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L'envers du décor de la mode "made in Italy" dont la Suisse raffole

Qualité des vêtements : à quoi faut-il être attentif lors du shopping ?
Qualité des vêtements : à quoi faut-il être attentif lors du shopping ? / A bon entendeur / 29 min. / le 3 septembre 2024
Alors que l’Italie est le deuxième exportateur de vêtements en Suisse, le secteur de la mode "made in Italy" est régulièrement entaché de scandales. Ateliers de production vétustes, normes de sécurité pas respectées, travailleurs illégaux, même les marques prestigieuses sont concernées.

Les Suisses et les Suissesses sont dingues de fringues. En 2023, le pays figurait à la deuxième place en termes de dépenses par habitant pour les vêtements et les chaussures, juste derrière le Luxembourg. En moyenne, un Suisse achète 60 nouvelles pièces chaque année.

L’immense majorité des vêtements vendus en Suisse est fabriquée à l’étranger. Chine en tête, suivie par l’Italie. Si la production transalpine est tant appréciée, c’est pour son célèbre design, son image glamour liée à la haute-couture, mais aussi pour sa qualité.

Enormément d’ateliers emploient illégalement leur main d’œuvre. Par exemple, vous engagez un ouvrier 3 heures par semaine, ainsi il a un petit contrat et tout le reste est payé au noir, 2 à 3 euros de l’heure

Audrey Millet, historienne de la mode

Mais la réalité de certains ateliers de confection est tout sauf glamour. A Prato, petite ville de la banlieue de Florence, les Chinois règnent sur la confection vestimentaire. La communauté chinoise y est la troisième plus importante d’Europe, après celles de Paris et de Londres. Elle gère les innombrables ateliers d’où sortent chemises, sacs et manteaux "made in Italy" grâce, entre autres, à une main d’œuvre précaire d’immigrés africains ou pakistanais.

Pour réduire encore les coûts, certains patrons proposent à leurs employés de dormir sur place. Une équipe de l’émission A Bon Entendeur a pu pénétrer dans ces ateliers, munie d’une caméra cachée. A l’intérieur, une chaleur étouffante, des systèmes de ventilation défaillants et de l’insalubrité.

Un atelier chinois dans la ville de Prato. [ABE (capture d'écran)]
Un atelier chinois dans la ville de Prato. [ABE (capture d'écran)]

Des conditions de production qui font bondir Audrey Millet, historienne de la mode et très bonne connaisseuse de Prato: "Enormément d’ateliers emploient illégalement leur main d’œuvre. Par exemple, vous engagez un ouvrier 3 heures par semaine, ainsi il a un petit contrat et tout le reste est payé au noir, 2 à 3 euros de l’heure."

Abdoul est l’un de ces ouvriers. Il y a sept ans, il a quitté la misère de sa Côte d’Ivoire natale pour rejoindre l’Europe. Après un périple de tous les dangers, il se retrouve en Italie, sans statut légal. Engagé par un patron chinois dans un atelier de confection, il travaille de 8h à 20h pour un salaire de 30 euros par jour: "Je n'avais pas d'autre opportunité. Je travaillais même le dimanche. On était beaucoup à travailler là-bas."

Et les marques dans tout ça?

Prato a mauvaise presse, alors les marques disent ne pas travailler avec ce genre d’ateliers de fortune. Surtout celle de luxe. Mais plusieurs affaires montrent que la réalité est plus nuancée. Ainsi, en 2014, Gucci a été accusé de sous-traiter à des entreprises chinoises qui sous-payaient leurs ouvriers. En 2019, on découvre que Burberry et Prada passent commande à un fournisseur, qui sous-traite à son tour à un atelier dans lequel les ouvriers dorment sur place. Idem pour Armani en janvier 2024 et pour Dior il y a quelques semaines.

Rien de très surprenant pour Abdoul: "Je faisais des habits qu'on a l'habitude de voir dans les magasins. Nike, Adidas… D'autres disaient qu'ils faisaient du Gucci, d'autres disaient d’autres marques. Dans les magasins, je voyais les mêmes chemises que je faisais."

On exige de tout nouveau fournisseur qu’il remplisse un formulaire intégrant un code de conduite avec un certain nombre de critères en termes d’impact sur l’environnement, de conditions de travail et de conditions sociales

Loïc Brunschwig, directeur général de Bongénie

En Suisse, les magasins haut de gamme Bongénie distribuent certains produits de marques mises en cause: Burberry ou Nike.

"C'est affligeant. Très regrettable", commente Loïc Brunschwig, directeur général de Bongénie, en référence aux conditions de production de certains ateliers clandestins. "J'imaginais bien que ces conditions étaient pratiquées dans la fast fashion parce que pour vendre des t-shirts en Suisse à 8 ou 11 francs, vu les loyers et les coûts, il est évident [qu'il faut] des conditions non éthiques et horribles. Je suis assez étonné qu'il y ait autant de marques d'ultra luxe - qui n'ont pas besoin de coûts de production aussi faibles - qui utilisent ces méthodes."

En sa qualité de revendeur, le groupe assure déployer des efforts importants pour vérifier la traçabilité des vêtements et accessoires, malgré le manque de transparence du secteur.

"On exige de tout nouveau fournisseur qu’il remplisse un formulaire intégrant un code de conduite avec un certain nombre de critères en termes d’impact sur l’environnement, de conditions de travail et de conditions sociales. Et on n’entre pas en relation avec un fournisseur tant que ce document ne nous est pas retourné daté et signé", indique Loïc Brunschwig.

A noter que de toutes les marques citées dans le reportage, Adidas est la seule à avoir répondu aux sollicitations de la RTS. Elle affirme ne pas avoir de fournisseurs à Prato.

Stéphane Fontanet, Linda Bourget

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Test de qualité: Zara aussi bien que Dolce & Gabbana

Le prix fait-il la qualité d’un vêtement? Pour le savoir, l’émission A Bon Entendeur a fait tester dix modèles de t-shirt en coton noir vendus en Suisse romande, de l’entrée de gamme aux produits de luxe. Et surprise: le plus cher du lot, un t-shirt floqué Dolce & Gabbana acheté 550 francs sur la plateforme en ligne bongenie.ch, arrive ex aequo avec le modèle de chez Zara, qui ne coûte que 10.90 francs, soit 50 fois moins cher.

"Il est évident que dans le monde du luxe, le prix n’est pas uniquement déterminé par la qualité et les coûts de production", commente Loïc Brunschwig, directeur de Bongénie. "Par définition, le luxe n’est pas quelque chose dont on a besoin, c’est quelque chose qu’on désire et c’est là que les marques très haut de gamme sont extrêmement fortes."

Et le patron d’ajouter: "En tant que revendeur, pour la plupart de nos marques, on ne détermine pas nous-mêmes les prix de vente finaux des articles. Même si la loi interdit aux marques de nous imposer des prix, on nous envoie des prix recommandés et si on dévie de ces prix de vente recommandés, la marque nous retirera très certainement ses produits la saison suivante."

En tête du classement se trouvent deux t-shirts haut de gamme: Kenzo (130 francs) et Moncler (240 francs), ce dernier également vendu sur bongenie.ch. C’est le modèle d’H&M, meilleur marché de l’échantillon, qui ferme la marche.