Abonnement mobile gratuit pour l'achat d'un nouveau smartphone, 50% sur les chaussures à talon, 10% sur les consoles de jeu... Les offres promotionnelles des enseignes sont toutes plus alléchantes les unes que les autres, rendant difficile le choix pour la clientèle. C'est justement sur cette frénésie d'achat que les enseignes comptent pour tirer profit de ces périodes.
En 2023, pour la semaine du 24 novembre - qui comporte le Black Friday -, les recettes du commerce de détail suisse ont bondi de 20% par rapport à la semaine précédente. Le jour J, les rabais et campagnes de publicité dédiées ont permis de générer plus du double des recettes par rapport à un vendredi habituel.
"Le mois de novembre peut représenter jusqu'à 30% du chiffre d'affaires annuel de certaines enseignes", relève Jérôme Amoudruz, expert e-commerce et cofondateur de la plateforme qui répertorie les offres spéciales du Black Friday blackfriday.ch.
Selon les prévisions du site consacré aux actions du Black Friday blackfridaydeals.ch, le volet 2023 devrait générer environ 490 millions de francs dans le commerce de détail non alimentaire, dont 115 millions de francs en ligne.
L'inflation comme booster
L'inflation rend ces offres encore plus prisées et augmente le volume d'achat et le panier moyen. "Pendant le Black Friday 2023, le panier moyen des équipements électroniques et petits-électroménagers a atteint 500 francs", relève Jérôme Amoudruz. "L'inflation stimule ce type d'événements pour les produits aux prix élevés". Mais "si elle est trop élevée, elle pousserait à une diminution du nombre d'achats".
Selon Claire Freudenberger, chargée des relations presse de la chaîne de grands magasins Manor, l'inflation a modifié durablement le comportement d'achat. "Alors que les clients réduisent leur consommation au quotidien et font plus attention aux offres et rabais, ils prévoient de manière ciblée des achats plus importants pendant les journées de shopping, surtout dans les domaines de la mode et de l'électronique."
Dégager du chiffre d'affaires...
Chaque année, les consommateurs attendent les périodes promotionnelles avec impatience. Ils préparent leurs achats longtemps en avance, en établissant notamment une liste du prix des articles souhaités pour s'assurer de l'intérêt réel du tarif promotionnel affiché.
"Les acheteurs ont été au rendez-vous cette année", note Jérôme Amoudruz. En 2023, les consommateurs ont ainsi anticipé le Black Friday avec des achats plus tôt que les années précédentes. "Nous avons observé un volume de ventes en ligne important dès le week-end du 17 novembre, une intensité jamais vue auparavant à cette période", observe l'expert en e-commerce. Plus des trois quarts (76%) se sont renseignés à l'avance sur les offres, relève par ailleurs une étude Profital réalisée pour la Swiss Retail Federation, l'association suisse des commerces de détail.
"Les motivations d'achat durant cette période sont tripartites: préparer les cadeaux de Noël, désir de monter en gamme pour des équipements, et le plaisir de se faire plaisir", relève Jérôme Amoudruz.
Les catégories qui tirent le plus profit des périodes de promotions sont l'électronique et l'électroménager qui ont pourtant des rabais moins importants à cause des marges plus serrées. Mais, à l'image du bilan provisoire établi par Manor à l'issue du Black Friday 2023, les articles de beauté, les bijoux, la mode, les jouets et les articles pour la maison enregistrent eux aussi de beaux scores.
"Novembre et décembre sont les mois les plus propices (à la vente, ndlr) pour le commerce de détail", indique Jérôme Amoudruz.
... et du trafic on et offline
Les marques se sont elles aussi lancées dans la course aux promotions plus tôt afin d'éviter un éventuel ralentissement des achats avant le début des rabais et de générer du trafic dans leurs magasins et sur leur site d'e-commerce. Elles ont ainsi pu continuer à vendre plus longtemps, sans subir de pic d'activité ni d'accalmie. Certaines ont même investi l'espace publicitaire dès septembre. Une autre stratégie pour attirer les acheteurs a été de créer des produits "hors catalogue", vendus exclusivement lors de ces périodes de soldes.
Les articles en promotion sont soigneusement choisis par les enseignes: gestion des stocks, saisonnalité et tendance des ventes avec des produits d'appel soldés pour attirer les clients et leur en faire acheter d'autres non soldés. "Les consommateurs ont tendance à privilégier certaines marques et à être sensibles aux prix. Ainsi, les distributeurs judicieux se concentrent souvent sur les marques les plus prisées", avance Jérôme Amoudruz.
Preuve du succès de ces stratégies, les recherches internet avec des requêtes sur le Black Friday en général baissent alors que celles avec les termes "Black Friday" accompagnés du nom de la marque ou du produit recherchés augmentent depuis environ deux ans, précise Jérôme Amoudruz. Les consommateurs font donc des recherches plus ciblées, car ils ont préparé leurs achats en amont.
Investissements pour les enseignes
Pour les enseignes, les périodes d'actions nécessitent des investissements pour, notamment, être visibles. Un atout qui coûte de plus en plus cher, observe Jérôme Amoudruz. "Les budgets publicitaires peuvent représenter entre 5 et 15% du chiffre d'affaires de la période"
"Cette année, nous observons un désinvestissement publicitaire de la part de certaines enseignes du commerce de détail en Suisse, car les coûts liés à l'affichage en ligne ont augmenté de près de 80%. L'incertitude économique et l'inflation peuvent notamment l'expliquer", indique-t-il.
De plus, vendre moins cher signifie gagner moins pour les enseignes qui affichent des rabais. Outre la campagne marketing, "elles investissent de l'argent marketing sur certains produits", détaille Pascal Meyer, "loutre en chef" de la plateforme suisse de vente éphémère QoQa.
Leur intérêt réside donc dans la vente d'autres produits non soldés.
Gagnant-gagnant
Au vu de tous les bénéfices engendrés par les périodes de promotions, les enseignes ont tout intérêt à les pratiquer. D'autant que les consommateurs les attendent là-dessus et risquent de se rendre chez leurs concurrents à la place. Les consommateurs aussi ont un vrai intérêt à se renseigner sur ces périodes car ils peuvent faire de réelles économies, surtout en période d'inflation, à condition de faire attention aux arnaques (voir encadré).
Selon un sondage mené par le cabinet GFK pour blackfriday.ch, 33% des Suisses et Suissesses interrogés n'aiment pas le Black Friday car les bonnes affaires n'en sont pas vraiment. Mais ils sont plus nombreux que l'année dernière à apprécier cette journée spéciale (38% en 2023 contre 31% en 2022). Près de la majorité (48%) continue toute de même à ne pas l'apprécier.
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Pour être sûrs de faire de bonnes affaires, Jérôme Amoudruz conseille aux acheteurs de se tourner vers les marques de confiance qui respectent les règles en vigueur sur les actions. En tout cas pour lui, une chose est sûre: "il y a de vraies promotions"!
Pascal Meyer de QoQa, lui, recommande d'utiliser les comparateurs de prix.
Et pour les petites enseignes?
Si les périodes de promotions sont une réelle opportunité pour les grandes enseignes, elles ne le sont pas forcément pour les petits commerçants. Les avis divergent.
"Beaucoup de petites enseignes se sentent malheureusement obligées de jouer le jeu", note Pascal Meyer, tout en indiquant que si elles ne le font pas, "certains consommateurs peuvent le leur reprocher".
Mais "les petits commerçants profitent de la frénésie d'achat des clients et des actions de publicité faites par les grosses enseignes pour attirer du monde pendant le Black Friday", affirme encore le porte-parole de QoQa qui, lui-même, utilise cette frénésie pour soutenir des causes caritatives.
J'ai déjà testé de faire le Black Friday et je ne recommencerai pas
Mais d'autres petites enseignes ne veulent plus proposer de telles promotions. "J'ai déjà testé de faire le Black Friday et je ne recommencerai pas", lance le patron de la boutique de chaussures lausannoise BK Style.
Il argumente ne pas avoir les ressources suffisantes pour se permettre de faire 15 jours de soldes, comme c'est le cas de plus en plus souvent pour le Black Friday, puisque les enseignes étendent la période de promotion aux semaines qui le précèdent, voire au mois de novembre complet. "C'est trop long, je ne peux pas", assure-t-il.
Pour lui, pendant ce jour spécial, les consommateurs réservent un budget aux appareils électroniques mais pas aux vêtements ou chaussures. Il préfère donc faire ses propres promotions lorsqu'il le souhaite, "chaque trois-quatre mois pendant une petite semaine", précise le patron de BK Style.
Pour Julian Zrotz, directeur exécutif de blackfridaydeals.ch, cette journée profite sûrement plus aux grandes enseignes, car elles peuvent négocier plus facilement avec les fabricants. "Dans l'ensemble, le Black Friday profite probablement davantage aux grands magasins, car ils ont une meilleure position de négociation avec les fabricants. Ils peuvent ainsi négocier de meilleurs prix et des remises d'achat plus élevées."
Les petites enseignes ont en revanche une autre opportunité: celle d'avoir leur(s) propre(s) période(s) de promotions, assure Jérôme Amoudruz de blackfriday.ch. Les consommateurs se disent à 41,10% attirés par l'option d'y participer si elle a lieu en ligne, selon une étude de blackfriday.ch, contre 22,10% qui ne le sont pas. La plus grande part (33,90%) de ceux qui participeraient prévoient de dépenser entre 101 et 300 francs. Il y a donc là bel et bien une opportunité financière pour les petits commerces.
Julie Marty
Attention aux arnaques: les conseils de la FRC
La Fédération Romande des Consommateurs (FRC), met en garde contre les "fausses" promotions qui peuvent survenir pendant les périodes d'action.
"Pour l’auto-comparaison, selon l'article (art. 16 al. 2 OIP), la loi autorise à indiquer un prix barré pendant la moitié du temps durant lequel il a été pratiqué et au maximum pendant deux mois", prévient Jean Tschopp, responsable du Service juridique de la FRC et juriste.
"Par exemple, si le prix d’un dentifrice était au départ de cinq francs durant un mois et qu’il passe ensuite à quatre francs, le prix barré de cinq francs pourra être indiqué pendant deux semaines maximum", illustre-t-il. Mais "cette règle n’est pas toujours respectée".
Certains consommateurs écrivent à la FRC pour signaler des hausses de prix dans les semaines qui précèdent le Black Friday pour faire croire à de bonnes affaires avec des baisses soudaines, indique encore le juriste de la fédération. "Ces 'réductions' correspondent au retour au prix de départ pratiqué quelques mois auparavant."
Et d'ajouter "parfois encore, le prix affiché n’est pas celui qui est facturé au client - pas toujours volontairement d’ailleurs. À cet égard, il faut savoir que le commerçant est lié par le prix affiché en magasin (art. 5 CO)".
Jean Tschopp préconise de suivre l'évolution des prix et ceux pratiqués par la concurrence sur les sites tels que toppreise.ch. "En période de promotions, il est utile de redoubler d’attention et de se renseigner", résume-t-il.