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Après l'affaire de la porte perdue, Boeing va devoir serrer la vis

United et Alaska disent avoir trouvé des éléments mal fixés sur des Boeing 737 MAX. [Keystone]
Boeing doit serrer la vis / Tout un monde / 5 min. / le 9 janvier 2024
Une porte d'un Boeing 737 MAX 9 s'est détachée de l’appareil en plein vol la semaine passée. L'incident met en lumière des problèmes de gestion interne et de production chez le constructeur américain, selon des spécialistes de l’aéronautique interrogés dans l'émission Tout un monde.

Un Boeing d'Alaska Airlines a perdu une pièce vendredi soir, obligeant l'avion à se poser en urgence avec un trou béant dans la cabine. Une porte condamnée - parce qu'optionnelle - s'était détachée. Cet incident a cloué au sol les Boeing 737 MAX 9 pour inspection, sur ordre de l'autorité aérienne américaine.

A l'issue de ces examens, les compagnies United Airlines et Alaska Airlines ont trouvé des boulons mal serrés sur ces portes neutralisées, et ce dans plusieurs de leurs appareils.

>> Lire aussi : Les inspections de Boeing 737-9 se multiplient après l'incident sur un vol d'Alaska Airlines

L'affaire replonge Boeing dans la tourmente. Le trou dans le fuselage du 737 d'Alaska Airlines est le dernier exemple en date d’une série noire depuis le crash de deux appareils du même modèle en 2018 et 2019.

La perte de la porte a forcé l'avion 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines à se poser en urgence à l'aéroport de Portland, dans l'Oregon. [Keystone - Kelly Bartlett via AP]
La perte de la porte a forcé l'avion 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines à se poser en urgence à l'aéroport de Portland, dans l'Oregon. [Keystone - Kelly Bartlett via AP]

Les deux drames avaient fait au total 346 morts et provoqué l'immobilisation de toute la flotte des 737 MAX pendant de nombreux mois. Cette crise profonde a été suivie par la pandémie de Covid-19, dont l'effet s'est fait sentir sur le carnet de commandes de l'avionneur.

Depuis, le constructeur américain a certes retrouvé quelques couleurs, mais le dernier incident ne va pas contribuer à améliorer son image.

"Graves problèmes de gestion"

"La bonne nouvelle, c'est que cette fois-ci, le problème ne semble pas lié à la conception de l'avion. Il s'agit presque certainement d'un défaut de fabrication ou de quelque chose qui pourrait être facilement corrigé par des inspections", relève Richard Aboulafia, directeur d’AeroDynamic Advisory, une société américaine de consulting dans l'aviation.

"La mauvaise nouvelle, c'est que tout cela révèle de graves problèmes de gestion chez Boeing, des problèmes culturels. La direction est tout simplement trop éloignée de son cœur de métier, à savoir la construction d'avions", nuance-t-il.

Ingénieurs contre comptables

La culture d’entreprise est pointée du doigt par d'autres observateurs. Depuis des années, des tensions s'observent entre les ingénieurs, qui conçoivent les avions, et les financiers, qui décident des investissements, comme le souligne Andrew Charlton, directeur d’Aviation Advocacy, un cabinet spécialisé dans l’aéronautique basé à Nyon.

"Boeing a été poussé à être extrêmement rentable - ce qui a été le cas - et à produire de plus en plus d'avions. Mais chaque avion est un produit artisanal. Il est construit avec amour. Pousser les gens à en construire de plus en plus signifie qu'il faut avoir de meilleurs systèmes de contrôle. Pendant trop longtemps, l'autorité réglementaire américaine a laissé Boeing faire ses propres contrôles et n'a pas exercé suffisamment de pression pour l'inciter à s'améliorer", analyse-t-il.

Défauts à corriger

La société Boeing fonctionne en mode de crise depuis des années. Et l'entreprise doit colmater les failles, selon Gil Roy, le rédacteur en chef du site d’information Aerobuzz.

"Boeing concentre aujourd'hui tous ses efforts financiers à corriger des défauts de conception, mais aussi des défauts industriels", pointe le journaliste.

Des fuselages d'avions de ligne Boeing 737 en cours de construction placés sur les wagons d'un train, à Seattle. [Keystone - Elaine Thompson/AP Photo]
Des fuselages d'avions de ligne Boeing 737 en cours de construction placés sur les wagons d'un train, à Seattle. [Keystone - Elaine Thompson/AP Photo]

"Un avion, que ce soit un Boeing ou un Airbus, est un grand puzzle assemblé chez le constructeur. Mais toutes les pièces sont fabriquées à l'extérieur. S'agissant du puzzle de Boeing, ces pièces ne s'emboîtent pas bien. Parmi les derniers problèmes enregistrés sur la ligne d'assemblage final des 737, des trous pour l'assemblage des cloisons de pressurisation sont par exemple mal ajustés. Au moment de les assembler, il faut refaire des trous. Vous fragilisez donc l'avion", détaille Gil Roy.

Le 737 MAX est un meccano complexe d’environ 500'000 pièces, où chaque boulon doit être correctement serré.

Un engin qui commence à dater

C'est également l’avion monocouloir le plus vendu au monde. Mais sa conception remonte aux années 1960. L'engin a bien entendu connu plusieurs adaptations depuis, le 737 MAX 9 étant la dernière version. Toutefois, d'après Andrew Charlton, ce modèle a fait son temps.

"Boeing aurait dû remplacer le 737 il y a quelques années", indique le consultant. "Mais ce sont les comptables qui ont gagné leur combat contre les ingénieurs. Ils ont dit: nous ne sommes pas prêts à dépenser l'énorme quantité d'argent qui serait nécessaire pour remplacer complètement l'avion. Ils ont donc essayé de presser le citron une fois de plus. Mais à l'avenir, Boeing devra s'attaquer à ce problème de manière substantielle et construire un avion entièrement nouveau", explique-t-il.

Impact sur le carnet de commandes

Boeing se trouve désormais sous la loupe attentive de l’administration fédérale de l’aviation civile des Etats-Unis. Ce n'est pas un atout pour le carnet de commandes, souligne Gil Roy.

"L'administration américaine est dans l'obligation de contrôler chaque avion qui sort de chez Boeing. Je dirais que c'est une catastrophe industrielle, car cela freine énormément la livraison des avions aux clients. Aujourd'hui, Boeing est capable de produire seulement 38 avions (de type 737 MAX, ndlr) par mois et espère en produire 50 vers 2026. Au même moment, Airbus en produira 75 par mois", remarque-t-il.

Airbus dans un courant ascendant

Dans le secteur des avions monocouloirs, Airbus a d'ailleurs pris de l’avance grâce à sa gamme Neo, de conception beaucoup plus récente.

Entre l'américain Boeing et son concurrent européen, l’écart se creuse et les perspectives sont plutôt mauvaises pour le premier, selon Richard Aboulafia.

"Ils ont besoin d'une direction qui a de l'expérience en matière d'ingénierie et de gestion de programme et qui dit: 'Il y a un avenir. On va lancer de nouveaux avions, et surtout nous concentrer sur nos ingénieurs et notre personnel'", soutient l'expert.

"Mais tant qu’ils ne feront pas cela, ce qui était un duopole, à 50% chacun, risque de devenir une situation où Airbus contrôle 75% du marché. Cela pourrait conduire à la domination du marché par Airbus d'ici 2040, à moins que Boeing ne fasse quelque chose", prévient le consultant.

Rester dans la course avec son principal concurrent constitue dès lors un énorme défi pour l’avionneur historique américain.

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Adaptation web: Antoine Michel

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