A l'heure où l'on osait tout juste se réjouir d'une baisse annoncée de l'inflation pour 2024, voilà qu'un voile sombre se lève sur ces prévisions. Le transport maritime - qui représente 90% du commerce mondial - est ébranlé par la multiplication des attaques en mer Rouge.
Depuis la mi-novembre, les rebelles yéménites houthis ont mené 26 attaques contre des navires commerciaux dans le sud de la mer Rouge, selon l'armée américaine, autour du Bab Al Mandeb et dans le golfe d'Aden. Leur but, disent-ils, est d'agir en solidarité avec la bande de Gaza, en ciblant les navires qu'ils soupçonnent d'être liés à Israël.
En réponse, Londres et Washington ont mené des frappes notamment sur Sanaa, la capitale du Yémen, pour protéger le commerce international.
>> Lire : Frappes américano-britanniques sur des sites des Houthis au Yémen
Risque pour les marins
A Genève, centre névralgique du négoce, mais aussi première puissance mondiale du commerce maritime grâce à la présence du géant MSC, leader des porte-containers sur les mers, on suit ces évènements de très près.
Pour la secrétaire générale de Suisse négoce Florence Schurch, ce début d’année a commencé sur les chapeaux de roues. "Le risque pour nos marins est élevé, parce que les Houthis attaquent les bateaux sans aucune distinction de nationalité du bateau, du capitaine ou de l’équipage. Ce risque est pris en considération par les assurances, par les armateurs, par les négociants et par l’équipage", a-t-elle affirmé mercredi dans le 19h30 de la RTS.
Hausse des assurances
Face à ce risque qui augmente, les prix de l’affrètement, qui étaient au plus bas en octobre, prennent l’ascenseur.
Les assurances ont classé la mer Rouge zone à risque, et augmenté leur primes en conséquence. Selon l’agence Bloomberg, la prime a grimpé en début d'année de 0,1 à 0,5% de la valeur du chargement. Pour un navire transportant une valeur 100 millions de francs, l’armateur pourrait donc payer 500'000 francs à l’assurance.
Et la situation ne cesse d'évoluer. Selon Jean-Noël André, directeur de Suisse atlantique Group, "les primes changent régulièrement en fonction des risques et des attaques, il est très difficile de planifier quels seront les coûts des assurances dans une semaine, car les primes données sont valables pour 48 heures uniquement."
Une route majeure
Jusqu'à récemment, la plupart des vraquiers optaient encore pour la traversée du canal de Suez. C'est que le passage est important: ce grand carrefour voit passer dans les deux sens environ 12% du commerce mondial. Mais les récentes frappes menées contre les Houthis ont franchi une ligne jaune. "En raison du risque d'escalade, nous ne transitons plus par la mer Rouge, jusqu'à nouvel avis", signale vendredi Jean-Noël André.
L'alternative: contourner l'Afrique par le Cap de Bonne-Espérance. Plusieurs géants du transport maritime mondial avaient déjà pris cette décision peu avant Noël, au point que le trafic des porte-conteneurs en mer Rouge avait chuté d'environ 70%.
Mais ce détour ne rassure pas toujours. Selon Florence Schurch, le déploiement de la coalition internationale en mer Rouge a eu pour conséquence de "vider le reste des côtes de présences militaires", occasionnant "une résurgence des pirates, notamment au large de la Somalie."
Un détour coûteux
Le détour n'est pas sans conséquence sur la bonne marche du commerce mondial. Selon Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d’économie maritime à Saint-Nazaire (F), il représente 7 à 10 jours de navigation supplémentaire.
"Un navire consommera davantage de carburant. Mais habituellement, le passage par le canal de Suez coûte aussi très cher. Cela revient à peu près à la même chose. Sauf qu’il y a une semaine de navigation en plus et avec elle, des coûts qui s’ajoutent. Et il y a une désorganisation du transport maritime. Les armateurs doivent mettre des navires en plus."
Le prix du fret maritime s'envole
Les surcoûts des armateurs seront transférés à ceux qui souhaitent mettre de la marchandise à bord. Résultat, le prix des containers prennent eux aussi l'ascenseur.
Il fallait débourser environ 1000 francs en octobre dernier pour acheminer un container entre l'Asie et l'Europe. Son tarif a presque triplé à près de 3000 francs. Mais le coût du transport reste marginal, si l'on considère la valeur que peuvent contenir certains chargements.
Pour l’heure, le consommateur ne voit pas encore d'effet sur son portemonnaie. Mais si la situation devait perdurer, une répercussion serait quasiment inévitable d'ici quelques mois.
Feriel Mestiri