Modifié

L'humour, une arme efficace pour lutter contre le sexisme inconscient en entreprise

L'invitée de La Matinale - Claire Garwacki, fondatrice du cabinet de recrutement Bellevue Executive Search
L'invitée de La Matinale - Claire Garwacki, fondatrice du cabinet de recrutement Bellevue Executive Search / La Matinale / 14 min. / le 6 mars 2024
Dans le monde du travail en 2024, les femmes font encore trop souvent l'objet de préjugés inconscients. Une situation que Claire Garwacki, chasseuse de tête et fondatrice du cabinet de recrutement Bellevue Executive Search, a voulu dénoncer dans son projet vidéo aux teintes humoristiques "In Her Chair" et dans lequel dix CEO suisses masculins répondent à des questions qui ne sont normalement posées qu'aux femmes.

"Vous êtes beau, pensez-vous que votre physique vous a aidé dans votre carrière?", "Comment faites-vous pour être élégant, professionnel, mais pas trop sexy?", "Quelle est votre réaction si quelqu'un flirte avec vous au bureau?", "Comment ça se passe avec votre SMI (syndrome du mâle irritable qui est l'équivalent du syndrome prémenstruel, ndlr)?"

Imaginez que ces questions très stéréotypées - fréquemment posées aux femmes au travail, la plupart du temps dans un contexte informel -, soient pour une fois adressées à des hommes, et en l'occurrence aux plus grands directeurs d'entreprises du pays comme Rivella, Ticketcorner, Sandoz, Swisspor, Batmaid ou encore Migros?

C'est ce qu'a osé faire "In Her Chair", un projet vidéo suisse sur les préjugés inconscients au travail. "Toutes ces questions sont basées sur des situations réelles", explique mercredi au micro de La Matinale Claire Garwacki, l'initiatrice du projet. Et elle sait de quoi elle parle. En tant que chasseuse de tête et fondatrice du cabinet de recrutement Bellevue Executive Search, on la mandate depuis 12 ans pour dénicher des experts-comptables, des directeurs financiers et autres cadres.

Les droits des femmes à l'honneur le 8 mars

Alors qu'on célébrera vendredi 8 mars la journée internationale des droits des femmes, la vidéo "In Her Chair" a été publiée ce mardi sur internet. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les réactions des plus grands patrons du pays face aux questions qui leur sont posées - entre sourires gênés, silences et visages crispés - invitent à la réflexion et au rire (jaune). L'humour est d'ailleurs un élément central, selon elle, pour permettre une prise de conscience. Car on parle ici non pas de discrimination ouvertement exprimée, mais d'un "biais cognitif inconscient" que la dérision permet justement de mettre en exergue.

Encore dernièrement, j'ai entendu l'histoire d'une codirectrice financière à qui on a demandé de ne surtout pas s'attacher les cheveux. On lui a dit qu'elle allait paraître trop sérieuse, trop dure et que ça n'est pas bien pour une femme

Claire Garwacki, l'initiatrice du projet "In Her Chair"

"Cela peut être des compliments, des petites réflexions, venant d'ailleurs autant des hommes que des femmes, qui mettent systématiquement les femmes dans un rôle de femme et les hommes dans un rôle d'homme. Ce qui aujourd'hui, en 2024, pose problème", note-t-elle. Avant d'ajouter que c'est le résultat de notre évolution. "On va traiter notre environnement avec des automatismes, ça nous fait gagner du temps, c'est un mécanisme de survie très utile. Ces stéréotypes inconscients ne sont toutefois plus pertinents du tout aujourd'hui."

Encore du chemin

Mais il reste encore du chemin avant de pouvoir se défaire définitivement de cette vision stéréotypée de la femme dans le monde du travail, déplore Claire Garwacki. "Encore dernièrement, j'ai entendu l'histoire d'une codirectrice financière à qui on a demandé de ne surtout pas s'attacher les cheveux. On lui a dit qu'elle allait paraître trop sérieuse, trop dure et que ça n'est pas bien pour une femme", raconte-t-elle.

Le jour du tournage, une bonne partie de l'équipe de la direction de la société Hero a passé plusieurs heures à discuter du sujet, se disant qu'il fallait faire quelque chose pour changer la situation

Claire Garwacki, l'initiatrice du projet "In Her Chair"

Mais le pire, c'est que même les CEO les plus brillants du pays, qui ont a priori réussi leur carrière, n'ont pas toujours conscience du problème, souligne-t-elle encore. "Et implicitement, la vidéo montre que si une femme se trouve embêtée par une situation ou une question, ce n'est pas parce qu'elle gère mal son stress ou ses émotions, mais c'est que la question ou la situation elle-même est inconfortable."

Si les directeurs d'entreprises interviewés n'avaient pas été prévenus au préalable de l'expérience, ils se sont tous prêtés au jeu, suscitant souvent après coup une prise de conscience chez eux. "Par exemple, le jour du tournage, une fois la caméra rangée, une bonne partie de l'équipe de la direction de la société Hero a passé plusieurs heures à discuter du sujet, se disant qu'il fallait faire quelque chose pour changer la situation. Hero était la première entreprise qu'on a interviewée et ça nous a donné du courage pour la suite", se réjouit-elle.

Propos recueillis par Pietro Bugnon

Adaptation web: Fabien Grenon

Publié Modifié