Le géant de l’immobilier vaudois Retraites Populaires a lancé en décembre dernier un chantier de rénovation énergétique de deux immeubles mitoyens sur les hauts de Pully, planifié sur plus d’une année. Fenêtres voilées, balcons arrachés: les locataires doivent prendre leur mal en patience. "Un des grands défis de l'opération, c'est de maintenir les gens dans leurs appartements, ce qui est compliqué à organiser", précise l’architecte Blaise Tardin dans l'émission Basik.
Les façades et le toit doivent être entièrement recouverts d’une couche d’isolant. Les chaudières à mazout doivent quant à elles être remplacées par des pompes à chaleur. Résultat: une facture de 1,5 million de francs pour le propriétaire, la Caisse de pension de l’Etat de Vaud.
Impact sur les loyers
Pour d’autres bâtiments qu’elle possède en propre, Retraites Populaires a un système de financement bien rodé. "Les loyers perçus représentent plus de 200 millions de francs, sur lesquels nous ponctionnons les montants nécessaires pour assumer les rénovations", explique Gérard Greuter, responsable du Service construction durable des Retraites Populaires. Il vaut mieux ne pas trop compter sur les subventions, quasi symboliques sur ce chantier.
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Dans son art. 14, l’Ordonnance fédérale sur le bail à loyer donne le droit aux propriétaires de répercuter entièrement les coûts d’une rénovation énergétique sur les loyers. Ici, ils vont augmenter de 20% en moyenne. Les locataires ont tout de même obtenu un mois gratuit, en dédommagement des nuisances subies pendant les travaux.
"Ça peut aller jusqu'à plusieurs mois de loyer complet", précise le secrétaire général de l’ASLOCA Vaud, Fabrice Berney. "Ça dépend évidemment de la longueur des travaux, de l'intensité des nuisances. Il est rare que ce soit proposé spontanément par les bailleurs, donc il ne faut surtout pas hésiter à en faire la demande".
Hausses parfois abusives
Dans un autre immeuble en chantier, sur les hauts de Lausanne, les locataires ont tous été déplacés pendant 18 mois. La Société Coopérative d'habitation Lausanne (SCHL) rénove l’un après l’autre trois immeubles contigus des années 60. Elle en profite pour moderniser les intérieurs de fond en comble. Il faut donc vider entièrement les lieux.
"Nous réservons des appartements de transit", explique Claude Waelti, président de la SCHL. "Certains locataires vont rester dans le même quartier, parce qu'ils ont des enfants. D'autres peuvent partir un peu plus loin. Et les gens s’en vont pendant 18 mois, puis reviennent et retrouvent leur appartement rénové".
Sur ce chantier, les coûts atteignent la somme astronomique de 14 millions de francs. Et là encore, les subventions sont maigres: elles couvrent à peine 10% de la facture. La coopérative doit fournir un tiers de fonds propres. "On a les reins solides", explique Claude Waelti. "On a cent ans et la coopérative a toujours loué ses appartements dans l’optique de gagner de l'argent, mais de le gagner pour le conserver et le mettre à disposition des locataires suivants".
Après travaux, les hausses de loyer sont ici de 40%. Mais grâce à des tarifs très modérés, ces prix restent en dessous du marché. Ce n’est pas toujours le cas avec d’autres bailleurs. "Lorsque les travaux d'assainissement énergétique sont entrepris, certains profitent de la présence des entreprises pour faire d'autres rénovations", indique Fabrice Berney. "Et ce coût-là ne peut pas être répercuté sur le loyer". Si la hausse de loyer paraît abusive, c'est au locataire de la contester.
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Repenser le financement
Même correctement calculées, certaines hausses deviennent problématiques pour les locataires. C’est la situation paradoxale que vit la Coopérative de l'habitat associatif (CODHA). Elle a acquis il y a quelques années un ensemble de quatre petits bâtiments de la fin du 19e siècle, qui se révèlent être de véritables passoires énergétiques. Les bâtiments étant sous protection du patrimoine, il est impossible de toucher aux façades. La couche d’isolant devra être posée à l’intérieur en sciant les poutres encastrées dans le plafond.
Avec ces contraintes, la facture explose : 8,7 millions de francs pour aménager 10 logements aux normes énergétiques. "On a des bâtiments tellement dégradés qu'ils sont inéligibles aux maigres subventions actuellement mobilisables", regrette Guillaume Käser, vice-président de la CODHA. "Il y a un manque d'aide des pouvoirs publics pour ces rénovations, qui sont pourtant aussi d'utilité publique".
Les futurs loyers seront largement supérieurs aux standards de la coopérative. "Nos membres sont des personnes de la classe moyenne ou avec des revenus modérés et ils attendent des loyers abordables. Donc certains n’auront pas les moyens de louer ces logements", ajoute Guillaume Käser.
Après la visite de ces trois chantiers, un constat s’impose. Les rénovations énergétiques sont des travaux lourds, matériellement et financièrement. Et c’est avant tout leur coût qui pose problème. Pourtant, ils sont indispensables pour tenir les objectifs climatiques de la Suisse. Au vu des sommes en jeu, il semble urgent de repenser entièrement leur financement.
Alain Orange