Arnaque aux investissements: le réseau secret derrière les fausses publicités de célébrités
"Tu arrives sur cette plateforme et tout semble si réel", raconte Stefan Boss, un mécanicien en motos habitant dans le Seeland bernois. Il a déposé 21'000 francs sur un site web appelé InvesaCapital, et n'a jamais revu cette somme. Ce n'est que plus tard qu'il a réalisé avoir été victime d'une arnaque.
SRF Investigativ, la cellule enquête de SRF, a débusqué un vaste réseau de plateformes qui poussent les clients à investir toujours plus. Les victimes sont hameçonnées par une publicité sur les réseaux sociaux mettant en scène une célébrité sur les réseaux sociaux. Pour Stefan Boss, il s'agissait d'une fausse annonce avec le comédien et animateur alémanique Stefan Büsser. Dans d'autres cas, on trouve une publicité avec Roger Federer, soi-disant en prison, ou une autre avec l'ex-Miss Suisse Christa Rigozzi avec un faux œil au beurre noir.
De telles annonces avec des personnalités suisses – y compris des présentateurs de la RTS – faisant la promotion d'opportunités d'investissement prétendument lucratives ont inondé les réseaux sociaux durant des mois. Mais ces célébrités n'y sont pour rien. Leurs photos sont utilisées de manière abusive, les interviews sont inventées de toutes pièces. Dans ces affaires, les fils se rejoignent à Chypre, souligne SRF Investigativ dans une enquête publiée début juillet.
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Stefan Boss est loin d'être la seule victime. InvesaCapital fait l'objet de nombreuses évaluations négatives sur le service d'évaluation en ligne Trustpilot, dont certaines datent encore de la fin juillet. De nombreux utilisateurs accusent la plateforme de fraude et d'arnaque. Une image similaire se dégage pour les plateformes d'investissement OBRInvest, ForexTB, Inefex et InvestMarkets. Investous et 24Option, désormais hors ligne, s'en sortent également mal.
SRF Investigativ s'est entretenu avec trois anciens collaborateurs de ces plateformes. Ceux-ci indiquent que l'objectif est de manipuler et de faire pression sur les clients par téléphone pour qu'ils versent toujours plus d'argent. "Celui qui est assez stupide pour investir ici ne mérite rien d'autre que de se faire arnaquer." C'est ainsi que l'une de ces personnes décrit l'atmosphère qui régnait sur son lieu de travail à l'époque.
Rien qu'en Suisse alémanique, les ministères publics confirment des dizaines de plaintes pénales en lien avec les prétendues plateformes d'investissement du réseau de Chypre. Les montants des dommages dénoncés s'élèvent souvent à plusieurs dizaines de milliers de francs, voire à plus de 100'000 francs dans certains cas. Mais les procédures sont souvent suspendues, car les auteurs sont basés à l'étranger et ne peuvent pas être identifiés par les autorités.
SRF Investigativ a identifié sept plateformes dont la structure est presque identique : Inefex, InvesaCapital, InvestMarkets, ForexTB, OBRInvest, Investous et 24Option. Le registre du commerce chypriote révèle également des liens évidents entre les sociétés qui se cachent derrière. Deux personnes apparaissent régulièrement et occupent différentes fonctions au sein de ces plateformes.
Toutes ces plateformes avertissent qu'il s'agit de paris financiers à haut risque et indiquent qu'elles ne font aucune recommandation d'achat de produits financiers. Ces avertissements contrastent toutefois fortement avec les promesses contenues dans les fausses annonces de célébrités et les conversations téléphoniques décrites par les personnes concernées, au cours desquelles ces dernières affirment avoir été poussées à investir.
Pour les besoins de l'enquête, SRF Investigativ a également créé un compte sous un faux nom et a été incité à investir davantage. Au terme des recherches, la plateforme a toutefois remboursé l'investissement, bénéfice compris.
SRF Investigativ a confronté toutes les plateformes aux allégations concernant leurs pratiques commerciales et leur appartenance au réseau. Malgré des demandes répétées, aucune des plateformes n’a répondu aux questions. Les personnes inscrites au registre du commerce n'ont pas non plus répondu.
De nouvelles plateformes créées
Lorsqu'une plateforme fait l'objet de rapports ou de procédures négatifs, le réseau semble créer de nouveaux sites web avec un modèle commercial presque identique et fait partiellement disparaître les anciens. Le cas de 24Option, l'une des plateformes du réseau aujourd'hui hors ligne, en est l'exemple. Deux anciens employés de cette plateforme ont été reconnus coupables d'escroquerie par métier en Allemagne l'année dernière.
24Option était actif dans toute l'Europe, se donnait un air sérieux et était même partenaire officiel du club de football de la Juventus de Turin.
Des perquisitions et des arrestations ont fait suite à une enquête menée par ARD sur 24Option. Deux collaborateurs ont été condamnés à des peines de prison par le tribunal régional de Cologne. La cour a écrit que les accusés ont trompé leurs clients sur le risque de perte et que la relation avec les clients était conçue pour les tromper. SRF Investigativ a pu consulter le jugement.
Au début de l'été, le parquet de Cologne a indiqué qu'il enquêtait toujours sur des dizaines de prévenus en rapport avec 24Option. Tous les prévenus bénéficient de la présomption d'innocence.
Quel est le rôle de K.C. Firiakis Services Ltd?
Le directeur général de 24Option était un homme d'affaires domicilié à Chypre, selon le registre du commerce. Cet homme est également au coeur du réseau de plateformes identifié par SRF Investigativ.
L'homme d'affaires est également propriétaire de K.C. Firiakis Services Ltd. Sur LinkedIn, d'anciens collaborateurs ont décrit de manière très détaillée leurs activités pour cette société. Ces descriptions montrent que cette entreprise basée à Chypre est essentielle pour le réseau d'arnaqueurs. D'après ces messages, K. C. Firiakis mettrait également en place de nouvelles plateformes, définirait pour celles-ci des objectifs de chiffre d'affaires et coordonnerait les entreprises et les personnes impliquées dans le réseau.
Interrogé par SRF Investigativ, K. C. Firiakis Services Ltd a rejeté ces allégations, les qualifiant de "fausses accusations non prouvées". L'entreprise ne serait pas impliquée dans un réseau et ne connaîtrait pas non plus toutes ces plateformes. De même, K.C. Firiakis ne s'intéresserait pas aux processus internes des plateformes. Ils ne toléreraient pas la fraude.
En ce qui concerne le lien avec 24Option, K.C. Firiakis a indiqué être une entreprise indépendante qui n'a rien à voir avec 24Option. Les liens de personnes dans le registre du commerce ne prouvent rien, a ajouté la société, précisant que Chypre est un petit pays. Le propriétaire de K.C. Firiakis Services n'a pas répondu aux demandes de SRF Investigativ.
Dans cette affaire, la plus grande inconnue est le destinataire des fonds. Où va l'argent et qui en profite? Le mystère reste entier.
"Contre qui dois-je porter plainte?"
Stefan Boss, lui, a passé l'argent qu'il avait investi par pertes et profits. "Contre qui dois-je porter plainte? Contre InvesaCapital? Est-ce que ça existe vraiment?", se demande le mécanicien seelandais.
En effet, comme le montre l'enquête de SRF Investigativ, ces pratiques vont bien au-delà des plateformes. Il s'agit d'un réseau. "C'est une procédure typique. On laisse une plateforme aller dans le mur, on la ferme et on en ouvre une autre. Cela signifie que la machine continue à fonctionner, simplement sous un autre nom", commente un connaisseur du système.
Fabian Kohler et Conradin Zellweger, SRF Investigativ, en colaboration avec Christodoulos Mavroudis
Adaptation en français: Didier Kottelat
Comment fonctionne l'arnaque?
Les fausses annonces avec des célébrités mènent à des articles falsifiés qui ressemblent à s'y méprendre à de vrais contenus médiatiques. Ces faux articles permettent de s'inscrire à une prétendue plateforme d'investissement où l'on promet des gains importants et faciles à réaliser. Typiquement, on est invité par téléphone à verser 250 francs immédiatement après l'inscription.
De nombreuses personnes concernées racontent qu'elles ont effectivement réalisé des gains importants au début, mais qu'elles n'ont pas pu les récupérer. Au final, l'investissement se solderait souvent par une perte totale.
Souvent, les victimes ne comprennent pas clairement que l’argent n’est pas investi en bourse, mais qu’il s’agit plutôt de paris financiers hautement spéculatifs. Ce qui se passe exactement dans les coulisses n’est pas clair. Contrairement à ce que promettent les fausses publicités, il n’y a aucune réelle chance de gagner. De prétendus courtiers font pression sur les clients pour qu'ils déposent toujours plus, grâce à des appels fréquents et des techniques de manipulation.
Quelle est l'ampleur des dégâts?
Le réseau chypriote n'est pas le seul à procéder de la sorte. Il existe des centaines de plateformes de ce type. Rien que l'année dernière, ces sites ont soutiré 142,6 millions de francs à des personnes en Suisse. C'est ce que révèlent les données du Réseau national de soutien aux enquêtes dans la lutte contre la criminalité informatique (NEDIK).
Il ne s’agit probablement que d’une fraction des dégâts. Les autorités de poursuite pénale estiment que le nombre de cas non signalés est très élevé. Beaucoup de personnes concernées auraient honte d’être tombées dans le piège et ne porteraient pas plainte.
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Cet article est initialement paru en allemand sur le site de la chaîne publique de Suisse alémanique SRF et a été traduit par la rédaction de "dialogue". Vous pouvez lire l’article original sur SRF News.
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