"En septembre, près de 1200 requêtes uniquement axées sur les contestations de hausses de loyers ont été formulées", détaille mardi au micro de La Matinale Serge Terribilini, préfet du district de Lausanne. "Et sur cette masse-là, il y en avait 485 concernant le seul district de Lausanne. Donc ça fait une hausse assez conséquente qui s'ajoute au flux usuel de dossiers que l'on traite normalement dans les commissions de conciliation. On a remarqué dans la préfecture de Lausanne qu'en août on avait déjà atteint le nombre de requêtes qu'on avait atteint le 31 décembre 2022."
Pour y faire face, l'Etat de Vaud a dû aller rechercher un préfet à la retraite. Sa mission est de soulager ses collègues des préfectures qui, dans ce canton, doivent gérer les litiges entre locataires et propriétaires, et qui croulent sous les dossiers.
Le constat est le même dans le canton de Genève, où le Tribunal est l'autorité de conciliation, et dans une moindre mesure en Valais.
Inflation et hausse des taux hypothécaires
Cette vague de requêtes s'explique par deux évènements récents qui permettent aux propriétaires d'augmenter les loyers, à savoir l'inflation et la hausse des taux. Ce qu'on appelle le taux de référence hypothécaire a ainsi augmenté, pour la première fois, en juin dernier. Et il autorise les propriétaires à prononcer une hausse de 3% sur les loyers nets conclus depuis 2020. On estime que près de la moitié des locataires suisses pourraient être concernés.
Certaines régions sont plus sensibles que d'autres, comme par exemple Genève et Lausanne, et plus généralement l'Arc lémanique. En résumé, ce sont les zones urbaines, où se concentrent un grand nombre de locataires, qui sont le plus touchées. Des régions où une bonne partie du parc immobilier est en outre entre les mains de caisses de pension, d'assurances ou de banques.
Ce sont ces "grands" propriétaires qui ont le plus souvent augmenté les loyers depuis l'été. Un constat partagé par les Chambres immobilières cantonales et les associations de défenses des locataires.
La Bâloise, par exemple, a informé à peu près un tiers de ses locataires vaudois, soit 870 ménages, que leurs loyers seraient augmentés. Environ 100 l'ont contesté. Une solution à l'amiable a été trouvée avec 60 d'entre eux, alors qu'une quarantaine est en procédure de conciliation.
"Des hausses injustifiées"
Les locataires contestent ces hausses, parce que, dans de nombreux cas, elles seraient injustifiées. C'est l'avis des associations de défense des locataires, comme l'Asloca Vaud. "Dans la plupart des cas en tout cas, si l'immeuble a été acquis il y a moins de trente ans, on peut lui opposer que ce loyer lui procure un rendement abusif", explique sa présidente, l'avocate Carole Wahlen.
Sans compter qu'au vu des niveaux actuels des loyers qui sont "exorbitants", dans presque tous les cas, le rendement est effectivement abusif, selon l'avocate lausannoise. Donc le bailleur aura beaucoup de difficultés à démontrer qu'il peut effectivement notifier une hausse des loyers", poursuit-elle. "Le système actuel met toute la charge de la vérification du caractère loyal du loyer sur le locataire. C'est à lui d'entreprendre des démarches judiciaires assez lourdes pour le contester et demander une vérification du caractère licite du loyer."
L'Asloca très sollicitée
Résultat, l'Asloca est donc elle aussi très sollicitée depuis le mois de juin par les locataires. Dans la région lausannoise par exemple, elle est passée de 20 à 100 réclamations par semaine.
Que répondent les propriétaires? Qu'ils sont dans leur bon droit, comme le constate Frédéric Dovat, secrétaire général de l'USPI, l'Union suisse des professionnels de l'immobilier.
"Le locataire est surprotégé en droit du bail. Quand vous achetez quelque chose, vous payez le prix. Vous ne l'achetez pas pour après contester le prix." Pour lui, il faut remettre l'église au milieu du village: "Les locataires qui contestent les hausses de loyers sont une extrême minorité. Et il n'y a pas de hausse systématique des loyers suite à la hausse des taux hypotécaires. Après, il faut regarder de cas en cas mais les critères pour fixer le loyer sont multiples. Et toutes les contestations ne débouchent pas sur une baisse des loyers."
Les défenseurs des locataires ou les défenseurs des propriétaires ont deux visions qui s'opposent donc. Et qui pourraient encore s'opposer à l'avenir puisqu'une nouvelle augmentation du taux hypothécaire est attendue en fin d'année. De nouvelles potentielles hausses de loyers sont donc à prévoir, avec les contestations qui vont de pair.
Julie Rausis/fgn
La hausse des loyers s'est poursuivie en septembre
Les loyers ont poursuivi leur hausse en Suisse en septembre. Le prix des biens immobiliers proposés à la location a encore enflé de 0,5% en moyenne par rapport au mois précédent, portant l'augmentation à 3,7% en l'espace d'un an.
L'indice des loyers publié mardi par la plateforme immobilière Homegate.ch en collaboration avec la Banque cantonale de Zurich (ZKB) est ressorti en hausse de 0,6 point à 123,3 points. La variation mensuelle a été positive dans près de trois quarts des cantons, mais aucun n'a échappé à la tendance haussière en rythme annuel.
Les plus fortes hausses sur un an ont été enregistrées à Schwyz (6,2%), Zurich (6,1%) et en Valais (5,4%). Les loyers ont également pris l'ascenseur dans les cantons de Neuchâtel (3,5%) Genève (3,3%), Fribourg (3,2%) et Vaud (2,6%), le dernier nommé faisant partie des rares ayant observé une baisse (-0,3%) au cours du mois sous revue.
Avec une hausse de 2,3% sur un an, le Jura fait presque figure de rescapé, devancé seulement par les deux Bâle, Zoug, Nidwald, Obwald et la Thurgovie.
Les conseils pratiques de l'ASLOCA
Christian Dandrès, juriste et membre du comité de l’ASLOCA Suisse, donne quelques conseils pratiques aux locataires dans l’émission On en parle. Que faire lorsqu’on a fait opposition à la hausse de son loyer, mais que l’attente est assez longue pour que l’augmentation de loyer soit effective avant l’audience et le jugement?
"Il faut continuer à payer l’ancien loyer, mais être prudent et épargner la différence, explique Christian Dandrès. Si la procédure va de l’avant et que le tribunal devait considérer que la hausse était correcte, il pourrait y avoir un rétroactif." Le juriste avertit cependant : "Si la contestation a été mal faite, il y a un risque pour les locataires. Certains propriétaires continuent à envoyer des rappels, voire des menaces de résiliation du contrat de bail malgré le fait que le locataire ait contesté la hausse. Si des locataires reçoivent de tels documents, ils doivent venir nous voir ou d’autres juristes pour éclaircir la donne avec le bailleur."
Pour éviter d’autres mauvaises surprises, le juriste ajoute qu'il "est fondamental de contester le loyer initial. Comme les taux hypothécaires sont en hausse, y compris l’indice des prix à la consommation, l’enjeu majeur est d’avoir au départ le loyer le plus bas possible."
Parfois, les régies proposent aux locataires, après avoir appris la contestation de la hausse, une réduction de celle-ci pour éviter la commission de conciliation. Que faire? "Trois facteurs sont pris en considération pour ces hausses: le taux d’intérêt hypothécaire, le coût de la vie et l’évolution des charges d’exploitation de l’immeuble. Le bailleur doit démontrer que les charges d’exploitation de l’immeuble ont augmenté. La plupart du temps, il n’y a pas de majoration de ces charges, c’est pour cela que les bailleurs les abandonnent assez facilement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de marge de manœuvre sur les autres facteurs. Il vaut donc la peine de contester sa hausse de loyer."
Sujet radio: Arditë Shabani
Adaptation web: Myriam Semaani