Nous interprétons ces chiffres comme signifiant que les personnes qui ne travaillent pas le vendredi se déplacent pendant la journée pour faire des courses ou des activités de loisirs", relaie Rolf Meyer, le porte-parole de BernMobil.
Les transports publics bernois ont donc décidé de modifier la cadence sur la ligne 10 dès le changement d'horaire de décembre 2023. Le vendredi matin, les bus circuleront toutes les 3 minutes, contre 2,5 actuellement.
La cantine désertée
Ce changement de perception au monde du travail bouleverse tout un pan de l'économie. A commencer par les cantines, désertées les vendredis. Le responsable du pôle Entreprise des restaurants collectifs Eldora montre l'exemple d'une cantine genevoise servant une dizaine d'entreprises, pour 300 collaborateurs, une clientèle principalement administrative. Selon lui, ce phénomène s'est accru depuis le Covid, accentué par le télétravail.
"Le vendredi, nous enregistrons une baisse de fréquentation d'environ 40% par rapport au reste de la semaine", souligne Yohann Artes.
Moins de 100 couverts le vendredi, contre une moyenne journalière de 160, le chiffre d'affaires en pâtit. "Je pense qu'on prend le chemin de la semaine de 4 jours. Néanmoins, je ne crois pas à un arrêt de l'entreprise complète le vendredi. Mais ça nous impose, nous, à réfléchir à de nouveaux modèles d'affaires pour accompagner cette tendance", précise-t-il.
Parmi les adaptations, l'entreprise décide, dans cette cantine, de ne plus produire de nouveaux plats les vendredis. En d'autres termes, des restes de la veille "qui restent totalement consommables et qui permettent en même temps, de lutter contre le gaspillage alimentaire" sont proposés.
Effet dominos
Moins de monde le vendredi, un peu plus le mardi et jeudi. Cette nouvelle manière de penser la semaine de travail dans les bureaux a un effet domino sur la restauration.
"En tant qu'employeurs, nous devons nous adapter à cette nouvelle donne, parce qu'on n'a pas besoin d'autant de personnel sur le vendredi, donc la semaine à 4 jours est gentiment aussi en train d'intégrer le monde de la restauration, ce qui est un phénomène nouveau", précise Yohann Artes.
Il reste des places en crèche
Plusieurs crèches privées contactées par la RTS l'ont confirmé: le vendredi est véritablement le jour le plus creux. Certaines ont même confié avoir mis en place les activités les plus intéressantes le vendredi, afin d'inciter les parents à préférer ce jour-là. Avec plus ou moins de succès.
La garderie Les Pitchounets, à Lausanne, affichait complet tous les jours de la semaine avant le Covid. Depuis, le nombre d'enfants inscrit les vendredis a diminué d'environ un tiers, alors que le reste de la semaine reste toujours aussi demandé. "En ce moment, dans le groupe des bébés, nous n'avons que trois bébés les vendredis, alors que nous avons la capacité pour en accueillir huit", note Myriam Asigbetse, la directrice de la garderie.
Ici aussi, il a fallu s'adapter. La directrice a décidé de réduire le personnel le vendredi, pour le réaffecter sur les autres jours de la semaine. Et les bébés ont été regroupés avec les petits de 1 à 2 ans.
"Je dirais que c'est un jour plutôt agréable, parce que justement, il y a moins d'enfants dans les groupes. On profite de faire des sorties qu'on ne ferait pas le reste de la semaine."
Comme un avant goût du week-end.
Feriel Mestiri