Les chaussures pas si vertes de On Running et Roger Federer

Grand Format Enquête

RTS/Temps Présent - JEAN-MARC CHEVILLARD

Introduction

La Cloudneo est vendue comme la première basket de course circulaire et 100% recyclable, à l'infini. Pour le vérifier, l'émission Temps Présent a remonté sa chaîne de production. Usine à haut risque au cœur de Marseille, ouvrières vietnamiennes payées sous le salaire de subsistance, recyclage à la traîne : le rêve durable perd pied.

Chapitre 1
Khatasana, Inde. Le dégoût d'une chaussure plastique

"Un joueur aussi important que Roger Federer ne devrait pas porter ces chaussures. Il ne faut pas porter ce qui est mauvais pour la santé. Il faut l'interdire". À des milliers de kilomètres de la Suisse et de la star mondiale du tennis, à Khatasana, dans l'Etat indien du Gujarat, Vishnubai Patel découvre, abasourdi, que ses récoltes chaussent un géant du sport.

L'agriculteur pensait cultiver des graines de ricin pour des remèdes ayurvédiques, bons pour le corps, l'esprit, la planète. Mais c'est une basket de course, composée d'un plastique à base de ces mêmes graines de ricin, que la RTS dépose dans ses mains après une longue enquête. Vishnubai Patel est dépité, les déchets plastiques empoisonnent son pays: "Je suis dégouté. Je suis dégoûté parce que ce n'est pas bon. Le plastique pollue".

Le lien exact entre cet agriculteur indien et Roger Federer ? Le Bâlois est actionnaire et ambassadeur de la multinationale suisse On Running, une marque dont le chiffre d'affaires dépasse le milliard. Et cette chaussure qui les unit, c'est la Cloudneo.

La basket est disponible uniquement sur abonnement, pour garantir la circularité, explique la publicité. "Courir, recycler, recommencer". Il suffit de payer 35 francs par mois pour recevoir sa Cloudneo biosourcée, la renvoyer à On Running pour recyclage lorsqu’elle est usée et en recevoir une nouvelle paire… et cela à l'infini. "Ni superflus, ni déchet. La révolution du running commence avec vous", assure On Running.

Mais le conte de fée publicitaire s’est effiloché au fil des découvertes. La RTS a récolté des centaines de documents en ligne et remonté la chaîne de production mondialisée de la Cloudneo. Un sujet à découvrir dans les chapitres qui suivent et en version complète en visionnant Temps Présent.

>> Voir l'enquête de Temps présent :

Temps présent
Temps présent - Publié le 13 juin 2024

Malgré de nombreuses sollicitations, On Running a refusé toute interview et s'est contenté de réponses envoyées par courriel. Roger Federer, sollicité à travers sa fondation, n'a pas souhaité réagir et a renvoyé la balle à l'entreprise. 

Chapitre 2
Marseille, France. Une usine chimique à haut risque

Pour créer sa basket vertueuse, On Running est allé chercher un géant de la pétrochimie : Arkema. Les vidéos promotionnelles de l’entreprise française dévoilent cette alliance. Celles de On Running détaillent les premières étapes de production de la Cloudneo.

Tout commence avec une graine de ricin, cultivée en Inde : le "biosourcé" de notre chaussure. La graine y est broyée en huile, avant de rejoindre le 11e arrondissement de Marseille pour être transformée en un polymère synthétique (un plastique), le Rilsan, un des composants centraux de la chaussure.

Danger mortel en ville

Cette transformation se déroule dans l'usine d’Arkema, en ville. Le site est classé Seveso seuil haut, le risque maximum en matière industrielle. Le plus grand danger, mortel, vient d'une fuite de gaz lourd (il en faut beaucoup pour transformer le ricin en plastique). 

La vie des riverains est régie par un plan de prévention des risques peu rassurant. À 380 mètres de l'usine, par exemple, des incidents lors de la bromuration peuvent causer des dégâts irréversibles.

Nous qui savons que le plan de prévention est fait justement à cause du chlore, de l'ammoniac et surtout du brome, je ne vois pas comment on peut parler de produit vert

Myriam Janin, membre de l'association Marseille sans CSR

Alors quand Myriam Janin, membre de l'association Marseille sans CSR, découvre que l'un des composants de la Cloudneo y est produite, elle se méfie: "Nous qui savons que le plan de prévention est fait justement à cause du chlore, de l'ammoniac et surtout du brome, je ne vois pas comment on peut parler de produit vert. Si peut-être à la base il y a un petit truc de végétal, beaucoup d’autres produits chimiques sont rajoutés par-dessus. Donc c'est choquant".

Plan de prévention des risques autour de l’usine Arkema, à Marseille. [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]
Plan de prévention des risques autour de l’usine Arkema, à Marseille. [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]

Vivre avec la peur d'un accident

Pour se protéger, les habitants ont dû installer des pièces de confinement. Le centre social Les Escourtines, qui accueille des enfants, en possède deux. Mais elles ne rassurent pas sa directrice Karine Marsiglia: "Même si on est en salle de confinement, en cas d'accident, on doit encore cloisonner les fenêtres (double vitrage) avec du scotch. Je ne suis pas chimiste, mais les mots ont une valeur: nous sommes en zone Seveso létale". 

Je pense que c'est une grande galéjade ! On se moque de nous. C'est rigolo presque. On met nos vies en danger, mais apparemment, l’argent est plus important

Lucien Calenzo, riverain de l’usine Arkema

Même son de cloche chez Lucien et Annie Calenzo, qui vivent à 300 mètres de l'usine depuis 35 ans. Le souvenir de l’explosion en 2001 de l'usine AZF, qui a soufflé la ville de Toulouse, faisant 31 morts et 3000 blessés, les effraie. Les incidents industriels très graves sont rares en France, mais pas inexistants : dernier en date, l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen en 2019.

Lucien Calenzo nous fait visiter sa chambre d'ami. La mesure d’étanchéité le laisse plus que dubitatif: "Un petit joint en mousse à 3 sous. Je pense que c’est une grande galéjade ! On se moque de nous. C’est rigolo presque. On met nos vies en danger, mais apparemment, l’argent est plus important".

Le joint de la pièce de confinement de Lucien Calenzo le rassure peu, en cas d'accident chimique. [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]
Le joint de la pièce de confinement de Lucien Calenzo le rassure peu. Il doit pourtant le protéger en cas d'accident chimique de l'usine Arkema. [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]

Que pense Arkema de ce risque humain et environnemental ? Impossible à savoir. L'entreprise a annulé au dernier moment une interview, sur intervention de On Running. La marque n'a alors pas décidé si et quand elle parlerait à la RTS.

Et On Running, a-t-elle connaissance de ces risques et pièces de confinement ? L’entreprise refuse une interview et répond par écrit: "Tous les partenaires avec qui nous travaillons doivent respecter notre Code de conduite des fournisseurs".

Chapitre 3
Crémone, Italie. La fin du rêve. La Cloudneo ne semble ni circulaire, ni recyclable

Arkema a aussi la charge du recyclage de la chaussure circulaire. Au téléphone, le groupe pétrochimique explique que l'opération se déroule à Crémone, dans le nord de l'Italie. Les Cloudneo vendues dans le monde entier sont donc supposées converger près de la ville lombarde de Crémone pour être transformées en nouvelles chaussures. 

Mais quand la RTS demande à filmer ce recyclage, Arkema ne répond pas. C'est finalement On Running qui, fin avril, fait cet aveu stupéfiant: "Nous collectons les chaussures et nous sommes en bonne voie pour commencer le processus de recyclage". Le recyclage n'a pas encore lieu. Pourtant, cela fait déjà deux ans que la Cloudneo est commercialisée avec cette promesse de recyclage à l’infini.

La marque a même fait marche arrière sur sa communication. En avril 2023, la Cloudneo était vendue "100% recyclable" dans sa boutique en ligne officielle (et "à l’infini" dans les vidéos de promotion), en juin 2024 elle n'est plus que "recyclable à plus de 90%" sur la même page internet.

L'avis de la scientifique: les plastiques de la Cloudneo ne sont pas recyclables

Qu'en dit la science ? La chaussure effare Nathalie Gontard, spécialiste du recyclage des plastiques et directrice d’un laboratoire à l'INRAE Montpellier, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. L'experte démonte tout espoir de recyclage: "Nous aimerions tous que nos plastiques soient circulaires et recyclables. Mais on ne sait pas les recycler à des coûts environnementaux et économiques raisonnables."  

Nathalie Gontard, spécialiste du recyclage des plastiques et directrice d’un laboratoire à l’INRAE Montpellier [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]
Nathalie Gontard, spécialiste du recyclage des plastiques et directrice d’un laboratoire à l’INRAE Montpellier [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]

Il y a quand même une exception. Le PET peut être décyclé, c’est-à-dire transformé une fois en un sous-produit, comme une chaise de jardin par exemple. Mais ce modèle est impossible à appliquer dans le cas de la Cloudneo, selon Nathalie Gontard: "Ce procédé de recyclage ne s’adresse pas aux polyamides, c’est-à-dire aux plastiques qui constituent la Cloudneo. En tout cas pas pour l’instant et pas dans les décennies à venir. On ne voit pas bien comment on pourra résoudre ce problème". 

Biosourcé ne signifie pas biodégradable

Les publicités de On et Arkema entretiennent l’idée que le bioplastique à la base de la Cloudneo se dégraderait dans la nature. Le parallèle entre le cycle de la nature, où rien ne se perd, et le cycle de la chaussure, est assumé. 

C'est une fausse idée de penser que le plastique pollue seulement quand il devient un déchet. Lors de la course, la chaussure s'use et émet des microplastiques. Ils n’ont aucune frontière, rien ne les arrête et ils finissent dans nos organismes.

Nathalie Gontard, spécialiste du recyclage des plastiques et directrice d’un laboratoire à l’INRAE Montpellier

Mais ce terme "bioplastique" peut poser problème, selon Nathalie Gontard: "Quand on entend le préfixe bio, on se dit que c'est bénin. Mais avec l'intervention humaine, l'huile de ricin est complètement détruite. Et par des procédés chimiques, on reconstitue un polymère qui s’appelle du polyamide, polyester, ou autre, qui est identique au polymère pétrochimique. Il n'est plus du tout biodégradable".

Pire, au fil de la course, comme toutes les chaussures en plastique, la Cloudneo polluerait: "C'est une fausse idée de penser que le plastique pollue seulement quand il devient un déchet. Lors de la course, la chaussure s'use et émet des microplastiques. Ils n’ont aucune frontière, rien ne les arrête et ils finissent dans nos organismes. Les microplastiques s’accumulent et entraînent des désordres de type inflammatoire ou métabolique" 

Circulaire ? La Cloudneo rate la marche

Reste la promesse de circularité… On Running et Arkema en font un argument central. En vidéo, le groupe français dit sa fierté de produire la Cloudneo: "Ce projet fait la synthèse des meilleures solutions d’Arkema et des bonnes pratiques en matière de durabilité: matériau biosourcé, éco-conception, recyclage garanti et optimisé, c'est ce qu'on appelle l'économie circulaire".

Pas de quoi convaincre Nathalie Gontard: "On Running parle de cycle et de circularité tout le temps. Mais pour le plastique conventionnel, la circularité n'existe pas. Il n'y a pas de cycle de vie. C’est une chaîne de vie". Un processus linéaire, donc, et non circulaire.

La circularité, dans la publicité de On Running, c’est ce "Run, Recycle, Repeat". Trois "R" qui s'approprient un concept bien plus ancien, analyse Dunia Brunner, spécialiste de l’économie circulaire à l’Université de Lausanne: "Les 3 R de base c'est Refuse, Reduce, Recycle : 

  • La première chose à faire, c’est Refuse: éviter la production de déchets. En ne produisant pas, on ne gaspille pas. 

  • Ensuite Reduce: on réduit la quantité de déchets qui est produite et la quantité de ressource utilisées. On prend soin des objets, de les réutiliser, de les réparer.

  • Et enfin quand la réutilisation n'est plus possible, on va Recycler."

Qu'en dit On Running ? La réponse de la marque est pour le moins évasive: "Nous sommes en route vers un modèle circulaire. Et l'intégration des chaussures Cloudneo dans le programme Cyclon marque une première étape vers ce changement".

Chapitre 4
Long Khánh, Vietnam. Des ouvrières payées sous le salaire de subsistance

RTS/Temps Présent

“Made in Vietnam”. Après la graine de ricin cultivée en Inde et transformée en plastique en France, c'est la petite étiquette à l’intérieur de la Cloudneo qui indique la prochaine destination.

On Running tient à se démarquer avec une production "socialement responsable", son site le garantit: "Nos producteurs s'efforcent d'aller au-delà des exigences standard. Et nous pensons que cela se voit dans chaque article".

Pour le vérifier, il faut retrouver la trace de la Cloudneo dans l’effervescence des innombrables usines-ateliers du Vietnam. Seule piste: le nom du fournisseur, "Pro Well", est indiqué sur le site internet de On Running. Une recherche sur Google Maps dévoile une usine à 80 kilomètres d'Hô Chi Minh-Ville, dans la zone industrielle de Long Khan. Des photos postées sur les réseaux confirment que des chaussures On Running y sont produites.

Le pays est classé 174e sur 180 pour la liberté de la presse et les seuls syndicats existant sont directement liés au pouvoir. En alliant capitalisme et parti unique, le Vietnam s'inspire de la recette chinoise. Résultat: dans ses zones industrielles bien organisées, une main doeuvre en quête de pouvoir d'achat et qui ne se plaint pas facilement. Beaucoup de grandes marques occidentales de textile et d'articles de sport s'y sont installées.

Dans ce contexte, il faut se faire discret pour approcher de l'usine. Après plusieurs jours de discussions, trois ouvrières acceptent de témoigner, sous strict anonymat. Selon elles, l'usine travaillerait uniquement pour la marque suisse. Et si elles se disent bien traitées, leurs conditions de travail restent rudes.

Pas de salaire de subsistance pour les manufacturières de la Cloudneo

La première ouvrière rencontrée travaille depuis trois ans dans l'usine. Elle explique gagner près de 6 millions de dongs en salaire de base, soit 216 francs mensuels. Même avec les heures supplémentaires et des aides pour les assurances, ce montant est très loin du salaire qui permet d’entretenir correctement un foyer: le salaire de subsistance (Living wage, en anglais, un revenu calculé dans les pays à risque par des organismes indépendants).

Selon la coalition asiatique pour la lutte contre la pauvreté, le salaire de subsistance au Vietnam s'élève à 12,5 millions de dongs par mois. Environ 450 francs qui permettent de nourrir une famille et couvrir les besoins de base.

Cette réalité, On Running la connaît. Dans son rapport d'impact 2022, l'entreprise se donnait comme objectif que tous les salariés de ses sous-traitants vietnamiens gagnent un salaire de subsistance d'ici à 2025. A quel montant cela correspond et pourquoi attendre ? On Running reporte à nouveau sa réponse à plus tard: "nous sommes en train de revoir nos objectifs et méthodologies liés aux salaires et fourniront une mise à jour complète dans notre prochain rapport". 

Deux ouvrières témoignent anonymement sur leur vie à l'usine [RTS/Temps Présent]
Deux ouvrières témoignent anonymement sur leur vie à l'usine [RTS/Temps Présent]

À l'usine, 6 jours sur 7 et jusqu’à 10 heures par jour

Les journées sont longues, le travail exigeant. "Officiellement, on travaille 8 heures par jour", explique la deuxième ouvrière, et 6 jours par semaine. "S'il y a beaucoup de commandes, on peut faire jusqu'à deux heures supplémentaires par jour. On aime bien avoir des heures supplémentaires. S'il n’y en a pas, les gens ne peuvent pas gagner assez d'argent, alors ils sont découragés et ils vont chercher ailleurs". 

Ces longues heures ne laissent pas pour autant le droit à l'erreur. Les ouvriers savent que les chaussures seront vendues chères et doivent être parfaites, explique la troisième d’entre elles: "Comme c’est pour l’étranger, si une chaussure n’est pas bien faite, tout le lot est renvoyé. Il suffit vraiment d’une seule paire qui pose problème. Si on fait vraiment trop de fautes, que l'on reçoit plusieurs avertissements et que l'on recommence, là il y aura des pénalités à payer, ce qui est assez juste. Selon la gravité, cela peut coûter jusqu'à 200'000 dongs voire, dans les cas les plus graves, 500’000 dongs».  

Un Federer ensanglanté devant le siège de On Running [KEYSTONE - ENNIO LEANZA]
Le mouvement écologique Campax a installé en février dernier un faux Federer ensanglanté, en face du siège de On Running à Zurich.  [KEYSTONE - ENNIO LEANZA]

Petits salaires au Vietnam, gros bénéfices en Suisse

En janvier dernier, le magazine de consommateurs Ktipp révélait le fossé béant entre les modestes salaires vietnamiens et les énormes profits de On Running. Les marges de la marque seraient jusqu'à deux fois supérieures à celles de ses concurrents sur certains modèles.

A titre d'exemple, expliquait Ktipp, le modèle "The Roger Advantage" est fabriqué au Vietnam pour 18 francs mais vendu 190 francs sur le site de la marque, soit une marge de plus de 155 francs, supérieure à celles de ses concurrents.

Nous avons confronté Roger Federer, mais nous n'avons jamais eu une réponse de sa part ou de son management. J'ai l’impression qu'il évite le sujet

Marc Meschenmoser, rédacteur en chef de Ktipp

Révolté, le mouvement écologique Campax, influent en Suisse alémanique, a installé en février dernier un faux Federer ensanglanté, devant une machine à coudre, en face du siège de On Running à Zurich.

Pour Marc Meschemoser, rédacteur en chef de Ktipp, le silence de la star a choqué: "Les gens étaient surpris que Roger Federer tolère une situation comme celle-ci. Par exemple qu’il n'intervienne pas au Vietnam. Nous avons confronté Roger Federer, mais nous n'avons jamais obtenu une réponse de sa part ou de son management. J'ai l’impression qu’il évite le sujet". La RTS n’a pas eu plus de succès.

Chapitre 5
Zurich, Suisse. Concurrence déloyale ? Le fardeau de la preuve incombe à On Running

KEYSTONE - ALEXANDRA WEY

L'écart entre les promesses publicitaires de On Running et les résultats de notre enquête sont importants. Mais une marque peut-elle induire le consommateur en erreur en toute impunité ?

La question n'est pas que morale, elle est d'abord juridique, explique Nicolas Bueno, professeur de droit international à Unidistance: "Pour tout ce qui est publicité commerciale, la loi fédérale sur la concurrence déloyale précise ce que l'on peut dire ou non. Principalement, il y a deux choses qu'on ne peut pas faire: ce sont des indications qui sont soit inexactes, soit fallacieuses (c'est-à-dire trompeuses)".

Si la chaussure n’est pas entièrement recyclable alors que la publicité dit clairement que c’est complètement recyclable, (…) elle pourrait tomber sur le coup de la concurrence déloyale

Nicolas Bueno, professeur de droit international à Unidistance

Dans ces situations, il peut y avoir plainte pénale ou saisie de la Commission Suisse pour la Loyauté, l'organisme de veille sur la publicité. C’est ce qui est arrivé à la Fifa en juin 2023, reconnue coupable de greenwashing pour avoir prétendu que le dernier Mondial de football, organisé au Qatar, était neutre en carbone. Depuis, la Commission a sorti une nouvelle directive: une entreprise qui affirme par voie publicitaire agir pour l’environnement doit pouvoir le prouver. 

>> Lire aussi : La FIFA épinglée pour "greenwashing" après le Mondial 2022 au Qatar

"Si la chaussure n'est pas entièrement recyclable alors que la publicité dit clairement que c'est complètement recyclable, on pourrait être dans une information qui est inexacte. Dans ce cas, elle pourrait tomber sur le coup de la concurrence déloyale", conclut Nicolas Bueno. 

>> L'interview dans La Matinale d'Arnaud Nussbaumer, avocat et spécialiste du droit de l'environnement :

La marque ‘‘On Running’’ de Roger Federer est accusée de greenwashing (vidéo)
La Matinale - Publié le 14 juin 2024

Chapitre 6
Lausanne, EPFL. Le plastique durable, c'est possible ?

KEYSTONE - RAFIQ MAQBOOL

La crise mondiale de la pollution plastique a un impact dévastateur sur les écosystèmes, le climat, l'économie et la santé humaine. Et ces dégâts coûteraient cher à la planète, entre 300 et 600 milliards de dollars par an, selon l’ONU. Pire, toujours selon l'ONU, la production de plastiques devrait doubler au cours des 20 prochaines années si aucune mesure n’est prise. Alors, si la solution de On Running ne fonctionne pas comme promis, comment faire autrement ?

>> Revisionner : Face à l'augmentation drastique de la pollution plastique dans les océans, la résistance s'organise autour du globe

Dans son laboratoire de l’EPFL, le Professeur Jeremy Luterbacher et sa vingtaine de chercheurs se consacrent depuis des années au développement de plastique durable. Mais il n'est pas simple de créer un polymère issu de plantes qui soit à la fois assez résistant pour être utilisé, biodégradable à terme et tout cela à un coût abordable. 

L'équipe de Jeremy Luterbacher a produit un nylon en cellulose, imaginé pour de futurs filets de pêche [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]
L'équipe de Jeremy Luterbacher a produit un nylon en cellulose, imaginé pour de futurs filets de pêche [RTS/Temps Présent - Jean-Marc Chevillard]

Les chercheurs ont bien produit un nylon en cellulose, imaginé pour de futurs filets de pêche. Mais avec un tel produit, une basket coûterait plus de 1000 francs rien qu’en matériau. Impensable pour Jeremy Luterbacher: "Nous pouvons créer des produits via des start-up du labo, mais on constate que si le seul bénéfice d’un produit est d’être plus durable, on ne peut pas réussir à pénétrer le marché. Parce que les gens ne sont pas prêts à payer plus pour quelque chose de plus durable".

>> Réécouter : Des scientifiques de l’EPFL mettent au point du plastique à partir de déchets agricoles: interview de Jeremy Luterbacher

Compter sur les entreprises pour développer le plastique durable de demain ? Lui n'y croit pas. "La vraie solution n'est pas d’attendre qu'une compagnie fasse les choses parce qu'ils sont gentils. Ce serait d'induire un système dans lequel, pour se faire de l’argent, ils soient obligés de faire les choses de manière durable".

En attendant, la Cloudneo continue de parcourir le Globe: 6300 kilomètres de l'Inde à Marseille, puis 10'000 kilomètres pour arriver au Vietnam et 9400 kilomètres en moyenne pour être livrée vers 34 pays. A cela s'ajoute 2200 kilomètres en moyenne pour être théoriquement recyclée en Italie. Total: 28'000 km pour une chaussure. Et ce n'est que le début, car le cycle est supposé recommencer encore et encore.

La carte du voyage des chaussures On Running. [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 13 juin 2024