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L’industrie horlogère met la pression sur les intérimaires

L’industrie horlogère met la pression sur les intérimaires
L’industrie horlogère met la pression sur les intérimaires / Mise au point / 13 min. / le 13 octobre 2024
Selon certains experts, une crise s'annonce dans l'horlogerie suisse. Les travailleurs temporaires, très nombreux dans ce secteur, sont les premières victimes de cette situation. Ils se retrouvent davantage sous pression, avec la menace encore plus forte de ne pas être rappelés.

Après trois années de croissance spectaculaire, une crise se profilerait dans l'horlogerie en raison notamment de la baisse de la demande chinoise. Depuis janvier, les exportations de montres suisses vers la Chine ont en effet plongé de 21,1% et de 18,6% vers Hong-Kong. Et les prévisions pour les prochains mois restent très défavorables pour ces deux marchés, selon la Fédération horlogère suisse.

>> Lire aussi : Une crise sévère attend le secteur de l'horlogerie ces prochains mois en Suisse

Les sous-traitants de l'industrie horlogère, touchés de plein fouet, sont donc de plus en plus nombreux à avoir recours au chômage partiel. Dans le Jura, pas moins de 41 entreprises ont utilisé la réduction de l'horaire de travail (RHT) de janvier à juillet, selon les données disponibles sur le site de l'assurance-chômage travail.swiss, soit sept fois plus qu'à la même période en 2023.

Dégradation des conditions de travail

Certains groupes horlogers ont trouvé une autre parade face aux fluctuations du marché: l'emploi temporaire. Le syndicat Unia dénonce une dégradation des conditions de travail engendrée par ce type de contrats. En cas de conjoncture défavorable, les entreprises peuvent en effet se défaire de leurs employés temporaires sans devoir invoquer de motif.

"La vie d'un travailleur temporaire, c'est aussi avoir sans arrêt peur de perdre son emploi", a expliqué dimanche dans l'émission Mise au point de la RTS Raphaël Thiémard, responsable du secteur horloger chez Unia. "Donc ça veut dire se taire, aller travailler malade, ne pas oser dire que les conditions de sécurité ne sont pas remplies".

La vie d'un travailleur temporaire, c'est aussi avoir sans arrêt peur de perdre son emploi

Raphaël Thiémard, responsable du secteur horloger chez Unia

Le travail temporaire permet également aux employeurs de contourner les dédommagements en cas de licenciement collectif. "On a vu des entreprises qui ont pris l'option d'engager des temporaires en grand nombre pour pouvoir beaucoup plus facilement les licencier sans que ce soit considéré comme des licenciements collectifs. C'est juste des fins de mission", ajoute Raphaël Thiémard.

Epée de Damoclès

Les travailleurs intérimaires sont sous pression constante lorsqu'ils sont en mission dans une entreprise, témoigne une Neuchâteloise souhaitant garder l'anonymat. [RTS]
Les travailleurs intérimaires sont sous pression constante lorsqu'ils sont en mission dans une entreprise, témoigne une Neuchâteloise souhaitant garder l'anonymat. [RTS]

Les travailleurs intérimaires sont donc sous pression constante lorsqu'ils sont en mission dans une entreprise. Sans la protection d'un contrat fixe, à la moindre faiblesse, ils sont mis à l'écart, témoigne une Neuchâteloise qui raconte avoir vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, surtout quand elle a eu un souci de santé.

Dans un premier temps, son chef d'équipe l'avait pourtant rassurée. Mais deux jours plus tard, quand les ressources humaines apprennent qu'elle doit se faire opérer, elles décident de mettre fin à sa mission. "Ils ont dit que ce n'était pas un licenciement, mais un non-renouvellement de contrat", explique-t-elle.

"Je l'ai très mal vécu. Tant qu'on travaille et qu'on a la santé, ça va. Et dès qu'on a une petite faiblesse, on nous jette à la rue", poursuit-elle. "On est des numéros pour eux, en fait".

Outil essentiel pour la branche

Le travail temporaire a explosé en Suisse ces 30 dernières années, passant d'environ 71'000 personnes en 1993 à un chiffre record de 438'925 personnes avec un emploi intérimaire en 2022. L'horlogerie est particulièrement concernée. Dans les ateliers de production, certaines grandes marques suisses n'embaucheraient à l'heure actuelle que des intérims. 

Le travail temporaire a explosé en Suisse ces 30 dernières années. [travail.swiss]
Le travail temporaire a explosé en Suisse ces 30 dernières années. [travail.swiss]

Selon les critiques, le monde horloger utiliserait le travail temporaire pour externaliser les risques tout en engrangeant de juteux bénéfices. Mais pour le secrétaire général de la Convention patronale de l'industrie horlogère suisse Ludovic Voillat, il s'agit simplement d'un outil de flexibilité essentiel "pour faire face à des besoins ponctuels ou des variations de commandes".

"Nous avons une industrie qui exporte beaucoup, donc on subit les aléas des marchés", dit-il. "C'est un outil important, mais qui n'est pas utilisé de manière abusive dans notre branche". Ludovic Voillat souligne par ailleurs que le travail temporaire est également "une porte d'entrée vers l'emploi permanent".

Le travail temporaire est un outil important, mais qui n'est pas utilisé de manière abusive dans notre branche

Ludovic Voillat, secrétaire général de la Convention patronale de l'industrie horlogère suisse

Peu d'emplois fixes

Rolex, qui emploie plus de 900 intérimaires, déclare en effet donner "très régulièrement aux collaborateurs temporaires ayant fait leurs preuves la possibilité de rester en fixe dans l'entreprise à l'issue de leur mission". "Environ 250 personnes ont été engagées pour la production pour la seule année 2023", ajoute la firme horlogère.

Certains travailleurs peinent cependant parfois à trouver des emplois fixes suite à leur mission, explique Fausto Fantini, le directeur de l'agence de placement et d'intérim OK Job à La Chaux-de-Fonds. "Pour nous, l'idéal, c'est que l'on place un temporaire et qu'au bout de trois, quatre ou cinq mois, il soit pris en fixe", affirme-t-il. "Mais ce n'est pas toujours comme ça".

Un ancien employé de Rolex explique notamment que l'entreprise lui a fait miroiter la promesse d'un contrat fixe pendant deux ans, avant de le remercier lorsque son contrat temporaire est arrivé à échéance. "Les deux ou trois derniers mois avant la fin de la deuxième année, ils vous font comprendre que vous êtes temporaires et que la seule chose qu'ils vous ont promise, c'était deux ans et c'est tout", raconte-t-il. 

Nouvelle CTT signée

En mai dernier, les employeurs de l'industrie horlogère et Unia ont signé une nouvelle convention collective de travail (CCT). L'accord, qui concerne près de 55'000 collaborateurs et plus de 500 entreprises horlogères, entrera en vigueur en juillet et durera jusqu'au 31 décembre 2029.

>> Lire aussi : Une nouvelle convention collective entre employeurs horlogers et syndicat

Ce que l'on souhaiterait, c'est que les gens soient fixés, qu'ils puissent vivre dignement de leur travail

Alejo Patiño, secrétaire syndical chez Unia

Dans la nouvelle CCT, tout employeur qui veut garder un temporaire au-delà de 24 mois doit obligatoirement lui proposer un contrat de durée indéterminée. Il s'agit d'une bonne mesure, estime Unia, mais elle ne règlera toutefois pas le fond du problème.

"Ce que l'on souhaiterait, c'est qu'une fois qu'un poste est fixe et que l'entreprise a besoin des salariés, que les gens soient fixés, qu'ils puissent vivre dignement de leur travail", indique Alejo Patiño, secrétaire syndical chez Unia. Selon lui, certains salariés enchaînent les contrats de 24 mois dans différentes entreprises, les plongeant dans une situation de précarité.

Face à l'explosion du travail temporaire, le syndicat n'attendra sans doute pas les nouvelles négociations avec le patronat dans cinq ans. Il appelle à une réaction politique, mais aussi à une mobilisation des salariés.

Sujet TV: Loïc Delacour

Adaptation web: Emilie Délétroz avec agences

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