Le troc, une nouvelle tendance pour échapper à l'inflation
Vieux comme le monde, le troc revient aujourd'hui en force, au point de concerner un quart de la population dans les pays occidentaux. Car en période d’inflation, l’échange gratuit de biens et de services permet de faire des économies substantielles pour préserver son pouvoir d’achat.
Au renchérissement actuel s'ajoute une tendance de fond, la consommation éco-responsable: on préfère donner une seconde vie aux objets plutôt que de les jeter pour racheter du neuf.
Du matériel électronique de pointe aux habits pour enfants en passant par les cours de jardinage ou la maison de vacances, on peut troquer de tout aujourd'hui, notamment grâce aux plateformes spécialisées.
La réparation d'un collier contre un repas du soir
Vitalie est créatrice professionnelle de bijoux à La Chaux-de-Fonds. Pour réparer le collier d’Anne, elle n’encaisse aucune facture: c'est le principe des S.E.L., les systèmes d’échange locaux. En contrepartie de sa prestation, elle s'est fait livrer gratuitement un repas pour ses invités du soir, cuisiné par une autre membre de l’association.
Il existe une trentaine de S.E.L. en Suisse romande. Celui dans lequel est inscrite Vitalie regroupe 380 personnes. Une bonne centaine de biens et de services s'y échangent sans qu'un centime ne soit dépensé. La valeur de chaque troc est calculée dans une monnaie virtuelle créée sur mesure, le picaillon. Car même si la plateforme bannit le franc, elle a quand même besoin de fixer un "prix" aux différentes transactions, pour permettre les échanges indirects. Ici, ce sont les heures de travail qui sont prises en compte.
On n'est pas dans quelque chose qui se veut à but lucratif ou destiné à t’enrichir personnellement
"C'est juste un moyen d'échange et le moyen n'est pas la fin. On n'est pas dans quelque chose qui se veut à but lucratif ou destiné à t’enrichir personnellement", précise Florian Candelieri, porte-parole du S.E.L. de La Chaux-de-Fonds, lundi dans l'émission basik de la RTS.
Gratuit et éthique
Si certaines plateformes fonctionnent à l’échelle locale, d’autres misent sur une offre beaucoup plus large. C’est le cas de Mytroc, créé en 2015 à Paris par trois bénévoles, et qui emploie aujourd'hui onze salariés pour gérer les échanges de plus de 350'000 utilisateurs et utilisatrices répartis dans toute la France.
Le bénéfice pour le porte-monnaie est bien réel
"Le site est entièrement gratuit. Il n’y a pas de publicité et on ne vend pas les données, c'est 100% éthique", précise sa fondatrice Floriane Addad. Et le bénéfice pour le porte-monnaie est bien réel, explique-t-elle: "C'est chiffrable, parce que nous faisons des questionnaires utilisateurs. Un utilisateur régulier peut facilement économiser 150 à 200 euros par mois".
Pour se financer, l’équipe a lancé un autre service, payant celui-là: des plateformes d’échange interne destinées à des administrations ou des grandes entreprises. "Elles ont beaucoup de matériel dormant, stocké et inutilisé. Souvent, on rachète la même chose dans le service d'à côté, puisqu'on ne sait pas qui a quoi. Nos plateformes permettent de mutualiser et de réemployer le matériel d'un service à l'autre, au lieu d'acheter du neuf." Parmi les très gros clients, la SNCF affiche une économie de près de 2 millions de francs grâce à ce troc interne.
On troque aussi les maisons
Un autre exemple de secteur en pleine croissance est l'échange de maisons entre particuliers pour les vacances. Karina Kristensen est inscrite depuis six ans sur HomeExchange, une plateforme qui revendique plus de 100'000 adhérents dans 133 pays.
Ici, la monnaie virtuelle s’appelle le GuestPoint. En mettant sa maison de la campagne genevoise à disposition de vacanciers du monde entier, Karina accumule des points qui lui permettent de s’offrir elle aussi des séjours gratuits, comme l’été dernier au Danemark. Une aubaine pour une famille nombreuse avec quatre enfants. "Si une location coûte 1000 francs par semaine et que nous partons 15 jours, cela représente quand même une somme", explique-t-elle. "L'argent économisé nous permet de faire des activités sur place, d'aller davantage au restaurant, chose que nous ne pourrions pas nous permettre avec une location. Ce serait vite trop cher."
L’échange de villas se répand jusque dans le très haut de gamme, une nouvelle preuve que le troc est tendance: même sans pression financière, les classes supérieures veulent elles aussi en être.
Alain Orange/vic
Publié
Attention à "l'hyperconsommation autour du troc"
Le troc est une pratique protéiforme qui fait de plus en plus d’adeptes, y compris dans nos riches sociétés occidentales secouées par la crise. "L'inflation va faire que des individus qui n'avaient pas forcément un accès au troc ou l’idée d’en faire vont s'y mettre", prévoit l’anthropologue Fanny Parise, chercheuse associée à l’Université de Lausanne. "Et ceux qui étaient déjà investis dans certaines communautés vont augmenter leur pratique ou la rendre plus régulière."
La chercheuse jette toutefois un regard nuancé sur cette pratique: "Parmi les points négatifs, on change la société sans changer de société. On va juste chercher d'autres systèmes de valeurs pour être davantage en cohérence avec l'air du temps. Au final, on peut même repartir dans une forme de société d'hyperconsommation autour du troc", pointe-t-elle.