Modifié

Quand l’assureur se mêle du traitement médical d'un patient

A bon entendeur
Quand l’assureur se mêle du traitement / A bon entendeur / 26 min. / le 2 juillet 2024
Un assureur a-t-il le droit de s’immiscer dans le traitement médical d’un patient? C’est ce qui est arrivé à une employée au bénéfice de l’assurance perte de gain. L’assureur a en effet exigé qu’elle prenne, contre son gré, des médicaments qui ne lui avaient pas été prescrits par son médecin.

Tomber malade et ne plus pouvoir travailler: personne n'est à l'abri. C'est ce qui est arrivé à Carol, cadre genevoise victime de maltraitance dans son environnement professionnel. D'entente avec son médecin traitant, celle-ci s'est orientée vers un traitement basé sur des médicaments naturels.

"Pour moi, ce n'était pas envisageable de prendre un traitement chimique puisque j'ai déjà eu un cancer", confie-t-elle. La patiente demande donc à son médecin des médicaments à base de plantes, ce que celui-ci juge pertinent, notamment en raison des effets secondaires des antidépresseurs chimiques.

Mais Helvetia, l'assureur de son employeur, ne l'entend pas de cette oreille. Après trois mois d'arrêt, l'assurance perte de gain doit prendre en charge le salaire de Carol. Elle estime alors que l'employée ne met pas tout en œuvre pour que "la durée de l'incapacité de travail soit aussi courte que possible", comme l'exigent ses conditions générales. L'assureur décide donc de lui imposer un nouveau traitement.

Des prises de sang imposées par l'assureur

Concrètement, Helvetia exige de la malade qu'elle prenne des anti-dépresseurs chimiques: "Cette méthode n'a pas été utilisée dans votre cas jusqu'à présent et il est impératif qu'elle soit intégrée au traitement", écrit alors l'assureur, comme le rapporte l'émission A Bon Entendeur de la RTS. "Quand j'ai ouvert la lettre de l'assurance, j'ai été un peu estomaquée", réagit Carol. Et ce n'est pas tout: l'assureur lui impose également de se soumettre à des prises de sang pour vérifier qu'elle suit bien le traitement chimique imposé.

Exiger un traitement chimique après trois mois, contre la volonté de la personne, et en plus le monitorer par une prise de sang, c'est complètement disproportionné

Joy Demeulemeester, membre du comité de la Fédération suisse des patients 

Cette exigence est inadmissible, selon Joy Demeulemeester, membre du comité de la Fédération suisse des patients et spécialiste des assurances sociales: "Je suis absolument choquée. Vérifier que la personne fasse ce qu'il faut pour revenir en bonne santé, c'est normal. Mais exiger un traitement chimique après trois mois, contre la volonté de la personne, et en plus le monitorer par une prise de sang, c'est complètement disproportionné." D'autant que la pression exercée par Helvetia est importante: l'assureur menace en effet Carol de ne plus lui verser son salaire si elle ne se soumet pas au traitement demandé.

Une démarche illégale?

Contactée, l'assurance s'appuie sur la loi et l'obligation faite au patient de "réduire le dommage" - autrement dit de reprendre le travail au plus vite - pour justifier la demande de monitoring sanguin. De fait, l'APG est une assurance à caractère privé, qui diffère fortement de l'assurance maladie de base. La marge de manœuvre de l'assureur est ainsi plus importante sous le régime privé que sous le régime obligatoire.

Une prise de sang, c'est une atteinte à l'intégrité physique

Eric Maugué, avocat

Mais pour l'avocat Eric Maugué, la démarche est illégale. "Une prise de sang, c'est une atteinte à l'intégrité physique", commente l'homme de loi. "En principe, quand un médecin pratique une prise de sang, c'est avec le consentement éclairé de son patient qui lui permet de porter atteinte à son intégrité physique pour faire une telle prise de sang."

Aujourd'hui Carol va mieux. Elle a rapidement retrouvé du travail et a ainsi échappé aux médicaments qu'elle redoutait. Mais son cas n'est pas isolé. Huit autres assurances perte de gain ont été contactées par la RTS. pour la plupart d'entre elles, le monitoring sanguin fait partie de l'arsenal de contrôle, même s'il n'est que très rarement utilisé.

 Cyril Dépraz, Alexandre Nicoulin, Linda Bourget

Publié Modifié

Aucune APG chez certains employeurs

Certains employeurs n'ont tout simplement aucune assurance de type perte de gain en cas de maladie. "L'APG maladie n'est pas obligatoire en Suisse", met en garde Joy Demeulemeester, spécialiste en assurances sociales.

"Si la personne tombe malade et qu'elle ne peut plus travailler, le code des obligations contraint son employeur à verser son salaire pendant un temps donné, mais celui-ci est assez court. On applique ce qu'on appelle l'échelle bernoise: trois semaines de salaire la première année de travail et jusqu'à cinq mois [selon l'ancienneté] mais guère plus."

Vérifier l'existence d'une assurance perte de gain

La représentante de la Fédération suisse des patients incite les employés à être attentifs à la question. "Il est important de vérifier s'il y a une assurance perte de gain au moment du recrutement. Et de vérifier aussi les conditions du 2e pilier, car en cas d'invalidité plus longue, la rente et les conditions du 2e pilier vont intervenir aussi".

A noter que le Parlement examine actuellement la possibilité de rendre l'APG en cas de maladie obligatoire pour tous les employeurs. Un projet adopté par le Conseil national l'an dernier et qui sera prochainement débattu au Conseil des Etats.