Une alliance entre le PS et l'UDC pourrait voler au secours de l'industrie suisse de l'acier
La semaine dernière, une commission du Conseil des Etats donnait un premier feu vert à un financement transitoire afin d'aider les entreprises menacées dans le secteur de l'acier, comme l'aciérie soleuroise de Gerlafingen ou le groupe lucernois Swiss Steel.
Mardi, c'est la commission de l'énergie et de l'environnement du National qui a accepté de voler au secours du secteur. Elle a décidé d'exonérer les entreprises suisses "d'importance stratégique" dans la production d'acier et d'aluminium de certaines taxes sur l'électricité.
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Cette réduction serait limitée à 4 ans et dégressive d'année en année. Elle serait fixée à 50% au départ et à seulement 12,5% la dernière année. De quoi permettre aux entreprises de revenir à la normale. Par ailleurs, elle serait adressée uniquement aux fonderies qui produisent au moins 20'000 tonnes de métal par an, dont la commission estime qu'elles ont une importance stratégique pour le pays.
Intérêt économique, écologique et stratégique
En retour, les entreprises aidées devront s'engager à maintenir leur site de production en Suisse et à faire des investissements durables. Elles devront aussi informer la Confédération sur leur situation économique et ne devront en aucun cas verser de dividendes. Si ces conditions ne sont pas respectées, elles devront rembourser les subventions.
En commission, la proposition a été lancée par le socialiste vaudois Roger Nordmann avec l’appui de l'UDC soleurois Christian Imark. "Si nous ne donnons pas un signal immédiat et si nous ne faisons pas quelque chose, ces usines seront fermées avant que les mesures à plus long terme ne commencent vraiment à agir", estime ce dernier.
J'attends maintenant de cette société qu'elle renonce aux licenciements. On verra, mais en principe, c'est ce qu'ils doivent faire
"Ces secteurs sont aidés dans toute l'Europe. Donc si on ne prend pas de mesures, ces aciéries fermeront et ne rouvriront jamais. Or, la Suisse en a besoin sur le plan écologique et stratégique", abonde Roger Nordmann dans le 19h30. "C'est de l'acier à bas carbone et on va aussi utiliser les instruments votés par le peuple pour co-financer des investissements destinés à rendre ces aciéries plus compétitives", développe-t-il.
Le Vaudois précise par ailleurs que si le projet de loi passe, il attend de Swiss Steel qu'elle renonce aux licenciements. "On verra, mais en principe, c'est ce qu'ils doivent faire."
Une "alliance contre-nature" contre le Conseil fédéral
Cette alliance a priori contre-nature a porté ses fruits, soutenue notamment par des élus centristes. Elle n'a toutefois passé le cap que de justesse, par 13 voix contre 11 et 1 abstention, alors que le Conseil fédéral s'oppose à ce soutien pour l'industrie locale. Le gouvernement estime qu'il ne dispose pas d'une marge de manœuvre légale suffisante et que l'argent serait mieux investi dans du chômage partiel ou des programmes de décarbonation de toutes les entreprises.
Cette aide est également présentée comme une mesure écologique: "Le secteur de la sidérurgie, avec ses capacités de recyclage, a une importance capitale pour l'économie circulaire", souligne la commission dans son communiqué.
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Si elle convainc la gauche et une partie du Centre et de l'UDC, d'autres voix à droite craignent que cette brèche dans le libéralisme helvétique n'ouvre la voie à d'autres interventions, dans ce secteur ou dans un autre.
C'est un peu dans l'ADN de l'UDC de soutenir notre souveraineté, et donc également notre économie
Une minorité rejette toutefois toute mesure de soutien. A ses yeux, à long terme, il est toujours avantageux de ne pas mener une politique en faveur de certaines branches et entreprises. Dans la situation actuelle, elle ne voit pas de raisons de s'écarter de ce principe et doute que la mesure permette de régler les problèmes structurels des entreprises concernées.
"N'est-ce pas un grand danger que l'on se retrouve dans quelques années exactement au même point, où ces sites ne pourront peut-être pas être sauvés?", s'interroge le conseiller national PLR Christian Wasserfallen.
"Compromis acceptable"
"Nous ne remettons pas en question la nécessité d'avoir une économie très libérale, mais nous prenons également nos responsabilités", répond l'UDC Nicolas Kolly. "On ne pourra pas aider la totalité de l'économie qui est en difficulté. Mais là, on parlait quand même d'entreprises qui produisent 20'000 tonnes de métal par recyclage, donc une filière complète de recyclage en Suisse."
Invité dans Forum, le conseiller national fribourgeois évoque un "compromis acceptable". "Il y a clairement un intérêt stratégique de maintenir ces industries en Suisse et je crois que c'est un peu dans l'ADN de l'UDC de soutenir notre souveraineté, et donc également notre économie."
La décision a été prise dans le cadre d'un projet visant à inscrire dans la loi la réserve d'électricité. Ce projet a été approuvé par 21 voix contre 0 et 3 abstentions. Il devrait être examiné et débattu lors de la session d'hiver des Chambres fédérales, qui débute en décembre.
Pierrik Jordan
Un "compromis gagnant-gagnant" pour la Suisse
Un simple rabais sur les taxes prélevées pour l'utilisation du réseau électrique sera-t-il suffisant pour aider des entreprises qui semblent confrontées, selon certains, à des problèmes structurels? "Nous l'espérons", répond le conseiller national UDC fribourgeois Nicolas Kolly. "Ce sera quand même une économie de 50 millions sur quatre ans pour ces industries. C'est vraiment un grand pas dans leur direction."
"Maintenant, il faut que ces industries assument aussi leur part de responsabilité, que les propriétaires investissent", souligne-t-il. "On a auditionné ces entreprises, elles nous ont dit qu'elles étaient prêtes à assumer leurs responsabilités et à s'engager pour le maintien des emplois et du savoir-faire en Suisse. Encore une fois, c'est un compromis."
"Il faut aussi voir le verre à moitié plein", argue-t-il encore. "Si ces entreprises ferment, bien sûr, elles ne consommeront plus d'énergie, mais elles ne paieront plus du tout de participation au coût du réseau. Donc finalement, c'est win-win, parce qu'elles continueront à payer des millions pour l'entretien du réseau et on espère que cela suffira à maintenir ce savoir-faire et ces places de travail en Suisse."
Le Fribourgeois profite de l'occasion pour glisser un petit tacle à la stratégie énergétique de la Confédération: "Avec la stratégie 2050, le monde politique et le peuple ont pris des décisions qui ont aujourd'hui des conséquences directes sur le coût de l'énergie. Et on voit que ces entreprises n'ont pas une résilience suffisante pour absorber des pics de coûts de l'énergie", estime-t-il, plaidant pour un oui à la future initiative pour le nucléaire "Stop black-out".