L'industrie suisse du café s'unit pour améliorer les conditions des petits producteurs
La petite Suisse est un Goliath du café. Les plus de 40 membres de l'Association suisse des négociants en café (SCTA) sont responsables de plus de la moitié de tout le café vert (grains non torréfiés) acheté et vendu dans le monde. La Suisse est également le premier exportateur de grains de café torréfiés en termes de valeur (plus de 3 milliards de francs en 2023), en grande partie via Nestlé qui y torréfie tout son café.
Mais des nuages se profilent à l'horizon et remettent en question le rôle de la Suisse en tant que leader du marché. L'industrie suisse du café doit s'aligner sur les réglementations plus strictes en matière d'approvisionnement imposées par l'Union européenne (UE). Elle doit également se soucier du sort des petits producteurs en difficulté qui ne parviennent pas à vivre du café
S'adapter au nouveau standard européen
Afin de garantir des chaînes d'approvisionnement plus durables, c'est dans ce contexte que la plateforme suisse du café durable (Swiss Sustainable Coffee Platform, SSCP) a été lancée le 6 juin. Soutenue par la Confédération, celle-ci vise à mettre le secteur privé, les organisations à but non lucratif, le monde universitaire et le gouvernement suisse sur la même longueur d'onde en ce qui concerne la question du café durable.
Cette initiative intervient alors que l'industrie subit la pression de l'UE, qui a introduit une réglementation sur les produits dits "zéro déforestation". Cette dernière devrait entrer en vigueur en janvier 2025. Sept produits agricoles, dont le café, ne pourront être vendus dans l'UE que s'il est prouvé qu'ils n'ont pas causé de déforestation depuis 2020. L'année dernière, 44% des exportations suisses de café torréfié ont été destinées au marché unique européen.
Un revenu décent pour les producteurs
Un autre problème pour l'industrie est de garantir aux agriculteurs un revenu décent. Les premières conclusions d'un rapport de la Global Coffee Platform publiées en 2023 montrent que les petits producteurs de café au Brésil - premier producteur mondial - ont du mal à joindre les deux bouts. Ceux qui possèdent des plantations de moins de cinq hectares ne parviennent pas à vivre du seul café.
Il ne suffit pas de payer le café plus cher pour résoudre la question de la pauvreté
Selon Procafé, l'association suisse pour la promotion du café, environ 70% du café mondial est cultivé par 25 millions de petits producteurs. L'industrie suisse du café compte sur eux pour s'en tenir à la culture du café afin de garantir des approvisionnements suffisants d'une qualité élevée et constante et d'éviter la volatilité des prix du café.
"Si une entreprise peut affiner sa politique d'approvisionnement en café, il est beaucoup plus complexe de s'attaquer à des problèmes systémiques tels que la pauvreté dans les pays en développement. Il ne suffit pas de payer le café plus cher pour résoudre ces problèmes, car la pauvreté est un problème aux multiples facettes dont les causes profondes sont l'inégalité économique, le manque d'éducation, les soins de santé inadéquats, l'instabilité politique et la dégradation de l'environnement", déclare Krisztina Szalai, de l'organisation faîtière Communauté d'intérêt (CI) Café Suisse.
Un premier effort en commun
Certains grands acteurs comme Nestlé oeuvrent sur les questions d'environnement et de travail depuis une vingtaine d'années déjà, en partenariat avec l'organisme de certification Rainforest Alliance. La multinationale suisse s'est engagée à s'approvisionner de manière responsable pour l'ensemble de son café d'ici 2025 (elle en était à 92,8% en 2023).
Mais jusqu'à présent, aucun effort commun n’avait été mené à l’échelle de la branche pour relever les défis liés à l’environnement, au travail et au salaire vital. "La durabilité dans le secteur du café englobe un large éventail de facteurs, notamment la gestion de l'environnement, l'équité sociale, la viabilité économique et le bien-être des producteurs de café et de leurs communautés", explique Krisztina Szalai.
Grâce à l'implication du Secrétariat d'État à l'économie (SECO), la Suisse est un partenaire clé dans le débat sur le café durable. En attendant que l'argent de poids lourds du secteur privé comme Nestlé ou la société de négoce de matières premières Olam commence à affluer, le SSCP peut compter sur un financement de départ du SECO de huit millions de francs sur quatre ans, dont sept millions de francs sont destinés au cofinancement de projets dans les pays producteurs de café comme la Colombie, le Pérou, l'Indonésie et le Vietnam.
L'objectif est que l'argent versé par le secteur privé finisse par égaler celui du SECO. Des membres comme Nestlé ont toutefois informé Swissinfo qu'il était pour eux trop tôt pour se prononcer sur le financement futur des projets de partenariat public-privé. Tous devront payer une cotisation annuelle allant jusqu'à 20'000 francs, en fonction de la taille de l'entreprise, et devront contribuer à plus de 50% du coût des projets dans les pays producteurs.
Une alliance pour les producteurs, pas pour les entreprises
"L'aide au développement ne peut à elle seule résoudre tous les défis liés à la durabilité de la culture du café. La plateforme suisse du café durable offre la possibilité de collaborer et de mobiliser des financements du secteur privé", estime Marco Kräuchi, responsable du programme de promotion commerciale au SECO.
Le rôle du SSCP n'est pas d'aider les entreprises suisses à se conformer aux réglementations internationales
Les fonds publics et privés acheminés par le biais du SSCP financeront des projets visant à relever des défis tels que les moyens de subsistance et les revenus vitaux, l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, les droits de l'homme, les droits du travail et la diligence raisonnable. Marco Kräuchi insiste sur le fait que le SSCP ne deviendra pas un moyen d'externaliser les obligations réglementaires et de responsabilité sociale des entreprises.
"Le rôle du SSCP n'est pas d'aider les entreprises suisses à se conformer aux réglementations internationales. Cela pourrait être un effet secondaire, mais ce n'est pas l'objectif principal. Les bénéficiaires finaux sont les producteurs de café dans les pays producteurs de café", précise Marco Kräuchi. Le responsable reconnaît toutefois qu'il ne sera pas facile d'amener un groupe aussi hétérogène à se mettre d'accord sur une définition commune du café durable.
Les efforts pour un cacao durable comme modèle
La SSCP pourra compter sur l’expérience de la Plateforme suisse pour un cacao durable (SWISSCO), issue de l’industrie du chocolat en 2018. Les deux initiatives visent à relever des défis mondiaux tels que la pauvreté, le climat et la déforestation. De manière identique, la culture du café et celle du cacao sont dominées par des millions de petits exploitants et la Suisse joue un rôle important dans le commerce et la production au niveau mondial.
Depuis sa fondation, SWISSCO a soutenu 45 projets dans des régions productrices de cacao à hauteur de 64 millions de francs. Entre 2017 et 2023, la part des importations suisses de cacao durable est passée de 50% à 82%.
"L'expérience de la Plateforme pour un caco durable a montré qu'il vaut la peine de renforcer l'échange et la coopération entre les acteurs suisses. Aujourd'hui, les parties prenantes sont plus proches, se font davantage confiance et sont plus ouvertes à un dialogue transparent et à une coopération concrète", déclare Christian Robin, directeur exécutif de SWISSCO.
Les risques de "greenwashing"
Cependant, tout le monde n'est pas d'avis que la branche suisse du café devrait suivre les traces de l'industrie du chocolat en ce qui concerne les mesures de durabilité. L'ONG suisse Public Eye redoute ainsi que la plateforme du café ne devienne un autre "forum de discussion juridiquement non contraignant" en l'absence de lois strictes et applicables du type de celles adoptées par l'Union européenne.
"Ce serait encore mieux si la Suisse introduisait enfin des réglementations efficaces qui rendent les obligations de diligence raisonnable juridiquement contraignantes et prévoient des sanctions efficaces. Au lieu de cela, notre gouvernement s'en tient à un dialogue non contraignant, sans obligation de rendre des comptes et avec un résultat très incertain", déclare Carla Hoinkes de Public Eye dans un communiqué de presse le jour du lancement.
En février, le Conseil fédéral a décidé de ne pas adapter la législation suisse pour suivre l'exemple de l'UE "jusqu'à nouvel ordre", invoquant une charge administrative accrue pour les entreprises qui n’exportent pas de produits vers les 27. Au lieu de cela, le gouvernement a l'intention de se réunir à nouveau cet été pour évaluer l'impact sur les entreprises suisses du règlement de l'UE sur les produits exempts de déforestation.
Le SSCP devra donc compter sur ses membres issus des ONG et du monde universitaire - qui occupent la moitié des sièges au conseil d'administration - pour s'opposer à toute tentative d'"écoblanchiment".
Anand Chandrasekhar/Swissinfo
Adaptation en français: Didier Kottelat
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Cet article est initialement paru en anglais sur SWI Swissinfo, le service d'information en ligne de la SSR destiné au public international, disponible en dix langues. Il a été traduit par la rédaction de "dialogue".
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