"Maintenant qu'ils ne veulent plus les vendre, c'est presque une petite fierté d'en avoir un comme ça", lance au 19h30 Michel Beroud, fromager à Rougemont (VD). Son fort militaire, l'A1652 à La Tine, est situé sous la terre du Pays d'Enhaut, dans la commune de Rossinière (VD).
Construit durant la Deuxième Guerre mondiale, ce bunker a été cédé par Armasuisse au début des années 2000. Son détenteur actuel en est ravi. Pour affiner ses fromages, cette cave est idéale: "La température est à environ 10°C toute l'année, avec une hygrométrie de 85-90. C'est intéressant, car c'est un climat 100% naturel. Je n'ai pas besoin de ventilation, ni d'énergie pour chauffer ou refroidir. Aujourd'hui, c'est un réel avantage et ça ne me coûte rien", précise Michel Beroud.
Caves d'affinages, centres de données numériques, hôtels insolites ou musées, beaucoup d'utilisateurs ont trouvé une reconversion de ces ouvrages militaires. Mais la braderie est terminée, il n'y en aura plus de nouvelle. L'armée a décidé de garder la main sur les passages sous-terrain qu'il lui reste.
Il restait 1500 bunkers en vente
Difficile de savoir combien il en existe au total. Selon des estimations, nos sous-sols en compteraient plus de 8000 (sans les abris de protection civile, environ 370'000), construits dès la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la fin de la Guerre froide.
Dès le milieu des années 1990, l'armée change de stratégie et réoriente ses engagement vers la gestion des catastrophes et situations d'urgence. Une grande partie des installations souterraines est déclassée, abandonnée et vendue au plus offrant.
A ce jour, sur les 4700 installations militaires désaffectées, quelque 1800 ont été vendues et 1500 autres étaient encore à vendre, selon Armasuisse.
Mais le contexte géopolitique actuel né de la guerre en Ukraine pousse l'armée à revoir sa stratégie. Ces 1500 bunkers déclassés resteront finalement dans le giron de l'armée. "Les ouvrages lance-mines de forteresse pourraient encore être utiles dans un conflit armé, si ce n'est comme moyen d'appui de feu indirect, du moins comme installation militaire à d'autres fins", écrit l'Armée suisse dans un rapport publié en août.
Une centaine de demandes pendantes
Pour Gabriel Favre, membre d'honneur de l'association Proforteresse, cette annonce fait l'effet d'une douche froide. Avec une bande de copains passionnés comme lui par ces anciens forts militaires, ils ont créé une association visant à sauvegarder les fortifications sur l'axe du Grand-St-Bernard et en faire des sortes de musées.
Après trois acquisitions à Evionnaz, Champex-Lac et Commeire, l'association voulait s'élargir. "C'est une mauvaise nouvelle, parce que nous étions en cours d'en acheter un quatrième. Nous sommes d'ailleurs toujours en attente d'une réponse. Cela fait déjà deux ans. Surtout, nous avons déjà fait pas mal de démarches et cela nous a coûté quelques sous", déplore Gabriel Favre, qui espère néanmoins encore une issue positive.
Comme lui, une centaine de demandes d'achat sont en cours, selon Armasuisse. L'armée, de son côté, assure qu'elle ne réquisitionnera pas les bunkers déjà vendus.
Feriel Mestiri