L'industrie textile produit désormais un vêtement sur deux avec des fibres synthétiques issues des hydrocarbures. Pour se donner bonne conscience, les grandes marques affichent fièrement leurs collections réalisées avec du textile à base de PET recyclé.
Cette mode éco-responsable rassure les personnes soucieuses de l'environnement, mais qui ne souhaitent pas faire l'impasse sur les dernières tendances à la mode.
Après Patagonia, pionnière en la matière, de nombreuses marques ont suivi la tendance, comme Columbia, H&M, ou Adidas, qui utilise déjà 96% de polyester recyclé.
Du PET repêché dans une rivière suisse
Chez Manor est vendue actuellement une doudoune réalisée exclusivement avec du PET retiré d'une rivière suisse: la Limmat, à Zurich. La RTS est allée à la rencontre de Peter Hornung, le directeur de Round Rivers, qui a initié le concept avec des maillots de bain.
"Un été, je me baignais dans la Limmat quand j'ai vu flotter deux bouteilles de PET vers moi. En sortant de l'eau, j'ai regardé mon maillot de bain et j'ai réalisé qu'il s'agissait du même matériau. J'ai donc eu l'idée de ramasser le PET, pour nettoyer la rivière et en faire des maillots", raconte-t-il dans le 19h30.
J'ai vu flotter deux bouteilles de PET (...) J'ai regardé mon maillot de bain et j'ai réalisé qu'il s'agissait du même matériau
Une fois par semaine, Peter Hornung se rend à la centrale du Letten pour repêcher les bouteilles qui tourbillonnent devant le barrage. "Aujourd'hui, il n'y en a qu'une quinzaine. C'est l'équivalent d'une veste. Mais en été, j'en ramasse 500 en une semaine. Cela représente environ 40 à 50 vestes." Depuis 2019, il dit avoir ramassé plus de 50'000 bouteilles. Sans lui, ces quelque 1500 kilos de plastique auraient été incinérés avec le reste des déchets coincés dans le barrage.
Un circuit très court...
Le procédé est relativement simple: les bouteilles repêchées dans la rivière zurichoise sont envoyées en Thurgovie, où elles seront nettoyées et broyées en petit flocons. Ceux-ci partent ensuite vers le Tessin, où ils sont transformés en granulés de polyester. Ils traversent ensuite la frontière jusqu'à Côme, où ce plastique est extrudé en matière textile, puis dans une fabrique voisine, qui confectionne les vestes. De la matière première jusqu'au consommateur, la veste aura été fabriquée dans un rayon de 140 kilomètres.
L'industrie du textile, connue pour être la troisième la plus polluante pour l’environnement, détient-elle enfin la solution pour réduire son impact?
"Pas vraiment", répond Laurent Maeder, spécialiste en économie circulaire du programme vaudois Les Métiers durables. Même si ce dernier salue l'initiative du Zurichois: "Fabriquer des textiles à partir des déchets qu'on trouve dans la Limmat, quand on reste en circuit court, c'est plutôt une bonne action. En tout cas, l'intention est positive, si le but est de sensibiliser le public sur les déchets plastiques", dit-il.
... mais loin d'une économie circulaire
Mais la solution a ses limites. A commencer par la gourmandise en énergie et en eau nécessaire à la transformation, qui nécessite de nombreuses étapes.
Pour le spécialiste en économie circulaire, l'industrie textile n'emprunte pas le bon chemin: "Le PET devrait aller de bouteille à bouteille. Pourquoi casser une boucle pour aller de bouteille à vêtement, si ce vêtement lui-même, qui risque de ne pas durer longtemps, finit dans une décharge à ciel ouvert? On est loin d'une économie circulaire, on est juste dans une cascade."
Le PET devrait aller de bouteille à bouteille. Pourquoi casser une boucle pour aller de bouteille à vêtement?
En plus du problème de fond, il existe aussi des effets collatéraux de l'utilisation du plastique dans le textile. Les produits issus du polyester en général ont tendance à relâcher des microplastiques et des micropolluant dans notre écosystème, notamment au moment du lavage. Sans oublier l'antimoine, ce métal lourd contenu dans le PET. "Les antimoines comme tous les métaux lourds en général ne devraient pas être portés à même le corps", précise Laurent Maeder.
>> Lire à ce sujet : Millions de tonnes de microplastiques issus des textiles lâchés dans la nature
"Il y a 15 ans, c'était une bonne solution de transition"
Le recyclage du PET en vêtement a le mérite de sortir le plastique de l'environnement. Il a aussi le mérite de réintégrer des matériaux dans la production plutôt que d'en produire de nouveaux. Un argument qui pèse, dans un contexte où la production mondiale de textile a été multipliée par quatre entre 2000 et 2023.
"Il y a 15 ans, la transformation du vieux PET en textile me paraissait une bonne idée. Mais c'était une solution transitoire. Aujourd'hui, il faudrait couper les flux. La priorité est de trouver des solutions pour que ce plastique n'arrive pas jusqu'à la mer", souligne Laurent Maeder.
Le recyclage du PET en vêtement n'est donc ni tout noir, ni tout blanc, mais ce n'est en tout cas pas la solution qui doit être vantée et mise en avant sur du long terme.
Feriel Mestiri
Une bouteille en PET ne peut être recyclée que "deux ou trois fois maximum"
Selon le le rapport 2022 de l'association PET recycling, une nouvelle bouteille contient seulement entre 50 et 60% de matière recyclée. Le reste est compensé par de la nouvelle résine produite à partir d'hydrocarbure d'origine fossile. Le bénéfice du recyclage sur l'environnement est donc modéré. Et cette proportion est limitée par la nature même du PET.
"Le plastique n'est pas un matériau inerte, contrairement au verre", explique Nathalie Gontard, directrice de recherche à l'Institut français de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. "Il absorbe toutes les petites molécules, notamment les plus hydrophobes et ce sont elles les plus dangereuses (pour la santé, ndlr)."
Ces molécules sont éliminées par un traitement avant de repolymériser le PET et de le mélanger avec du polymère vierge, détaille-t-elle.
"Sur un cycle de recyclage, il y a environ 30% de pertes, ce qui signifie que l'on peut recycler deux-trois fois maximum", résume-t-elle.