Une crise de la vanille plonge Madagascar et ses producteurs dans la tourmente
Pilier de l'économie malgache, cette épice emblématique représente un quart des exportations du pays et environ 5% de son PIB, en plus d'être l'une de ses principales source de devises étrangèrey. Et pour cause: 80% des gousses consommées dans le monde poussent dans la Sava, l'une des 23 régions de la Grande île.
Mais après avoir atteint des sommets entre 2017 et 2019, où elles se négociaient à plus de 600 dollars/kg, le cours des gousses a été divisé par 100 ces quatre dernières années, plongeant la filière dans la crise, et avec elle tout un pays.
Des stocks invendus qui s'accumulent
D'autant que la flambée des prix et des années de spéculation ont conduit à une ruée sur les collines de la Sava pour y planter à tour de bras, faisant exploser l'offre tandis que la demande, elle, a commencé à reculer sous l'effet de la pandémie et de la concurrence des arômes de synthèse. "Tout le monde s'est mis à planter, et maintenant on a du mal à vendre la vanille", témoigne la cultivatrice Chantale Tsarazara dans le 19h30.
Désormais, des dizaines de milliers de Malgaches natifs de la région récoltent avec peu d’espoir. Désormais totalement soumis aux aléas du marché après l'abrogation des réglementations fixant un prix minimal à la vente et à l'exportation (voir encadré), productrices et producteurs sont contraints de stocker le fruit de leur travail pour ne pas vendre à perte.
Or, le prix actuel sur le marché local est de cinq francs le kilo de gousses noires. Loin, très loin du seuil de rentabilité: "En dessous de [100 francs suisses] le kilo, je ne vendrai pas cette vanille noire. Je préfère la stocker", témoigne un préparateur du village d’Andegondroy. Par conséquent, chez les producteurs et les exportateurs, les gousses s'entassent.
"La vanille n’a de la valeur que si elle est exportée", souligne Benoît Leroy, directeur de l'une des plus importantes sociétés d’exportation du pays. "Elle n’est pas consommée ici, il y en a trop. Donc si l’exportation ne marche pas, elle perd automatiquement de sa valeur."
L'agroalimentaire se détourne des gousses naturelles
Actuellement, son entreprise ne tourne qu'à 25% de ses capacités. Elle a toutefois reçu récemment une grosse commande venue de Suisse qui la soulage un peu. "C'est Givaudan, donc quand même un leader dans le monde des arômes et des parfums", dit-il, précisant que 5% de sa production part dans la parfumerie fine.
La cosmétique, c'est aussi le secteur de la Valaisanne Sabine Kamber, maquilleuse professionnelle, une activité qui lui a fait découvrir les propriétés de la vanille naturelle. "Dans la cosmétique et le maquillage, on peut faire des macérations avec des huiles où on met la vanille trois semaines, et ensuite on peut badigeonner tout le corps, ça sent bon", illustre-t-elle dans le reportage du 19h30.
Désormais revendeuse de cette épice, elle est bien décidée à soutenir la filière dans la tourmente en écoulant sa vanille sur le marché suisse. "L’idée n’est pas d’acheter en dessous du prix, plutôt au-dessus quand même", dit-elle. "Ça reste un produit de luxe!"
Le secteur agroalimentaire, de son côté, préfère de plus en plus la vanilline de synthèse, moins chère que l'emblématique épice de Madagascar. Le premier producteur mondial doit donc rapidement trouver des solutions pour préserver l'avenir de son économie, mais aussi de toute une filière vieille de deux siècles.
Reportage TV: Renaud Roux et Anna Bellissens
Texte web: Pierrik Jordan
Échec des tentatives de régulation face aux pressions des acheteurs
En 2019, les cours de la vanille ont atteint des sommets. Mais plusieurs facteurs, dont la pandémie, ont rebattu les cartes. En 2020, le président malgache Andry Rajoelina a instauré plusieurs réglementations, dont un prix plancher à la vente et à l'exportation, pour éviter une chute brutale des prix. Mais ce système a montré ses limites et, face aux pressions, le dirigeant est revenu sur sa décision, annonçant le 13 avril une libéralisation du marché, entérinée par décret le 5 mai.
"Je ne voulais pas faire comme mes prédécesseurs [...] mais les Américains sont les plus grands acheteurs, et ils trouvaient que les marges des Malgaches étaient trop importantes. Cette année, ils n'ont rien acheté, pour forcer les prix à baisser. Ça a été un bras de fer, mais ils ont gagné. J'ai dû me plier à la pression", a-t-il concédé début juin.
En effet, ces prix planchers - 250 dollars/kg à l'exportation de la vanille noire, et 17 dollars/kg pour l'achat de vanille verte aux paysans planteurs - ont eu l'effet inverse qu'escompté: ils ont fait chuter les ventes, les acheteurs ayant vertement dénoncé un prix "arbitraire" qui ne correspondait pas aux réalités du marché. En outre, le système censé protéger les petits producteurs sur place était souvent contourné, victime notamment de la corruption.
>> Pour aller plus loin, voir aussi cet article de TV5Monde Afrique
Mais désormais soumis aux aléas de l'offre et la demande, les cours ont continué de chuter, les autorités malgaches n'étant pas parvenues à éviter une grande braderie de leur vanille.
Ce n'est pas la première fois que les cours de la vanille jouent aux montagnes russes. En 2003, une augmentation similaire avait été suivie d'une chute dramatique des prix, pour atteindre 30 dollars le kilo en 2005.