La dette des pays du Sud global est de plus en plus préoccupante. Déjà fortement mis à l'épreuve par les dépenses publiques liés à la crise du Covid, ces pays à bas revenus doivent maintenant faire face au durcissement des politiques monétaires occidentales.
En conséquence, 25% des économies en développement ou émergentes n'ont plus les moyens d'emprunter sur les marchés internationaux conventionnels, alertait la Banque mondiale début juin. Pire, 54 pays sont surendettés ou quasiment en situation de surendettement.
Des Etat à l'économie fragile
Pour ces Etats à l'économie fragile, l'endettement a des conséquences très concrètes. Afin d'éviter un défaut de paiement et de perdre définitivement toute crédibilité sur les marchés internationaux, ces pays consacrent une partie toujours plus grande de leur budget au remboursement de la dette.
C'est tout l'argent qui ne pourra pas être investi dans des dépenses publiques nécessaires comme des subventions pour l'achat de nourriture, le développement du système de santé ou l'adaptation au changement climatique.
Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime que les 25 pays les plus endettés consacrent en moyenne 20% de leur budget pour rembourser leurs dettes.
A titre de comparaison, c'est comme si la Confédération devait faire une croix sur l'entier du budget consacré au transport ferroviaire et routier ainsi que sur celui alloué à la recherche et à la formation simplement pour garder la tête hors de l'eau.
Des dettes renégociables
L'endettement des pays du Sud, qui fragilise l'ensemble de l'économie mondiale, n'est toutefois pas gravée dans le marbre. Les créanciers peuvent décider d'alléger les conditions de remboursement de plusieurs manières. Ils peuvent prolonger les échéances de paiement, réduire leurs taux d'intérêt ou tout simplement décider d'annuler une partie de la dette. On parle alors de restructuration de la dette.
Le PNUD calcule qu'une restructuration globale de la dette des pays en développement leur permettrait d'économiser jusqu'à 268 milliards de dollars. De quoi financer les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable et les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris.
L'unanimité des créanciers requise
Mais une dette ne peut être restructurée qu'à l'unanimité de ses créanciers. Et c'est là que le bât blesse. Si les principaux créanciers ont historiquement été les pays occidentaux comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni (qui forment ce qu'on appelle le "Club de Paris"), ils ont maintenant été rejoints par l’Inde, l’Arabie saoudite et surtout la Chine. Cette dernière est devenue le principal créancier pour la moitié des pays en développement.
Pour restructurer la dette des pays du Sud, il faudra donc négocier avec Pékin. A priori, ce n'est pas nécessairement un problème. Tout le monde est à peu près d'accord sur les effets bénéfiques d'une restructuration. Les Etats-Unis et la Chine ont en outre entamé un processus de réchauffement de leurs relations. La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a récemment fait un voyage en Chine, lors duquel elle a assuré que "le monde est suffisamment grand pour que les Etats-Unis et la Chine puissent prospérer".
Mais la Chine n'entend pas jouer avec les règles mises en place par les membres du Club de Paris. Comme le soulève le journal Le Monde, Pékin aurait comme condition préalable à toute renégociation de la dette l'abandon du statut de "créanciers privilégiés" dont jouissent les institutions financières internationales - Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI) en tête - leur permettant d'être remboursées en premier.
Une réforme que refusent de faire les membres du Club de Paris, qui estiment que cela dégraderait la note de ces institutions. Selon eux, la Banque mondiale et le FMI n'auraient dans ce cas plus la possibilité de prêter à des taux préférentiels aux Etats, ce qui est précisément leur raison d'être.
Instrument de soft power
Au-delà de ces questions techniques, la renégociation de la dette est prise dans des enjeux géopolitiques plus larges. La capacité de bloquer un processus de restructuration est devenu un instrument de soft power que ne se privent pas d'utiliser les nouveaux créanciers. On se souvient des yeux doux qu'Emmanuel Macron avait fait à l'Arabie saoudite peu avant le sommet pour un pacte financier mondial, pacte qui n'a finalement abouti qu'à de minimes avancées.
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La guerre en Ukraine a également rebattu les cartes. La Russie n'est pas un créancier majeur des pays en développement, mais elle étend son influence via des investissements directs, notamment militaires, avec le groupe Wagner. Cela au moment même où la France retire ses forces du Sahel avec la fin de l'opération Barkhane. Paris sera logiquement moins favorable à renégocier la dette de pays qui ont la tête tournée vers Moscou.
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Finalement, l'invasion de l'Ukraine a fait émerger tout un pôle de pays "non alignés" qui ne prennent pas position en faveur d'un camp et qui refusent de sanctionner la Russie, avec la Chine et l'Inde en tête. Cette dernière trouve dans cette posture une force d'influence qui lui faisait défaut jusqu'ici.
Emmanuel Macron l'a bien compris en invitant le Premier ministre indien Narendra Modi à être son hôte d'honneur le 14 juillet. Si l'Ukraine devait être au centre des discussions, la question de la dette des pays du Sud, que l'Inde finance de plus en plus, restait en toile de fond. Car le temps presse, le spectre de défaut de paiement planant toujours plus sur de nombreux pays à bas revenus.
Antoine Schaub