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Les syndicats s'insurgent face à la perspective d'autoriser les avions de ligne à n'avoir qu'un pilote

Les compagnies ont subitement beaucoup moins besoin de nouveaux pilotes de ligne. [Keystone - Christian Beutler]
Les pilotes de ligne veulent rester à 2 dans le cockpit pour la sécurité / Tout un monde / 8 min. / hier à 08:12
Les autorités européennes envisagent d'autoriser l'exploitation d'avions commerciaux avec un seul pilote au lieu des deux requis aujourd'hui. Mais les syndicats de pilotes s'insurgent et leur message est clair: une seule personne aux commandes, cela ne suffit pas.

"Pourriez-vous gérer deux urgences à la fois?" C'est le slogan qui trône sur des affiches placardées cette semaine à l'aéroport de Bruxelles par la faîtière des syndicats de pilotes de ligne, l'European Cockpit Association (ECA). Entre les sièges des deux pilotes: une cuvette de WC.

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La campagne d'affichage a duré une semaine à l'aéroport de Bruxelles.

Cette campagne de sensibilisation intervient alors que des fonctionnaires de l'Union européenne envisagent d'assouplir les réglementations sur les exigences minimales en matière d’équipage pour les compagnies aériennes. Parmi les options envisagées, elles pourraient n'affecter qu'un seul pilote à bord de certains vols au lieu de deux.

Le constructeur Airbus est également visé par cette campagne de communication, parce qu'il pousse dans cette direction depuis quelque temps.

>> Lire à ce sujet : Bientôt des vols long-courriers avec un seul pilote dans le cockpit?

Voler avec un seul pilote, c'est comme voler sans pilote!

Clemenz Kopetz, président du syndicat Aeropers

"C'est un problème pour la sécurité du vol, donc des passagers et de l'équipage, parce que deux pilotes assurent une sécurité essentielle en surveillant le système, en détectant des erreurs et en atténuant le risque", assure vendredi dans Tout un monde Clemenz Kopetz, président du syndicat suisse des pilotes Aeropers, associé à la campagne.

"Avoir deux pilotes permet de partager la charge de travail et de combiner les compétences. Donc oui, le retrait d'un pilote met en péril l'ensemble du système de sécurité", poursuit-il. "Lorsqu'un pilote unique a besoin d'une pause ou n'est pas en forme, il n'y a plus personne pour interagir avec le système. Donc pour nous, voler avec un seul pilote, c'est comme voler sans pilote!"

Des avions déjà en partie autonomes

Un avis partagé par le journaliste Michel Polacco: "Ils ont raison de dire que c'est dangereux, parce que même si on sait aujourd'hui faire voler des avions sans pilote, la sécurité offerte aux passagers exige que [...] les pilotes soient capables de prendre la main lorsque ces outils sont défaillants."

Selon ce spécialiste de l'aéronautique, la mobilisation des syndicats intervient alors qu'Airbus prépare déjà son actuel A350 (d'une capacité de 315 à 480 personnes, selon la version et l'aménagement de la cabine) à être utilisé sans pilote. "Cela veut dire que si le pilote se trouve mal, par un certain nombre d'automatismes, l'avion va être capable de revenir se poser en sécurité", explique-t-il.

"Mais cela ne veut pas dire que l'avion sait décoller en toute sécurité. Et deuxièmement, des événements peuvent se produire pendant le vol et on ne peut pas comparer une vraie intelligence humaine à ce qu'on appelle aujourd'hui abusivement l'intelligence artificielle."

"La technique n'est pas encore prête"

Certains avions de plus petite taille, comme des jets privés, sont déjà équipés de tels dispositifs et peuvent donc être pilotés par une seule personne. Mais Clemenz Kopetz balaie toute comparaison avec de plus grands avions, bien plus complexes.

Pour l'instant, la machine n'est pas en mesure de prendre les bonnes décisions en cas d'urgence

Clemenz Kopetz, président du syndicat Aeropers

"Autrefois, dans un cockpit, il y avait deux pilotes, un navigateur, un opérateur radio et un ingénieur. Les trois derniers postes ont été supprimés sans mettre en péril la sécurité, mais la technique n'est pas encore prête à maintenir ou améliorer le niveau de sécurité avec un seul pilote", expose-t-il.

"Voler ne se limite pas à juste piloter l'avion. Pour l'instant, la machine n'est pas en mesure de prendre les bonnes décisions en cas d'urgence", poursuit-il. "Je ne dis pas que ce n'est pas possible un jour, mais pas maintenant."

Un intérêt financier avant tout?

Selon le syndicaliste, il est donc évident que les compagnies font ce choix pour des raisons économiques. Un avis que ne partage pas Michel Polacco: "C'est normal que les constructeurs essayent d'offrir un maximum de capacités et de services aux compagnies aériennes", estime-t-il. "Après, c'est aux utilisateurs de décider comment ils vont exploiter les machines qu'ils achètent."

Sollicité, Airbus n'a pas répondu aux sollicitations de la RTS sur le sujet. Quant au constructeur de jets privés Dassault, également mentionné par la campagne des syndicats de pilotes, il affirme n'avoir à ce stade aucune intention de développer des avions pour un seul pilote.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Pierrik Jordan

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