En 2021, la plateforme de vente en ligne de Migros vendait des bouquets de 15 tulipes à 4,95 francs. Aujourd'hui, ce qui semble à première vue être le même bouquet ne compte en réalité plus que 12 fleurs, alors qu'il coûte toujours: 4,95 francs.
Le prix a ainsi subrepticement grimpé de 25%. C'est le principe de la "shrinkflation" - ou réduflation en français. Une pratique par nature difficile à documenter puisqu'il faut pouvoir comparer des produits, prix et emballages achetés à des moments différents. L'émission A Bon Entendeur de la RTS a pu mettre au jour une série d'exemples qui concernent plusieurs marques présentes chez différents distributeurs, que ce soit dans les domaines alimentaire ou non alimentaire.
Perte de poids
Au rayon céréales, les Choco Nut Trésor de Kellogg's ont ainsi perdu 40 grammes de gourmandise sans changement de prix. Conséquence: ces céréales coûtent désormais 7% de plus qu'avant chez Coop et Migros. Le riz Basmati Ben's original vendu chez Coop est passé de 250 à 220 grammes, 30 grammes de moins pour une augmentation en catimini de 27%. Tandis que les huit carrés de la boîte de fromages Kiri sont passés de 160 à 144 grammes.
La directrice générale du Groupe Bel, fabriquant de Kiri, affirme pourtant qu'il ne s'agit pas de "shrinkflation". "Nous n'avons pas diminué le grammage d'une même recette en lien avec l'inflation du cours des matières premières. C'est faux", affirmait-elle en septembre 2023 sur BFM Business. "On a changé la recette de Kiri. On a mis sur le marché une innovation" - une innovation imperceptible pour le consommateur.
Réduflation pointée du doigt
Basée à Paris, l'antenne française de l'ONG Foodwatch documente et dénonce la réduflation depuis des années. "On ne peut pas, à l'œil nu, repérer cette pratique", pointe Audrey Morice, chargée de campagne. "Cela raconte l'histoire d'une industrie agro-alimentaire opaque, de règles insuffisamment contraignantes, qui permettent que ce type de pratiques abusives arrivent dans nos rayons".
J'aimerais que cette pratique s'arrête parce que c'est tout bonnement et simplement une arnaque
Le problème ne concerne de loin pas que l'alimentation. Ainsi la boîte de Tampax Compak est-elle passée de 22 à 20 tampons, alors que son prix, chez Migros, est resté à 4,95 francs, ce qui équivaut à un renchérissement du tampon de 10%. Même constat pour les serviettes hygiéniques Always Organic Cotton, dont le prix est resté stable alors que le paquet a rétréci d'une serviette. Le paquet de Pampers Premium Collection (taille 5) compte également deux couches de moins qu'auparavant, ce qui représente une augmentation cachée de 6%.
"En Suisse, il n'existe pas de cadre légal pour informer les consommateurs", regrette Rebecca Eggenberger, responsable alimentation à la Fédération romande des consommateurs (FRC). "Je souhaiterais un soutien des autorités, ne serait-ce que pour monitorer l'ampleur du phénomène parce qu'on voit qu'il est difficile à quantifier. Et j'aimerais que cette pratique de 'shrinkflation' s'arrête parce que c'est tout bonnement et simplement une arnaque."
Rogner sur la qualité pour maintenir les prix
Le poisson à la bordelaise de Findus a aussi rétréci, passant de 400 grammes à 380. Mais ce n'est pas tout: le fabricant a également dégradé la recette du produit puisqu'il a réduit la proportion de poisson et augmenté celle de chapelure. Migros et Coop ont tous deux baissé le prix de la barquette, mais Manor a maintenu le prix du poisson à 9,95 francs. On parle dès lors de "cheapflation", une autre forme d'inflation déguisée qui consiste à rogner sur la qualité d'un produit sans en réduire le prix.
Même mécanisme pour les bâtonnets de surimi Le Moelleux de Fleury Michon, dans lesquels la part de chair de poisson est passée de 43% à 38%. "Entre la version précédente et la nouvelle version, la mention 'nouvelle recette' est apparue [sur l'emballage] ce qui laisse penser au consommateur ou à la consommatrice qu'un changement positif est apparu. En réalité, il n'en est rien", ajoute Audrey Morice, de Foodwatch.
Potentiel risque pour la santé
Autre exemple frappant: les cookies Milka ne sont plus fabriqués avec de l'huile de tournesol, mais avec de l'huile de palme, une graisse meilleur marché et de moins bonne qualité.
Ces modifications n'ont pas seulement des conséquences sur le porte-monnaie, avertit Mathilde Touvier, directrice de l'équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l'Université de la Sorbonne. "Il y a déjà la tromperie du consommateur. En soi, c'est un problème. Mais là où cela peut poser encore plus de problèmes, c'est lorsque les remplacements d'ingrédients, les choix faits par les industriels, peuvent poser des problèmes pour la santé, parce que l'on a finalement un produit de moins bonne qualité nutritionnelle ou avec des additifs ou d'autres constituants ajoutés. Là, on n'est plus seulement dans la tromperie du consommateur, il y a aussi potentiellement un risque pour sa santé."
Johanna Commenge, Nicolas Pallay, Linda Bourget