"Chez Yan", une boulangerie située à Blonay (VD), le prix du pain a sensiblement augmenté depuis quelques mois. Et ce n'est pas près de s'arrêter: "On a été obligé d'augmenter le prix de nos produits. Malheureusement, on devra sûrement réaugmenter, vu la hausse des matières premières, d'électricité et des autres charges", explique Yan Brandenberger.
Pour faire du pain, la recette est simple: de la farine, du sel, de l'eau et du levain, ou de la levure. Or, selon le boulanger, la farine a augmenté d'environ 11,5% depuis 2021. "Nos fournisseurs nous l'expliquent notamment par les charges énergétiques, qu'ils reportent sur la marchandise."
Dans le commerce, la hausse est plus forte encore. En un an, le prix du kilo de farine suisse a augmenté de 1,75 franc à 2,10 francs, soit une hausse de 20%, selon l'observatoire RTS.
Lourdes charges pour les producteurs
La farine plus chère n'apporte pourtant pas davantage de revenus aux producteurs de blé. Au contraire, leurs charges augmentent également, alors que les prix de vente, eux, ont quasiment stagné. "Le blé bio, on me l'a payé 102 francs pendant presque 10 ans. En 2021, j'ai reçu une augmentation de 5 francs. Donc aujourd'hui on me donne 107 francs. Cela représente une augmentation de 5% en dix ans, alors que les semences et tout le reste ont augmenté entre 30 et 40%", déplore Pierre-Alain Schweizer, agriculteur à Aigle (VD).
Les semences, justement. Rien qu'en une année, elles ont augmenté de près de 10%: "En 2021, les semences de blé revenaient à 178 francs. En 2022, ces mêmes semences m'ont coûté 195 francs", montre Pierre-Alain Schweizer, le doigt sur ses factures.
Sur les marchés internationaux, le cours des céréales ne fait qu'augmenter. Une hausse des prix que l'agriculteur vaudois regarde avec incompréhension: "Fenaco [le plus gros acteur en Suisse, qui lui rachète son blé, ndlr] me dit que ce n’est pas eux qui fixent les prix en Suisse, mais une table ronde, qui se réunit chaque année. Ce sont les autres qui décident pour nous. Les agriculteurs, on ne décide de rien", soupire-t-il.
Un manque de transparence dans les décisions que l'agriculteur peine à comprendre. Comme il y a deux ans, lorsque le prix de la farine a augmenté. "A cette période, on nous a plutôt baissé le prix du blé, car il était de mauvaise qualité. Pourquoi le prix de la farine augmente, alors qu'on livre un blé moins cher? Nous n'avons pas vraiment de réponse à tout ça."
Un puissant qui fait la pluie et le beau temps
Comment expliquer que les charges des agriculteurs augmentent sans possibilité de répercuter la hausse sur le prix de vente? D'autant qu'en Suisse, c'est souvent le même groupe, Fenaco, qui vend les semences et achète la récolte. Pour les producteurs, il fait donc la pluie et le beau temps.
Steve Corminboeuf, directeur de la coopérative agricole Vaud Céréales SA - qui appartient à Landi, elle-même détenue par Fenaco -, précise que, pour éviter les fluctuations trop importantes des prix du blé, l'interprofession Swiss Granum, composée de paysans, collecteurs, meuniers et boulangers, se réunit chaque année en juin, avant les récoltes, pour fixer le prix des céréales.
"Nous achetons la récolte aux agriculteurs à un prix fixé par Swiss Granum. Nous allons déduire un certain montant, qui va nous permettre de financer nos activités: la collecte, le nettoyage, le séchage et le stockage. Et puis nous allons revendre cette marchandise aux meuniers. Et entre ces deux étapes, nous pouvons effectivement prendre une petite marge pour financer le fonctionnement du centre collecteur", précise Steve Corminboeuf.
Un prix fixé en fonction des aides
Comment expliquer que l'agriculteur soit le seul acteur de la chaîne à ne pas pouvoir répercuter la hausse des coûts? "Le revenu de l’agriculteur ne dépend pas seulement de la vente de ses produits. En Suisse, il dépend aussi en grande partie des paiements directs et de toutes ces prestations qui sont fournies par les agriculteurs pour l’Etat. Ces prestations rentrent aussi dans les revenus des agriculteurs. C’est pour cela qu'on ne peut pas répercuter 1 pour 1 l'augmentation des coûts de production".
Selon Steve Corminboeuf, un facteur externe serait donc pris en compte lors de ces tables rondes annuelles pour fixer le prix du blé: le politique. "Si les politiques octroient plus d’argent aux agriculteurs en paiements directs, il est clair qu'à l'inverse, le prix de la marchandise pourrait être abaissée".
De son côté, Pierre-Alain Schweizer, qui aimerait retrouver la vraie valeur du produit, ne rêve que d'une chose: moudre tout son blé lui-même, et le vendre en direct, en fixant librement son prix.
Matthieu Hoffstetter, Feriel Mestiri