"Très sérieux", "incontournable", "difficile à biaiser", "du grand n’importe quoi!", "un marché très profitable": les réactions suscitées par l'appel à témoignage de l'émission Basik sur les réseaux sociaux au sujet des assessments ont été nombreuses et très tranchées.
Au Centre médico-social de la Broye, nous rencontrons Hélène Morgenthaler, directrice de l’établissement. Pour cette adepte de triathlon et de marathon, sa journée d’assessment, passée il y a 4 ans, reste un événement hors-normes: "C’était très intense, très stressant. […] J'avais huit compétences-clés sur lesquelles j'étais testée, j'ai fait au moins six exercices sur la journée. […] A la fin, j’étais lessivée, je me suis dit 'plus jamais ça!'" . Elle reçoit quelques jours plus tard le compte-rendu de sa performance, qui reflète bien ses points forts et sa personnalité selon elle.
Cabinets d'assessment de plus en plus nombreux
Hormis quelques grandes entreprises qui ont un service spécialisé à l’interne, la grande majorité des firmes externalisent cette prestation. Les entreprises spécialisées dans les assessments en Suisse sont de plus en plus nombreuses: il n’existe pas de données officielles en recensant le nombre, mais l’impression est largement partagée par les spécialistes du secteur, comme le centre de compétences Swiss Assessment.
Nous avons suivi un assessment pour un recrutement à un poste de cadre chez les CFF, au cabinet Avenir Group situé à Berne. Psychologue du travail, Félix Hauswirth prépare ce moment depuis plusieurs jours, en étroite collaboration avec l’entreprise mandante: "On a demandé le cahier des charges du poste, on s'est intéressé aux compétences importantes pour ce poste, et ensuite avec l'entreprise on a travaillé ensemble des exercices pratiques concrets pour une mise en situation lors de cet assessment", explique-t-il dans l'émission Basik.
A son arrivée, la candidate a 20 minutes pour préparer le premier exercice de l’après-midi: elle doit se présenter pendant une vingtaine de minutes sous l’œil averti de deux psychologues du travail. S’ensuivent dix minutes de questions-réponses, puis les exercices s’enchaînent. Après un entretien structuré sur des aspects techniques du métier et une étude de cas, elle doit ensuite participer à deux jeux de rôles menés par les assesseurs. Ces exercices sont sensés permettre d’évaluer ses compétences sociales, ses "softskills", et ainsi permettre au cabinet d’émettre une recommandation fondée à l’entreprise recrutante.
Un mauvais recrutement peut coûter beaucoup plus cher à l'entreprise. Cela peut démotiver une équipe, et le fait de devoir relancer un recrutement est problématique en termes d'image.
Une journée comme celle-ci rapporte en moyenne entre 5000 et 7000 francs pour chaque candidat évalué. Malgré ce prix, Maurizio Arametti, le directeur de la Suisse romande du cabinet Avenir Group, ne voit pas la demande faiblir, au contraire: "Chaque année, [l’augmentation de la demande] est de l'ordre de 5% pour nous ».
Les CFF n’ont pas souhaité nous donner leurs motivations à faire passer un assessment en vue de recruter un cadre.
Mais pour Sophie Heurtault-Malherbe, directrice générale adjointe de la Fédération des entreprises romandes à Genève, c’est de l’argent bien investi: "Un mauvais recrutement peut coûter beaucoup plus cher à l'entreprise. Si vous ne recrutez pas la bonne personne, cela peut démotiver une équipe, et le fait de devoir relancer un recrutement est problématique en termes d'image." Les assessments bien menés sont selon elle une bonne manière de voir comment réagit le candidat sous stress, une situation typique des postes à responsabilité.
On pense qu'on mesure la performance des gens ou le fait qu'ils se retrouvent dans une situation réelle. En réalité, il n'en est rien: les gens jouent un jeu
Mais cet enthousiasme n’est pas partagé par tout le monde. Christophe Genoud a passé de nombreux assessments alors qu’il était en recherche d’emploi après 15 années passées dans la fonction publique à Genève. De ses nombreuses expériences, il a tiré un livre très critique sur les pratiques de management, et les assessments ne sont pas en reste. "On pense qu'on mesure la performance des gens ou le fait qu'ils se retrouvent dans une situation réelle et vont se comporter de manière réelle. En réalité, il n'en est rien: les gens jouent un jeu ", nous dit-il.
Multiplication des tests psychologiques
Ses critiques visent particulièrement les tests psychologiques en ligne - qui précédent en règle générale les journées d’assessments: on en trouve des centaines sur les sites spécialisés, le plus connu étant le test "Insight" qui classe la personnalité en quatre couleurs.
Christophe Genoud a conservé les comptes-rendus de ses résultats et les analyse de manière critique: pour lui, ils sont constitués de phrases assez générales – et souvent flatteuses – pour que tout le monde ait envie de s’y reconnaître. Ce sont "des phrases qui servent d’accroche, c’est-à-dire qu’elles sont incontestables. Et c’est typique de l’effet Barnum (effet de validation subjective, ndlr.) qu’on utilise dans ce type d’outil, parce que ça légitime tout ce qui va suivre. L’horoscope fonctionne sur ce mécanisme-là", souligne le Genevois.
Ces tests sont une photographie à un instant T, qui utilise une approche scientifique mais n'a pas de valeur scientifique
Ces questionnaires psychométriques fonctionnent tous de manière similaire, et selon Anne Donou, directrice romande du cabinet de conseil Von Rundstedt, ils servent avant tout de base de discussion avec le candidat: "C'est une photographie à un instant T, qui utilise une approche scientifique mais qui n’a pas de valeur scientifique [...] Il est à prendre avec quand même beaucoup de précautions". Là aussi, des boîtes se spécialisent dans la création et la validation de ces tests, pour ensuite les vendre aux cabinets d’assessment à un prix allant de 50 à 600 francs le test.
Des recherches examinent la validité prédictive des assessments: si ces tests permettent de prédire dans une certaine mesure les différences de performance entre candidats, bien d’autres outils moins coûteux – car menés par les ressources humaines – le permettent tout autant.
Micaela Mumenthaler