Cela fait des mois que le ministre des Finances français Bruno Le Maire demande aux géants de l'agroalimentaire de tout faire pour alléger le panier des consommateurs et consommatrices. Mais le résultat dans les rayons des supermarchés est pour le moment en demi-teinte.
En effet, si les prix n'augmentent plus, voire baissent légèrement sur certains produits, ils restent toutefois beaucoup plus élevés qu'il y a deux ans. "Globalement, aujourd'hui, les produits de consommation courants - essentiellement alimentaires - coûtent 21% plus cher que deux ans en arrière", explique Emily Mayer, directrice des études chez Circana, un institut spécialisé dans la consommation, lundi dans l'émission Tout un monde.
Des coûts de transformation
On observe pourtant une diminution des prix dans certains secteurs. Le pétrole, le gaz et certains produits agricoles tel que le blé ont vu leurs prix baisser, contrairement à ceux de l'alimentation. Selon Emily Mayer, "ce n'est pas automatique de voir le cours du blé baisser et ensuite de retrouver les prix à la baisse dans les magasins".
Ce décalage s'explique par le fait que malgré la baisse des prix de certaines matières premières agricoles, "quand vous achetez un produit, il n'y a pas uniquement de la matière première dedans", explique l'experte. "Il y a l'énergie, qui est malgré tout à un niveau toujours assez élevé, les coûts de transformation qui n'ont pas forcément baissé", poursuit-elle. Et tous les prix des matières premières agricoles n'ont pas baissé non plus, rappelle l'experte. "C'est le cas du sucre par exemple, qui reste toujours assez fortement en tension".
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Des consommateurs résistants
En Europe, où l'inflation, malgré son ralentissement, reste élevée, les prix ont augmenté en moyenne de 15%. Les salaires sont pourtant "très loin d'avoir autant augmenté. Donc le pouvoir d'achat des salariés a baissé de manière importante dans le secteur privé comme dans le secteur public", explique Charles Wyplosz, professeur d'économie émérite du Graduate Institute à Genève.
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La demande reste toutefois très élevée pour certains biens, malgré l'augmentation des prix. "On ne devrait pas avoir suffisamment de demande pour les concerts de Taylor Swift ou de Beyoncé ou pour voyager à travers l'Europe cet été", estime Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet wealth management. "Si on l'a, c'est que le consommateur est encore résistant", poursuit-il.
"Après la pandémie, notamment en Europe et aux États-Unis, on a soutenu les entreprises et les ménages", explique Frederik Ducrozet. Et ceux-ci bénéficient aujourd'hui "d'un certain montant d'épargne excédentaire qu'ils peuvent toujours utiliser". Selon lui, l'économie est en fait trop forte en ce moment, ce qui pourrait contribuer à prolonger cette phase d'inflation persistante.
De trop grandes marges?
Certaines voix s'élèvent aussi contre des entreprises qui profiteraient de la hausse des prix généralisée pour augmenter leurs marges. Le président de l'Autorité de la concurrence, en France, par exemple, estime que certaines entreprises ne font pas que compenser leurs coûts, mais réalisent des profits excessifs. Les sociétés françaises du CAC 40 ont en effet cumulé en 2022 un bénéfice net inédit de 152 milliards d'euros.
"Les entreprises du secteur de l'énergie, de l'agriculture et du fret maritime ont vu leurs marges exploser pendant l'année 2022", confirme Florence Pisani, responsable des études économiques dans la société d'investissements Candriam.
Mais selon elle, beaucoup d'entreprises rétablissent simplement leurs marges, qui avaient fortement baissé pendant la pandémie, notamment dans le secteur de l'hébergement ou de la restauration. "La question c'est, est-ce qu'elles les rétablissent au-delà de ce qui est justifié par les baisses qu'elles ont subies?", questionne-t-elle.
Florence Pisani pense qu'à terme, la situation devrait se normaliser. "Soit ces entreprises arrêteront de monter leurs marges et l'inflation va redescendre, soit elles continueront d'essayer de repasser les hausses de prix sur les consommateurs et à ce moment-là, la Banque centrale européenne (BCE) va être obligée de freiner un peu plus la croissance pour faire rebaisser les prix", explique-t-elle.
Augmenter les taux d'intérêt est le seul instrument à disposition des banques centrales pour faire diminuer l'inflation persistante, qui a affecté durement les classes moyennes et surtout les ménages les plus défavorisés.
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Francesca Argiroffo/edel