La Suède n'est pourtant pas connue pour sa conflictualité au travail: la grève y est même interdite par les conventions collectives, très nombreuses, et n'est considérée que comme un outil de dernier recours si les négociations entre dirigeants et travailleurs n'aboutissent pas, ce qui arrive rarement.
Mais Tesla, leader mondial des voitures électriques, a refusé de signer une convention collective dans le pays. D'où cette grève inédite, suivie par plusieurs autres syndicats, comme les transporteurs, les électriciens, le secteur de gestion des déchets et même la Poste.
Un modèle social structurant
La dernière grande bataille des syndicats suédois date de 1995, contre le géant du jouet américain Toys "R" Us. Il avait alors fallu trois mois de grève pour le faire plier, et cette victoire avait permis à l'époque de réaffirmer la solidité du modèle social suédois, très strictement basé sur les accords de branche et le dialogue entre syndicats.
Par exemple, il n'existe pas de salaire minimum légal. Salaires, horaires, conditions de travail et même montant des retraites: tout passe par les négociations de branche. Ce modèle social existe depuis 1938 et les Suédois y sont très attachés. Environ 9 employés sur 10 en bénéficient.
Ainsi, même si la signature d'une convention collective n'est pas légalement obligatoire, c'est une règle tacite qui fait presque partie de l'identité nationale. C'est ce qui explique en partie pourquoi ce conflit avec Tesla se répand aussi largement, jusqu'à toucher les pays voisins, Norvège, Danemark et Finlande, dont le système social et syndical est similaire au modèle suédois, avec quelques nuances. Par solidarité, les dockers danois, finlandais et norvégiens ne déchargent donc plus les véhicules Tesla qui arrivent dans leurs ports.
Crainte d'une remise en cause complète
Ces pays craignent aussi que si une société comme Tesla ne signe pas de convention collective en Suède, cela puisse inciter, par "effet domino", d'autres entreprises dans tous les secteurs et dans tous les pays nordiques à tenter de se soustraire aux accords de branche.
À l'inverse, pour le syndicat suédois IFMetall qui mène la lutte, cette stratégie d'internationalisation du conflit est absolument indispensable parce que la pression exercée en Suède ne suffit pas. Non seulement Tesla parvient à contourner les boycotts mais, surtout, la grève ne prend pas au sein de ses usines. Une minorité seulement des employés et employées sont en grève. Les activités du géant américain sont donc ralenties mais ses affaires continuent.
Cela s'explique en partie par la jeunesse du personnel, plus exposé à la culture d'entreprise à l'américaine qu'au modèle social scandinave. De plus, Tesla propose de très bons salaires et des actions en bourse très attractives. Beaucoup ne voient donc pas bien l'intérêt de s'opposer à leur employeur, d'autant que la situation sur le marché du travail en Suède n'est pas au mieux.
Ce conflit rappelle toutefois à tout un pays que son modèle social, considéré comme un acquis, pouvait être remis en cause. Voire carrément menacé si Tesla venait à l'emporter.
Carlotta Morteo/jop