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Des craintes autour de la nouvelle franchise d'impôt pour les achats à l'étranger

Tourisme d’achat
Tourisme d’achat / Mise au point / 12 min. / le 27 octobre 2024
Si la baisse de la limite des achats à l'étranger non taxés ravit les commerces locaux des cantons frontaliers, elle fait craindre une nouvelle pression financière sur les ménages, dont certains envisagent déjà de modifier leurs habitudes d'achat pour contourner la mesure.

Passer la frontière pour payer ses courses moins chères, l'habitude est bien ancrée dans les cantons frontaliers avec la zone euro. A Genève, plus de 50'000 véhicules franchissent chaque jour la douane de Bardonnex. Lors des contrôles, le personnel vérifie l'ensemble du véhicule arrêté afin de sanctionner une éventuelle infraction volontaire ou involontaire.

"Sur l'alimentaire, les gens atteignent rarement les 300 francs. Sur des habits, des lunettes ou des petits achats qui dépassent 300 francs, cela arrive souvent qu'on mette des amendes, parce que les gens ne déclarent pas la marchandise", indique un douanier dans l'émission de la RTS Mise au point.

Et cette limite sera bientôt plus stricte. Dès le 1er janvier prochain, la franchise d'impôt pour les achats à l'étranger passera de 300 à 150 francs par jour et par personne, comme l'ont voulu la majorité des cantons et des milieux économiques. Certains étaient même prêts à baisser davantage cette limite, tant ils estiment que le tourisme d'achat coûte aux commerces du pays. En Suisse, ce phénomène est évalué à plus de 10 milliards de francs par an.

>> Lire à ce sujet : La limite des achats à l'étranger non taxés passera de 300 à 150 francs dès le 1er janvier 2025

"Les fins de mois sont dures"

L'érosion du pouvoir d'achat est une réalité dans l'ensemble du pays. Un tiers des ménages helvétiques s'inquiètent de leurs fins de mois. Ce durcissement va donc vraisemblablement renforcer la pression sur les nombreux Suisses et Suissesses habitués à faire leurs commissions à l'étranger.

"J'ai une famille de sept personnes à nourrir. La différence est très grande entre les courses en Suisse et en France", témoigne une Vaudoise sur le parking d'un supermarché de la commune française de Divonne-les-Bains. Elle estime cette différence "entre 30 et 40% selon les articles". "Les fins de mois sont dures. Malheureusement, tout augmente et il faut tout de même continuer à se nourrir et nourrir les enfants", renchérit une autre mère de famille.

"Tout est meilleur marché [en France]. Même si ça a un peu augmenté depuis le Covid, cela reste dans les limites du raisonnable", explique aussi Jean-Claude, un habitant de Porrentruy (JU) qui se rend en France voisine pour faire ses courses depuis plus de 20 ans.

La mesure s'attaque aux symptômes et non aux causes du tourisme d'achat

Jean Busché, spécialiste en économie à la FRC

Le septuagénaire a intensifié ses trajets vers la petite commune frontalière de Delle depuis sa retraite. "Je pourrais [m'en sortir] à Porrentruy, mais si je peux mettre un peu d'argent de côté, c'est bien aussi. Par exemple pour payer l'assurance maladie."

Une mesure "inutilement chicanière"

Après l'annonce de l'abaissement de la franchise d'achats à l'étranger, certains élaborent déjà des stratégies afin de contourner la nouvelle règle, comme doubler la fréquence des commissions sur une période donnée ou se rendre aux courses à plusieurs pour pouvoir dépenser davantage.

Pour Jean Busché, spécialiste en économie à la Fédération romande des consommateurs (FRC), la nouvelle mesure manque complètement sa cible. "Elle s'attaque aux symptômes et non aux causes de ce tourisme d'achat: des prix trop élevés en Suisse et un manque criant de concurrence dans la grande distribution", pointe l'expert.

"Nous estimons qu'il s'agit d'une mesure inutilement chicanière. Après plus de deux ans d'inflation, alors que la Suisse est un îlot de cherté et que certains médicaments coûtent quatre, voire cinq fois plus cher en Suisse, c'est une énième atteinte à la liberté des consommatrices et des consommateurs sur le lieu où ils peuvent réaliser ou non leurs achats", ajoute-t-il.

Le commerce local sous pression

Au-delà des prix, l'accessibilité des parkings et les horaires étendus des supermarchés français représentent une concurrence pour les cantons frontaliers. "Nous avons aussi des charges et nous devons pouvoir payer nos employés. On l'a vu avec le Covid, lorsque tout était fermé, les Genevois se sont rués sur la proximité, nous n'arrivions plus à suivre. Puis quand tout a rouvert, cela a chuté", regrette une vendeuse interrogée sur le marché de Rive à Genève.

Pour Flore Teysseire, secrétaire patronale de Genève Commerce, l'une des associations qui s'est battue pour faire passer la nouvelle limite de taxation, il ne faut pas "encourager" le tourisme d'achat. Au contraire, "pour que nos centres-villes restent accueillants et ne deviennent pas des zones fantômes, il est important de redynamiser et [favoriser] le commerce local", estime-t-elle.

Le tourisme d'achat fait partie d'une culture depuis des années dans le Jura. Cette spécificité n'est parfois pas reconnue au niveau fédéral

 Jacques Gerber, ministre jurassien de l'Economie

Le tourisme d'achat préoccupe également les autorités jurassiennes. Avec les cantons frontaliers de Thurgovie et de Saint-Gall, le Jura plaidait pour la suppression pure et simple de la franchise-valeur.

"On sent actuellement une espèce de lassitude. La consommation est extrêmement faible. Il y a un certain nombre d'entreprises qui utilisent le système de chômage partiel et il y a un tournus dans les exploitants des commerces et des restaurants", constate Jacques Gerber, ministre jurassien de l'Economie. "Le tourisme d'achat fait partie d'une culture depuis des années. Et cette spécificité n'est parfois pas suffisamment reconnue au niveau des instances fédérales."

Du côté des commerçants, on salue la décision du Conseil fédéral. Certains se montrent toutefois compréhensifs face aux difficultés des ménages. "Pour nous, c'est une très bonne nouvelle. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a toute une population qui a besoin de faire ses achats en France pour pouvoir vivre", souligne Philippe Miège, boucher à Coppet (VD).

>> Revoir le débat de Forum sur le tourisme d'achat :

Le grand débat - Faut-il davantage taxer le tourisme d'achat?
Le grand débat - Faut-il davantage taxer le tourisme d'achat? / Forum / 16 min. / le 25 août 2023

Sujet TV: Noémie Guignard

Article web: Isabel Ares

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