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Thomas Jordan va quitter la BNS après 17 ans à façonner l’économie suisse

Après 17 ans, Thomas Jordan va quitter la Banque nationale suisse. [Keystone - Michael Buholzer]
Quel bilan pour le président de la BNS Thomas Jordan avant son départ? / La Matinale / 1 min. / hier à 06:27
Président de la Banque nationale suisse, le Biennois Thomas Jordan tient sa dernière conférence de presse ce jeudi. Retour sur un parcours marqué par le sauvetage d’UBS puis la débâcle de Credit Suisse, la crise financière et celle de l’euro, mais aussi les taux d’intérêt négatifs avant le retour de l'inflation.

Il incarne l'institution à lui tout seul. La Banque nationale suisse (BNS) et son président Thomas Jordan vont néanmoins se séparer, après presque trois décennies, à la fin de ce mois. Ce jeudi, le Biennois dirigera une dernière conférence de presse où il devrait annoncer une nouvelle baisse des taux d'intérêt. Ce sera ensuite au tour de Martin Schlegel, dont on dit qu'il est son dauphin, son fils spirituel, de prendre les rênes.

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Profil ultra-discret dans une carrure solide, Thomas Jordan pourra quitter "sa" banque centrale sans fanfare, mais l'esprit léger, si l'on en croit les économistes. "Son bilan est plutôt positif si on regarde l'inflation, surtout par rapport à nos voisins", estime Nadia Gharbi, économiste chez Pictet Wealth Management.

Son bilan est plutôt positif si on regarde l'inflation, surtout par rapport à nos voisins

Nadia Gharbi, économiste chez Pictet Wealth Management

Même s'il a eu un peu de chance: "C'est vrai que la Suisse a bénéficié de la force du franc, notamment ces dernières années lorsque les prix des matières premières ont augmenté. Cette force du franc a permis de réduire les prix importés et donc d'avoir un taux d'inflation qui montait moins que dans les autres pays." 

Une décision "courageuse"

Résultat, ces dernières années, alors que les prix flambaient au-delà de 10% en Europe et aux Etats-Unis, ils dépassent à peine les 3% au plus haut en Suisse. Ce qui permet à la BNS d'être la première à baisser à nouveau son taux d'intérêt cette année, une décision "courageuse", selon Gero Jung, chef économiste chez Mirabaud Asset Management.

On l'a vite oublié, mais il n'y a pas que l'inflation qui a motivé les interventions de la BNS ces dernières années, rappelle-t-il au passage. Pendant longtemps, avant que la pandémie bouleverse l'économie mondiale, c'était même l'inverse: la déflation, c'est-à-dire une spirale incontrôlable de baisse des prix, a menacé durant des années de plomber l'économie suisse.

Le président de la BNS Thomas Jordan lors d'une conférence de presse à Berne, le 18 juin 2015. [Keystone - Marcel Bieri]
Le président de la BNS Thomas Jordan lors d'une conférence de presse à Berne, le 18 juin 2015. [Keystone - Marcel Bieri]

Achats de devises étrangères en masse

Entré à la direction il y a 17 ans et devenu président en 2012, à la suite du départ précipité de Philipp Hildebrand accusé de conflit d'intérêt, Thomas Jordan est donc là quand il faut commencer à lutter contre le franc fort. La BNS se met à acheter des devises étrangères à coups de dizaines de milliards pour affaiblir sa monnaie. C'est le début de plusieurs polémiques: son bilan enfle, dans des proportions record. Conséquences, l'institution se met à faire des bénéfices puis des pertes astronomiques.

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En 2011, le futur président fait partie du trio qui décide d'instaurer un taux plancher contre l'euro. Il sera à la tête du navire quelques années plus tard, en janvier 2015, lorsque la pression est telle qu'il faut l'enlever, d'un coup tellement sec que les marchés financiers valsent, le franc bondit et, fait rare, les patrons et les syndicats s'étranglent à l'unisson, anticipant (exagérément) des dégâts sans précédent pour l'économie. 

Des taux d'intérêt négatifs

C'est à cet économiste formé à Berne, puis à Harvard, qu'on doit aussi les taux d'intérêt négatifs. Seule au monde à s'aventurer si loin, la BNS instaurera même un taux de -0,75% en 2015 qui restera en place pendant sept ans et fera aussi son lot d'heureux - la Confédération est payée pour emprunter - et de mécontents, en particulier les banques et les clients qui doivent payer cette sorte de taxe sur l'épargne.

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Sauveteur de banques

On le dit beaucoup moins intéressé à cet aspect de son mandat, et pourtant: la stabilité financière l'aura aussi occupé dans des moments de crise aigüe. Ce champion de natation est aussi un sauveteur des banques: il est déjà au chevet d'UBS en 2008. C'est lui qui a la tâche de gérer les actifs toxiques de la grande banque au bord du gouffre lors de la crise des subprimes.

Quinze ans plus tard, c'est à nouveau lui qui orchestre le sauvetage de Credit Suisse, qu'il faut propulser dans les bras d'UBS. Une solution de la dernière seconde qui lui vaudra à lui et à ses autres instigateurs, la Finma et le Conseil fédéral, de fortes réactions pour manque d'anticipation à un problème apparent depuis plusieurs mois. 

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Manque d'imagination

Un bilan relativement bon, mais pas sans critiques, donc. Pour Michael Malquarti, directeur de la gestion des risques chez Quaero Capital à Genève, on aurait aussi pu espérer un peu plus d'imagination ou une volonté de réformer cette institution.

Sa gouvernance à trois personnes seulement pose par exemple question: "Elle semble relativement faible étant donné les enjeux de politique monétaire". Pour lui, Thomas Jordan s'est aussi montré trop conservateur sur la politique de placement des réserves de la BNS, qui tient relativement peu compte des questions écologiques.

Sous la pression d'ONG, l'institution a fait des concessions en bannissant certaines entreprises, dont celles actives dans l'extraction de charbon. Pas suffisant pour beaucoup d'activistes, mais plus qu'assez pour les tenants d'une ligne plus traditionnelle où une banque centrale n'a pas de rôle à jouer dans la transition énergétique.

Mathilde Farine

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