La crise du Covid fut terrible, mais elle a eu ses bons côtés pour les commerces situés de notre côté de la frontière. Mais cette période semble bien terminée, à en croire le nombre de plaques genevoises qui se succèdent sur le parking de l'Intermarché situé à 5 minutes de la douane de Fossard, à Thonex (GE).
Malgré l'inflation qui a fait grimper les prix en France plus fortement qu'en Suisse, les Genevois y trouvent toujours leur compte, par habitude pour certains produits, pour économiser quelques francs, ou par nécessité, explique dans le 19h30 de la RTS une étudiante rencontrée à la sortie de ses achats.
"Je n'ai pas de revenu fixe, donc c'est impossible de faire ses achats en Suisse. J'aimerais bien le faire, mais à l'heure actuelle, je n'y arrive pas. Surtout que j'achète tout bio. Et le bio est encore trop cher en Suisse. Donc je viens en France", témoigne-t-elle.
8,5 milliards de francs par an
Et ces clients ne sont pas les seuls. Selon la Fédération suisse du commerce de détail (Swiss Retail Federation), qui a analysé les transactions par cartes bancaires, les paiements de l'autre côté de la frontière ont grimpé de 10,2% en 2023 par rapport à la même période de l'an dernier.
Chaque année, ce sont 8,5 milliards de francs suisses qui vont à l'étranger
"C'est une grosse augmentation. Chaque année, ce sont 8,5 milliards de francs suisses qui vont à l'étranger", relève Christa Markwalder, présidente de l'association qui réunit des enseignes comme Manor, C&A, Lidl, Aldi ou Ikea.
"Injustice" pour le commerce de détail
La reprise des achats transfrontaliers est particulièrement soutenue dans les cantons de Genève, du Jura et de Neuchâtel, ainsi qu'à Bâle (Ville et Campagne), à Saint-Gall et au Tessin.
Pour Christa Markwalder, ces milliards de francs qui s'échappent de nos frontières mettent en lumière une situation d'injustice perçue par le commerce de détail en Suisse: "Ce qui est injuste, c'est la valeur-franchise à 300 francs. C'est-à-dire qu'on ne paie pas la TVA à l'étranger, parce qu'on peut la faire rembourser. Et on ne la paie pas non plus en Suisse pour des achats jusqu'à 300 francs. Cela signifie que l'Etat subventionne le tourisme d'achat."
Taxer les petits achats à la frontière
Mais la situation pourrait peut-être changer. Une proposition sur la table à Berne veut obliger les clients à payer la TVA dès 50 francs d'achat seulement. Une solution "pragmatique" pour Christa Markwalder, car la franchise-valeur à 300 francs serait, selon elle, un moteur de ce tourisme d'achat.
"Si l'on baisse cette franchise-valeur, nous aurons une situation de concurrence qui est acceptable avec l'étranger. De plus, une étude de l'Université de Saint-Gall [soutenue financièrement par Swiss Retail Federation et Aldi Suisse, ndlr] a aussi montré qu'avec une baisse de la franchise-valeur à 50 francs, les achats dans les pays frontaliers diminueraient de près de 33%", relève encore Christa Markwalder.
Les petits revenus pénalisés
La Fédération romande des consommateurs (FRC), insistant sur le fait qu'elle défend une consommation locale, s'oppose fermement à cette proposition: "Il est injuste de pénaliser les ménages à petits budgets qui doivent fuir l'îlot de cherté suisse pour joindre les deux bouts. Prendre des mesures qui lutteraient contre les consommateurs pour favoriser les entreprises ne nous semble donc pas la bonne solution", a réagi Jean Busché, responsable économie de la FRC.
Il est injuste de pénaliser les ménages à petits budgets qui doivent fuir l’îlot de cherté suisse pour joindre les deux bouts
Pour la FRC, si l'on veut lutter contre le tourisme d'achat, il faudrait s'en prendre "à l'îlot de cherté suisse", citant l'exemple de médicaments vendus jusqu'à 450% moins chers en France.
Appliquer la loi plutôt que sévir
A Genève, particulièrement touchée par le tourisme d'achat, l'abaissement de la franchise-valeur ne convainc pas non plus le secrétaire patronal de la Node ("Nouvelle organisation des entrepreneurs, depuis 1922"). "Pour contrer le tourisme d'achat en général, tout est bon à prendre. Néanmoins, des lois existent déjà et nous préférons qu'elles soient appliquées correctement et contrôlées correctement, plutôt que d'être plus sévères", souligne Yves Menoud.
Selon lui, le problème réside surtout dans le passage de marchandises destinées à des professionnels, donc qui dépassent déjà les 300 francs: "Il n'y a personne aux douanes, les gens confondent entre la liberté de passage des personnes et la liberté de passage des marchandises. Nous aimerions que des contrôles soient plus réguliers pour être sûrs d'avoir une équité de traitement."
Feriel Mestiri