"Ça suffit !" a tonné lundi matin la juge en charge du dossier. Après près de deux ans de sursis et de négociations avec les investisseurs, la magistrate Linda Chan a sifflé la fin de la partie. "Considérant l'absence évidente de progrès (...) j'estime qu'il est approprié que le tribunal rende un jugement de liquidation d’Evergrande, et c'est ce que j'ordonne", a tranché cette dernière.
La décision répond aux plaintes des investisseurs étrangers du groupe qui avaient décidé de porter l’affaire en justice après des mois de discussions. Bien que ces créanciers internationaux ne détiennent qu’une part infime des plus de 300 milliards de francs de dette du groupe, l’ordre de liquidation obtenu devrait en principe entraîner la saisie de tous les actifs de l’entreprise. Le produit de leur vente devrait être utilisé pour rembourser les créditeurs lésés.
Conséquences incertaines en Chine continentale
Si ce verdict laisse présager la fin d’Evergrande, dans les faits, son application reste incertaine. La très large majorité des actifs de l’entreprise se trouvent en Chine continentale. Pékin pourrait choisir de ne pas reconnaître la décision de justice. Le Parti communiste tente en effet de dégonfler progressivement une bulle immobilière dont l’éclatement constituerait une menace pour l’économie nationale.
Pour ce faire, les autorités tentent de maintenir à flots les promoteurs, le temps d’assurer la construction et la livraison d’appartements achetés sur plans par des milliers de ménages chinois. Une liquidation précipitée restreindrait le contrôle du pouvoir dans ce processus et contribuerait à accroître l’inquiétude des investisseurs chinois. D’autant plus qu’une cinquantaine de promoteurs ont enregistré un ou plusieurs défauts de paiements ces derniers mois et tentent de négocier la restructuration de leurs dettes.
Dilemme pour les autorités chinoises
Jusqu’en 2021, le secteur de la construction était l’un des piliers de l’économie chinoise. Le secteur immobilier et les activités relatives pesaient à eux seuls près de 25% du produit intérieur brut.
Source de croissance, la frénésie du secteur a longtemps été encouragée par le pouvoir, engendrant investissements massifs et spéculation. A partir du début des années 2000, de nombreux ménages chinois ont engouffré leurs économies dans l’achat de logements, un investissement perçu comme plus stable et plus sûr que les marchés boursiers – très volatils en Chine. Face à l’explosion de la demande, les promoteurs se sont mis à réinjecter massivement leurs revenus dans de nouveaux projets. La vente de biens avant même le début des travaux s’est petit à petit généralisée, exposant les acheteurs à un risque de pertes important.
Désireuses de limiter l’expansion de la bulle spéculative, les autorités ont entrepris de brider les constructeurs en leur imposant d’importantes limites d’accès au crédit. Couplé au ralentissement économique, accentué par la pandémie et la stratégie zéro-Covid draconienne du pouvoir, la mesure a fortement prétérité les entrepreneurs du secteur.
Le frein brutal des dépenses des ménages ces dernières années a en outre contribué à réduire considérablement les revenus des promoteurs. Résultat: beaucoup se retrouvent dans l’incapacité d’honorer leurs dettes. Un problème pour plus de 4000 banques chinoises qui seraient aujourd’hui surexposées. Les autorités locales se retrouvent également étroitement liées financièrement à nombre d’acteurs du secteur.
Michael Peuker