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Karin Keller-Sutter: "Le but n'a jamais été de sauver Credit Suisse"

Rachat de Credit Suisse: le Conseil fédéral a-t-il pris les bonnes décisions? Interview de Karin Keller-Sutter
Rachat de Credit Suisse: le Conseil fédéral a-t-il pris les bonnes décisions? Interview de Karin Keller-Sutter / Forum / 14 min. / le 14 août 2023
Moins de six mois après le rachat de Credit Suisse, UBS a annoncé vendredi qu'elle n'avait plus besoin des garanties en liquidités du gouvernement et de la BNS. Une "fin de crise" rapide qui interpelle quant à la réaction du Conseil fédéral. Mais pour Karin Keller-Sutter, il n'y avait, en mars, guère le choix pour stabiliser la situation.

Vendredi, la Banque nationale suisse (BNS) a décidé, à la demande d'UBS, de lever les accords de prêts de garantie jusqu'à 100 milliards de francs accordés dans le cadre du rachat de Credit Suisse. Le mastodonte bancaire helvétique a également résilié le contrat de garantie contre les pertes, à concurrence de neuf milliards de francs, conclu avec la Confédération.

>> Lire à ce sujet : Rachat de Credit Suisse: UBS renonce aux garanties et aux prêts de la Confédération et de la BNS

Il semble donc que le rachat de Credit Suisse soit finalement "réglé" et cette rapidité interroge les décisions du Conseil fédéral, soupçonné par certains d'avoir surréagi.

"Je crois que lorsqu'on dit cela, on sous-estime la situation dans laquelle se trouvait Credit Suisse dans ces jours de mi-mars", rétorque celle qui a dû gérer le dossier en urgence, à savoir la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter.

170 milliards sollicités

Interrogée lundi dans Forum, la ministre des Finances explique que le mercredi 15 mars, lorsque les autorités ont pris conscience que Credit Suisse n'était plus viable, "il était clair que la banque ne survivrait pas jusqu'au lundi suivant."

Au FMI, les économistes disaient qu'ils n'avaient jamais vu ça dans une banque systémique au niveau international

Karin Keller-Sutter

La ministre libérale-radicale en veut pour preuve qu'au dimanche 19 mars, l'ex-numéro deux bancaire helvétique avait sollicité presque 170 milliards de liquidités. Et deux jours plus tôt, les agences de notation étaient prêtes à déclasser Credit Suisse au rang d'une entreprise dans laquelle il ne faut pas investir.

"Il y avait une fuite de capital à une vitesse extraordinaire", poursuit la conseillère fédérale. "Au FMI, les économistes disaient qu'ils n'avaient jamais vu cela dans une banque systémique au niveau international."

Une situation pas si catastrophique?

Dans ce contexte, si une intervention des pouvoirs publics semblait bel et bien inévitable, le choix de soutenir un rachat par UBS a aussi été critiqué. Interrogé vendredi passé dans Forum, l'avocat spécialisé en droit bancaire Carlo Lombardini estimait par exemple que le Conseil fédéral avait "achevé" Credit Suisse au lieu d'avoir "le courage de nationaliser la banque" et ainsi de la sauver.

Selon lui, malgré la crise de confiance, la banque restait dans une situation "fondamentalement saine" et donc, au final, la Confédération a juste aidé UBS à faire "une très bonne affaire".

>> L'interview de Carlo Lombardini dans Forum vendredi 11 août :

Carlo Lombardini s’exprime sur la décision d’UBS de renoncer aux garanties de l’Etat
Carlo Lombardini s’exprime sur la décision d’UBS de renoncer aux garanties de l’Etat / Forum / 4 min. / le 11 août 2023

Pour Karin Keller-Sutter toutefois, il est faux de penser que Credit Suisse était dans une bonne situation financière. "Nous allons voir maintenant les résultats de l'exercice à la fin août, je crois qu'il faut quand même partir du fait que Credit Suisse n'est pas profitable et ne pourrait pas survivre sans l'aide du grand frère UBS."

Le but n'a jamais été de sauver Credit Suisse! On n'a pas sauvé une banque, on a stabilisé la situation

Karin Keller-Sutter

"Le but du Conseil fédéral, de la Finma et de la BNS, n'a jamais été de sauver Credit Suisse", clarifie la Saint-Galloise. "Le but du Conseil fédéral était de stabiliser la situation sur le marché financier et de tout faire pour qu'il n'y ait pas de crise financière et économique en Suisse et au niveau international. [...] Il y avait une énorme inquiétude que Credit Suisse soit le premier domino qui déclencherait une crise internationale. Donc on n'a pas sauvé une banque, on a stabilisé la situation!"

"La moins mauvaise des solutions"

Et si la Suisse a ainsi perdu l'une de ses grandes banques, la ministre des Finances insiste sur un point: "La responsabilité de la chute de Credit Suisse, ce n'est pas celle de la Finma, ni de la BNS, ni celle du Conseil fédéral. Ce sont les dirigeants de la banque qui, pendant des années, ont pris des mauvaises décisions" et qui ont créé ainsi "un manque de confiance extraordinaire".

Enfin, si la Confédération avait nationalisé Credit Suisse, elle aurait repris sur ses épaules les risques juridiques et financiers. Ce qui aurait, selon elle, fait peser un risque sur l'ensemble des contribuables. "C'était la moins mauvaise des solutions qu'on avait pour stabiliser la situation."

Désormais, l'heure est à la réaction politique. "Nous analysons maintenant la législation too big too fail, ces instruments qui sont en place pour diminuer les risques", expose la cheffe du Département des finances dans le 19h30.

"Mais je rappelle que ces instruments étaient appliqués au Credit Suisse et qu'il a toujours rempli toutes les conditions. Et il a quand même chuté, parce qu'il y avait une crise de confiance énorme!"

>> Son interview complète dans le 19h30:

Propos recueillis par Esther Coquoz

Texte web: Pierrik Jordan

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L'action de la Confédération a-t-elle vidé les poches des petits actionnaires?

Plusieurs milliers de petits actionnaires de Credit Suisse ont porté plainte lundi contre le rachat forcé par UBS pour une fraction seulement de sa valeur en bourse. Interrogée sur ce point, Karin Keller-Suter souligne que si la Confédération n'avait pas agi de la sorte, "tout aurait été mis à zéro".

"Le fait qu'il y ait encore eu ce prix payé par UBS, cela a permis de sauver une partie du capital. Maintenant, des procédures sont en cours, c'est l'affaire des tribunaux qui vont trancher de manière impartiale et pragmatique, comme d'habitude", glisse-t-elle.

>> Lire à ce sujet : Deux plaintes au nom de milliers d'actionnaires de Credit Suisse contre le rachat par UBS

"Dès le début, c'était clair qu'une telle transaction aurait des conséquences judiciaires", commente-t-elle aussi dans le 19h30. "Mais maintenant nous avons une banque privée, l'UBS, qui les assume, tout comme les risques financiers."

De nouveaux emplois supprimés?

Des dizaines de milliers de postes de travail vont faire les frais de cette "fusion" forcée, dont un certain nombre en Suisse. Et, libérée des garanties étatiques, UBS pourrait encore licencier davantage.

"Un contact a été établi le 20 mars dernier entre le Département de l'économie, le SECO, les partenaires sociaux et les banques", précise Karin Keller-Sutter, qui souligne toutefois que "les garanties n'avaient rien à voir avec la situation de l'emploi".

>> Lire aussi : Première vague de licenciements chez Credit Suisse, 200 postes de banquiers d'affaires biffés

Désormais, "UBS est une entreprise privée" comme les autres, assume la ministre PLR dans le 19h30. "Moi, j'ai toujours dit qu'on attend d'une entreprise privée qu'elle assume sa responsabilité pour ses collaborateurs, pour la société et pour l'économie!"