La crise a contribué à accentuer les profondes failles d’un système bâti sur l’endettement des collectivités publiques. Désormais exposées au grand jour, les faiblesses de la deuxième puissance économique mondiale inquiètent.
"Si votre entreprise n’a pas encore disparu, c’est déjà un succès!" Il s'agit de la plaisanterie en vogue en ce moment entre les entrepreneurs de la région, explique Zhou Ru, jeune entrepreneure chinoise d’une trentaine d’années. L'an dernier, elle a repris la gestion de l’entreprise familiale.Située à Dongguan, aux portes de Hong-Kong, la société produit et imprime boîtes et emballages de produits électroniques pour le compte de marques internationales.
"Les affaires sont devenues difficiles. Nous fournissons principalement des clients qui écoulent leurs produits à l’étranger. Leurs ventes sont mauvaises. Notre carnet de commandes est de moins en moins rempli. La baisse de la demande internationale se répercute donc sur nous", déplore-t-elle au micro de La Matinale.
Effondrement des exportations
Levier historique de la croissance chinoise, les exportations se sont effondrées ces derniers mois. En juillet dernier, le secteur a connu une contraction de 14,5%, soit plus que la baisse de 12,4% le mois précédent.
Le ralentissement économique aux Etats-Unis et en Europe, couplé au phénomène d’inflation, contribue à affaiblir la demande internationale en produits chinois.
Si la pandémie a mis en lumière la dépendance de nombreux pays occidentaux à la Chine, elle-même dépend encore largement des exportations pour alimenter sa croissance. Sans ce moteur crucial, l’économie nationale est difficile à stabiliser, d’autant plus que la consommation domestique peine à décoller.
Grande prudence des Chinois en matière de dépenses
Avec 1,4 milliard de consommateurs potentiels, la Chine s’affiche comme le plus grand marché de la planète. Une couverture sociale défaillante, des frais de scolarité élevés, des impératifs sociaux – comme le fait par exemple de devoir posséder une voiture et un appartement avant de prétendre au mariage – engendrent cependant une grande prudence en matière de dépenses.
Les ménages économisent beaucoup. Ils seraient à peine plus de 20% à consommer de la même manière que les ménages occidentaux. En cause: une mauvaise distribution des fruits de la croissance dans un pays qui reste encore fortement inégalitaire.
Dans ce contexte, la réponse dogmatique des autorités chinoises tout au long de la crise du Covid a accentué le phénomène de thésaurisation. La levée du régime sanitaire basé sur les confinements, les internements forcés de malades et de cas contacts et les tests à répétition devait, du moins en théorie, donner lieu à une reprise de la consommation.
Beaucoup espéraient voir les Chinois vider une partie de leur bas-de-laine. En vain. La demande reste faible. Les prix chutent. Au début du mois, de nombreux observateurs mettaient en garde contre une tendance déflationniste.
Entreprises ciblant le marché domestique à la peine
La situation fait souffrir de nombreuses entreprises ciblant le marché domestique. Au cœur de Canton, la mégapole manufacturière du sud de la Chine, les triporteurs surchargés se frayent un chemin entre les allées bondées du marché de Zhongda, le plus grand marché de textile du pays.
Pendant trois ans, la population a dû se rabattre sur ses économies. Malgré le relâchement et la fin des mesures sanitaires, les gens sont encore choqués. L’incertitude nous pousse à la prudence.
Assise à l’arrière de son échoppe, Mme Xu met en garde contre les apparence trompeuses. Les principaux clients – des fabricants de vêtements destinés au marché chinois – ne sont plus au rendez-vous. "Avant le Covid, le stand voisin réalisait un chiffre d’affaires de plus de 100'000 francs. Son propriétaire espère atteindre 20'000 francs cette année", déplore-t-elle.
Discrète sur sa propre performance, Mme Xu ne cache pas son inquiétude concernant la faible demande: "Pendant trois ans, la population a dû se rabattre sur ses économies. Malgré le relâchement et la fin des mesures sanitaires, les gens sont encore choqués. L’incertitude nous pousse à la prudence."
Crise de l'immobilier
Une crise de confiance alimentée par une autre crise: celle du secteur de l’immobilier. Faute de consommation domestique, l’économie chinoise s’est nourrie du secteur de la construction. La vente de terrain aux promoteurs a longtemps constitué l’une des principales sources de financement des autorités locales qui ont alimenté une spéculation devenue problématique au fil des ans. Les immeubles d’habitation ont poussé, partout.
Considérés comme un placement sûr, des millions de Chinois ont engouffré leurs économies dans la pierre, convaincus que les prix ne feraient qu’augmenter. Encouragés par les autorités locales, de nombreux acteurs – des ménages aux banques en passant par les entreprises – se sont retrouvés surexposés au secteur.
"Les appartements sont faits pour habiter, pas pour spéculer." C’est par cette célèbre injonction que Xi Jinping a signalé en 2020 sa volonté de dégonfler la bulle avant qu’elle n’éclate. Le gouvernement a alors mis en place plusieurs mesures pour lutter contre le surendettement du secteur, dont des coupes brutales d’accès au crédit pour les promoteurs les plus exposés.
Evergrande, le numéro un de la construction en Chine, a été le premier géant à tomber, dévoilant une dette abyssale estimée à près de 300 milliards de francs. Plus d’une cinquantaine de groupes ont trébuché dans son sillage.
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Dernière victime en date: Country Garden, deuxième promoteur du pays, a récemment manqué une échéance de paiement, laissant augurer des difficultés à venir.
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Intervention du gouvernement central attendue
Face à l’accumulation des problèmes, les regards se tournent avec insistance vers Pékin. De nombreux investisseurs et experts espèrent une franche intervention du gouvernement central pour stimuler la croissance. Si le pouvoir a agi timidement au niveau des taux d’intérêts, il s’est jusqu’à présent abstenu de toute action d’importance.
Le Parti communiste est désormais trop endetté pour relancer son économie comme il l’avait fait en 2008, lors de la crise financière mondiale. Le paquet fiscal déployé à l’époque, visant à financer des projets d’infrastructures d’envergure, pèse toujours sur la dette des collectivités locales. Un endettement qui a d’ailleurs explosé à la faveur des confinements et des mesures de contrôles intensifs exigés par le pouvoir lors de la pandémie de Covid entre 2020 et 2022.
Population vieillissante
Le vieillissement de la population, sur fond de déclin démographique, pose en outre un autre défi à long terme. Baisse de la main-d’œuvre, augmentation des dépenses de santé et des dépenses sociales sont autant de poids qui guettent la croissance chinoise. Ces phénomènes devraient entraîner à l’avenir un déficit budgétaire important.
Loin d’être le fait de la pandémie, les difficultés économiques qui émergent actuellement n’ont rien de nouveau. La Chine paie le prix de son modèle de développement.
La crise du Covid a cependant contribué à mettre en évidence l’étendue des problèmes structurels, ébranlant aujourd’hui la foi des investisseurs dans la capacité du gouvernement chinois à neutraliser les effets néfastes du ralentissement économique.
La croyance dans le "miracle chinois" et ses promesses a longtemps engendré un regain de confiance dans la classe dirigeante chinoise, souvent louée pour sa vision à long terme. Cette confiance est en train de s’estomper.
Michael Peuker