Quand un restaurant doit recourir au chômage technique, ses employées et employés touchent 80% de leur salaire, mais uniquement de leur salaire déclaré: pas question pour l'assurance chômage de compenser un montant sur lequel elle n'a jamais perçu de cotisation.
De nombreuses personnes l'ont appris à leurs dépens pendant la pandémie de Covid, lorsqu'elles se sont vues privées de 20% de leur salaire et de 100% de leurs pourboires. Le choc financier aurait ainsi été moins grand si elles avaient déclaré les centaines de francs gagnés chaque mois à coups de quelques francs ou centimes.
Une règle difficile à contrôler
Dans la pratique actuelle, ces revenus annexes ne sont généralement pas déclarés. Pourtant, légalement, ils devraient l'être dans certains cas. La loi sur l'AVS impose de déclarer les pourboires "qui représentent une part importante du salaire". Cette règle a longtemps été difficile à contrôler.
Or, désormais, avec l'augmentation des paiements par carte, les pourboires sont toujours plus traçables. L'OFAS réfléchit donc à de nouvelles dispositions pour intégrer plus systématiquement la "bonne-main" au revenu déclaré dans les domaines comme la restauration, les taxis ou la coiffure.
Selon les estimations de l'OFAS, cela représenterait un milliard de francs au total.
"Pas un salaire"?
Au niveau des employés, le bénéfice d'une réforme dépend des situations personnelles et des effets de seuil. Parmi les potentiels gagnants, certains travailleurs à temps partiel pourraient alors gagner juste assez pour cotiser à la LPP. Et profiter ainsi, un jour, de cet argent mis de côté. Les retraites, les rentes invalidité ou de veuvage et les indemnités-journalières seraient également meilleures.
Mais cette potentielle réforme est déjà contestée, notamment par GastroSuisse qui estime que le pourboire est "une affaire entre le client et le collaborateur" et qu'il ne s'agit pas d'un salaire, mais d'un "geste d'estime pour reconnaître une attention particulière ou un service supplémentaire".
Dans beaucoup d'établissements toutefois, les pourboires sont collectivisés puis partagés entre les serveurs et les serveuses, voire au-delà, jusqu'en cuisine ou au personnel d'entretien.
"Usine à gaz"?
D'autres s'inquiètent d'une charge administrative supplémentaire. "Devoir déclarer sur chaque personne un pourboire, savoir s'il a été reçu ou pas, ça fait une usine à gaz supplémentaire", estimait lundi dans Forum l'hôtelier-restaurateur Pierre-André Michoud, président de la Société industrielle et commerciale d'Yverdon-les-Bains. "Je pense qu'il ne faut pas mettre ce chiffre d'un milliard en évidence, mais plutôt le travail supplémentaire qui devra être fait."
"Il n'y a pas que des défauts dans l'idée", répondait Samuel Bendahan, économiste et conseiller national socialiste vaudois, concédant toutefois que cela entraînera des démarches supplémentaires et le risque de retirer du revenu mensuel à des travailleurs et des travailleuses déjà souvent précaires. "Faire juste cette réforme sans rien d'autre, je pense que c'est dangereux parce qu'on va précariser des gens qui sont déjà dans des situations difficiles."
Mais d'un autre côté, estime-t-il, "il faut aussi se demander si c'est normal que deux personnes qui gagnent exactement le même salaire ne paient pas la même charge d'impôts. Si vous avez 2300 francs de revenus dans un métier sans pourboires, vous ne payez pas le même impôt qu'une personne qui a 2300 francs avec un pourboire. Dans l'absolu, ce n'est quand même pas génial non plus."
Sujet radio: Romain Carrupt
Texte web: jop
Ne pas tomber dans les travers des Etats-Unis
"Je ne vous cache pas que j'ai toujours été très sceptique par rapport à la logique de cette espèce de rémunération fantôme que sont les pourboires", soulignait également Samuel Bendahan dans Forum. "En Suisse, ça va encore, mais quand on voit dans quelle direction ça va aux États-Unis, où on commence à demander des pourboires de 25-30% pour un tas de choses, parfois où il n'y a même pas de service, parce que les salaires sont horriblement bas, ça devient insoutenable", alerte-t-il.
"En tant que client, j'avoue que c'est beaucoup plus agréable d'être dans un pays où il n'y a pas de pourboire, où on sait que les salaires sont suffisamment bons pour vivre décemment" et que ce n'est donc pas "mal vu" de ne rien donner en plus, poursuit-il. "En Suisse, on est un peu dans un entre-deux: il y a une pratique de pourboire mais pas hyper exagérée. C'est clair que la meilleure solution serait d'augmenter les salaires de base."
Pour Pierre-André Michoud aussi, il est important de ne pas tomber dans les travers des États-Unis. "Chez nous, le service est inclus, ça veut dire que (...) le pourboire est quelque chose en plus, c'est un remerciement de la part de du client", dit-il. "Voilà pourquoi ce nouveau système qu'on a sur les cartes de crédit, qui permet de donner X% de pourboire, me gêne. Là, on arrive sur un système très américain qui n'est pas du tout adapté. En règle générale, en Suisse, on préfère arrondir un montant."
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