L'industrie cherche à réduire les émissions de CO2 du béton, star de la construction
Première entreprise mondiale dans le domaine du béton, Holcim est la société suisse la plus polluante du pays. Sur son site de production à Genève, elle produit chaque jour près de 600 m3 de béton frais pour le canton.
Sous la pression de réduire ses émissions de CO2, l'entreprise a récemment commencé à recycler les déchets de béton, qui seraient sinon simplement entassés en déchetterie.
"Nous récupérons du béton armé, un mélange de béton et d'acier. Tous ces matériaux sont réutilisés; l'acier est envoyé dans une filière spéciale pour être recyclé, tandis que le béton est réutilisé dans la production de béton", explique Romain Roger, directeur du marché genevois de Holcim Suisse lundi dans l'émission basik de la RTS. Les blocs de béton sont concassés pour obtenir des granulés et du sable, puis réintroduits dans un mélange avec du ciment et de l'eau.
Mais le ciment, qui est utilisé pour "coller" les composants du béton, est l'élément qui émet le plus de CO2 lors de la fabrication du béton. La production de ciment implique une double émission de CO2: d'abord pour produire la chaleur nécessaire à chauffer le calcaire, l'élément de base du ciment, à près de 1400 degrés, puis lors de la transformation chimique du calcaire à cette température.
Réduction de 10% des émissions
Le béton recyclé de Holcim contient autant de ciment que le béton classique, seuls les granulats proviennent du recyclage. Mais pour Romain Roger, c'est un premier pas: "Nous parvenons à réduire les émissions de CO2 de 10% par rapport au ciment standard [...]. Actuellement, nous produisons entre 10% et 15% de béton recyclé, et nous prévoyons d'atteindre 25% d'ici 2025." Malgré un prix légèrement plus élevé, de 2% à 3% par rapport au béton traditionnel, la version recyclée reste encore largement minoritaire dans la production de l'entreprise.
De nombreuses alternatives moins polluantes que le béton recyclé existent pourtant. Au laboratoire des matériaux de construction de l'EPFL, la professeure Karen Scrivener a consacré sa carrière à la recherche sur le béton et a développé une formule qui permet de réduire considérablement la quantité de béton utilisée, appelée le béton LC3.
Parmi les nombreuses possibilités évaluées par la professeure et son équipe pour réduire les émissions de ciment, la meilleure solution consiste à utiliser des argiles calcinées pour remplacer une partie du ciment. "Nous les chauffons à 800 degrés, soit environ la moitié de la température nécessaire pour le ciment, ce qui réduit la pollution due au combustible, et il n'y a pas non plus de décomposition de la roche calcaire. Avec ce mélange, nous pouvons réduire les émissions de CO2 de 40% par rapport au béton standard. Cela a un grand impact à l’échelle mondiale", explique-t-elle.
Karen Scrivener ne cherche pas de bénéfices économiques avec son invention, car la formule du béton LC3 est libre de droits au niveau mondial. Actuellement, neuf cimenteries sur environ 3000 dans le monde l'utilisent, et vingt à trente autres commenceront la production ces prochaines années.
Réutiliser le béton
D'autres chercheurs s'efforcent également de trouver des formules de béton moins polluantes. Mais étant donné l'impossibilité de produire un béton entièrement propre, certains se tournent vers le réemploi du béton existant.
Damien Varesano, un ingénieur genevois, travaille sur cette approche. "L'ancienne usine Fiat est en train d'être entièrement démolie. C'est un énorme bâtiment en béton armé, et dans cette démolition nous essayons d'introduire un peu de réemploi, du béton scié, pour le réutiliser pour d'autres projets", indique-t-il.
Afin de s'assurer que le béton et les armatures en acier qui le composent sont en bon état, il est nécessaire de réaliser une série de tests. Ces tests visent à collecter des informations sur la résistance structurelle du béton afin de déterminer comment il pourra être utilisé à l'avenir. Bien que ces tests soient coûteux, Damien Varesano assure qu'avec une quantité suffisante de matière, le coût du béton recyclé sera comparable à celui du béton frais.
Le principal défi du réemploi réside dans la logistique pour assurer que le bon bloc se trouve au bon endroit. Pour faciliter ce processus, Damien Varesano a créé la plateforme d'échange REUZI, visant à coordonner les acteurs du réemploi dans le canton.
Il a déjà comme partenaires des membres important comme la Caisse de pension de l'Etat de Genève, le plus gros propriétaire de logements du canton.
Terre crue
D'autres acteurs explorent des alternatives oubliées au béton, telles que la terre crue, "qui présente des avantages écologiques et esthétiques", selon l'architecte Olivier Krumm. Bien que la terre crue ne puisse pas remplacer le béton dans tous les cas, elle émet entre cinq et sept fois moins de CO2 que le béton traditionnel. L'objectif n'est pas de remplacer complètement le béton, mais de réduire son utilisation, souligne Olivier Krumm.
En fin de compte, il n'existe pas de solution miracle pour se passer entièrement du béton. Cependant, que ce soit par le recyclage, l'utilisation d'argile, le réemploi ou le retour à des matériaux traditionnels, de nombreuses solutions complémentaires sont disponibles.
Sujet TV: Micaela Mumenthaler et Valentin Tombez
Adaptation web: Valentin Jordil