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Gustavo Petro: "La crise climatique n'est pas une crise de la nature, c'est une crise de l'économie"

Le président colombien Gustavo Petro est un ancien membre d'une guérilla révolutionnaire. [Keystone - Gian Ehrenzeller]
Le président colombien Petro: un ancien guérillero à l'aise à Davos / Tout un monde / 6 min. / le 18 janvier 2024
Le président colombien Gustavo Petro fait partie des chefs d'Etat présents à Davos. Dans un entretien accordé à la RTS, ce dirigeant au profil atypique tire des liens entre destruction de l'environnement, déclin démocratique et les guerres qui s'accumulent. Pour lui, le système économique mondial est au coeur du problème.

Élu en août 2022 à la tête de la Colombie, Gustavo Petro est un ancien guérillero du Mouvement du 19 avril (M-19), un groupe armé révolutionnaire socialiste, nationaliste et pro-démocratie. Il est aussi le premier président de gauche en Colombie, et ce n'est pas la première fois qu'il se rend dans les Grisons pour le Forum économique mondial (WEF).

L'année dernière, il s'était montré critique à l'encontre du rassemblement et des sommes astronomiques dépensées. Il y est pourtant revenu pour y porter une voix alternative.

"L'avantage de Davos, c'est de permettre de comprendre quel est l'état d'esprit, 'l'âme' des cercles de pouvoir, pour saisir les réalités du monde d'aujourd'hui", argue-t-il. Il fait notamment référence à l'idée de "polycrise" apparue l'année précédente, dans la foulée de la pandémie de Covid-19, pour qualifier l'accumulation de crises économiques et géopolitiques qui se nourrissent entre elles.

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"Chacun, qu'il soit journaliste, dirigeant politique ou citoyen ordinaire, devrait pouvoir saisir cet état d'esprit, car il permet d'interpréter la réalité", ajoute l'ancien maire de Bogota.

Démocratiser et équilibrer la lutte climatique

Le président colombien n'est pas simplement venu en spectateur. Il porte avec lui une critique farouche de l'approche occidentale et libérale de la crise climatique et se fait le porte-voix, entre autres, des peuples natifs d'Amérique latine et de leur lien très fort conservé avec la nature.

Gustavo Petro veut ainsi représenter celles et ceux pour qui la lutte contre le changement climatique ne doit pas venir de la technologie. Il estime par ailleurs qu'il ne peut pas y avoir de protection de l'environnement sans extension des droits démocratiques ni lutte contre les inégalités, notamment les disparités Nord-Sud.

"La destruction climatique apporte avec elle des expériences culturelles et politiques très intenses qui mènent à une destruction démocratique du monde, en guise de prélude."

Gustavo Petro, président colombien

Ce discours, il le porte au nom du "Sud global". "Pas parce que cela nous plaît, mais parce c'est devenu nécessaire", dit-il. "C'est le noyau des problèmes contemporains. La crise climatique n'est pas une crise de la nature, c'est une crise de l'économie. C'est un système économique créé par l'humain qui conduit à cette rupture entre l'homme et la nature."

Sur le chemin de la "destruction climatique" documentée par les scientifiques, "il commence à se produire des expériences culturelles et politiques très intenses", observe-t-il. "Et malheureusement, elles ne conduisent pas à une construction démocratique du monde, mais plutôt à sa destruction démocratique, en guise de prélude."

La Palestine, tout un symbole

Ce schisme Nord-Sud, l'ancien guérillero l'observe tout particulièrement sur l'emblématique question palestinienne. Son évolution récente a creusé le fossé entre les deux blocs: Gustavo Petro parle même de point de rupture. D'ailleurs, après les massacres du 7 octobre puis ceux dans la bande de Gaza, la Colombie a rapidement adopté une position sévère vis-à-vis d'Israël (lire encadré).

"Si vous regardez les derniers votes à l'ONU sur la question palestinienne, vous constatez une scission. En observant les votes européens, à quelques exceptions près, et ceux des États-Unis et d'Israël, nous voyons qu'ils dessinent un axe, qui est, qu'on le veuille ou non, pro-génocide et anti-démocratique. Donc à l'opposé de ce qui, pendant des décennies, a été perçu dans la politique mondiale comme l'axe de la démocratie", estime-t-il.

Au WEF, Gustavo Petro a participé mercredi à une table ronde sur cette fracture Nord-Sud aux côtés notamment du président rwandais Paul Kagame, du Premier ministre néerlandais Mark Rutte et du milliardaire Bill Gates.

Et s'il n'espère pas changer le système global, le dirigeant colombien croit en ses chances d'améliorer les choses dans son pays. Pour cela, le WEF fait aussi figure d'étape obligatoire pour proposer des débouchés économiques et attirer des investissements étrangers dans les régions où l'économie illégale est pour l'instant la seule option.

Propos recueillis par Anouk Henry

Texte web: Pierrik Jordan

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Position très claire à l'encontre des massacres à Gaza

Depuis les attaques du 7 octobre contre Israël, le dirigeant de gauche a vivement dénoncé la réaction du pouvoir israélien. Réagissant aux propos du ministre israélien de la Défense qui estimait qu'il combattait "des animaux humains", il a notamment écrit sur X: "Les peuples démocratiques ne peuvent pas permettre au nazisme de se réinstaller dans la politique internationale".

Le 17 octobre, la Colombie avait demandé à l'ambassadeur d'Israël dans le pays de "s'excuser et partir", après les réactions de la diplomatie israélienne à ce commentaire, jugé "hostile et antisémite".

Le 1er novembre, dans la foulée de la Bolivie, le Chili et la Colombie avaient rappelé leurs ambassadeurs en Israël. "Si Israël n'arrête pas le massacre du peuple palestinien, nous ne pouvons pas rester là-bas", avait alors commenté Gustavo Petro.

Politique anti-drogue centrale, mais peu concluante

Dans son pays, Gustavo Petro base aussi une grande partie de son discours sur la réforme des politiques de lutte contre la drogue et contre la narco-criminalité. Mais après 18 mois au pouvoir, le président a dû revoir ses ambitions à la baisse et ne s'attend plus à voir de changements rapides sur ces questions.

"Je ne suis pas naïf", explique-t-il à la RTS. "Pendant le mandat de mon gouvernement, qui ne dure que quatre ans, il n'y aura pas de changements majeurs dans la politique antidrogue mondiale. Pourtant, en tant que Colombiens, je pense que notre voix fait autorité. Les chiffres montrent qu'un million de Latino-Américains ont été assassinés à cause de la drogue, principalement des Colombiens. C'est la région la plus violente du monde, qui subit une véritable destruction démocratique. Des territoires entiers, voire des pays, comme Haïti et d'autres, sont sous domination criminelle", déplore-t-il.

Pour lui, le cas des États-Unis est encore pire: "Paradoxalement, à cause de la politique antidrogue actuelle, les États-Unis ont été touchés par une consommation mortelle de Fentanyl, qui fait 100'000 morts par an. L'échec est retentissant!"

À noter que Gustavo Petro est lui-même soupçonné d'avoir bénéficié de l'argent de la drogue dans sa campagne électorale.

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