Jérôme Kerviel a été condamné mardi à cinq ans de prison, dont trois ferme, et à d'énormes dommages-intérêts de 4,9 milliards d'euros, montant de la perte subie par son ancien employeur. Une très lourde condamnation qui a suscité l'indignation notamment de la presse.
"Le jugement a été très clair, il y a eu condamnation", a déclaré mercredi soir la directrice de la communication du groupe Société Générale Caroline Guillaumin. Mais "il n'est pas question d'aller réclamer de telles sommes à un homme seul", a-t-elle ajouté sur la radio France Info. L'avocat de l'ex-trader a pour sa part exclu toute négociation (lire encadré).
Jérôme Kerviel, qui au début de son procès en juin s'était présenté comme consultant informatique gagnant 2300 euros par mois, a été condamné à des dommages-intérêts les plus élevés jamais infligés à un particulier en France. Compte tenu de ses revenus, il lui faudrait 170'000 ans pour s'en acquitter. Caroline Guillaumin a laissé entendre que les deux parties pourraient s'entendre sur un montant réduit, sans que l'établissement renonce à toute indemnisation.
Un homme abattu
Blême au moment du jugement mardi, Jérôme Kerviel s'était abstenu de tout commentaire. "J'ai vraiment le sentiment qu'on a voulu me faire payer pour tout le monde et qu'il a fallu sauver la (Société) Générale et qu'on a tué le soldat Kerviel", a-t-il finalement réagi mercredi sur la radio Europe 1. "Je suis quand même abattu par le poids de la sanction et par le poids des responsabilités que le jugement me fait porter", a ajouté le jeune homme de 33 ans.
L'ancien trader était jugé pour avoir pris sur les marchés financiers des positions spéculatives de dizaines de milliards d'euros, dissimulées à l'aide d'opérations fictives et de fausses écritures. Le tribunal a totalement exonéré la Société Générale, alors que Kerviel affirmait que sa hiérarchie l'avait laissé faire, voire encouragé à prendre des risques. Découverte au début 2008, la perte abyssale de près de 5 milliards d'euros avait précédé de quelques mois la crise financière et Jérôme Kerviel était devenu l'un des emblèmes de la dérive des marchés.
Procès en appel annoncé
Jérôme Kerviel a fait appel du jugement et, lors de son deuxième procès, il veut "apporter la preuve une fois pour toutes que, dit-il, je n'étais pas seul dans ce bateau-là". "C'est une mort civile, c'est une mort pécuniaire", a déclaré son avocat Olivier Metzner. "La crise financière n'est pas due à Kerviel, la crise financière est due à la création de produits virtuels", a-t-il martelé.
Le porte-parole du gouvernement Luc Chatel avait dit que la Société Générale, responsable du recouvrement de ces réparations, pourrait "peut-être" faire un geste et épargner son ancien employé. L'ancien trader a assuré recevoir des "tonnes" de messages de soutien.
Sa sévère condamnation a suscité la réprobation de la presse française qui s'étonne que la Société Générale soit ainsi lavée de toute responsabilité (lire ci-contre). Le chef de file des sénateurs du parti présidentiel UMP (droite) Gérard Longuet a trouvé "un petit peu étonnant qu'un homme seul porte la seule et l'exclusive responsabilité". "La responsabilité était pour le moins partagée", a abondé la responsable d'une association de petits actionnaires, Colette Neuville.
Le jugement a aussi suscité des commentaires critiques sur internet, où certains ont vu dans l'ancien trader la "victime expiatoire d'un système", celui des banques.
agences/sbo/hof
La presse française très remontée
La presse française est très critique mercredi au lendemain de la lourde condamnation de Jérôme Kerviel, y voyant le jugement "absurde" d'un "lampiste".
"Jérôme Kerviel. Le jugement absurde", s'indigne le journal populaire France-Soir. "Il doit payer 4,9 milliards d'euros à la Société générale, soit 390'000 années de Smic (salaire minimum)", rappelle le quotidien.
"Le seul coupable?", s'interroge le journal de gauche Libération, qui estime que "le lampiste de la crise financière supporte seul ou presque l'opprobre encouru par les démiurges de l'économie-casino".
"A prononcer une condamnation fantaisiste, les juges prennent le risque de décrédibiliser leur institution qui n'en a guère besoin", affirme le journal économique La Tribune.
Pour beaucoup de commentateurs, la Société Générale s'en sort "à très bon compte", comme le souligne Le Journal de la Haute-Marne, "car elle a su convaincre les juges qu'un seul petit trader pouvait court-circuiter des centaines de spécialistes internes et sa direction".
"Voir, aujourd'hui, la Société Générale revêtir le costume de victime est pour le moins consternant. Révoltant", juge le Midi Libre.
Son avocat exclut toute négociation
L'avocat de Jérôme Kerviel a exclu mercredi soir de négocier avec la Société Générale le montant des dommages et intérêts que l'ancien trader devra verser à la banque française, fixés mardi par un tribunal à 4,9 milliards d'euros.
"J'ai du mal à comprendre la cohérence de la Société Générale", a déclaré Me Olivier Metzner après l'annonce par la banque qu'elle était prête à "trouver une solution".
"Je pense que c'est une réaction de communication par rapport à tout ce qu'a indiqué la presse aujourd'hui sur le caractère totalement indécent de ce jugement sur le plan civil", a ajouté l'avocat de l'ex-trader. "Il n'est pas question de négocier", a-t-il dit.
"Ce qui nous intéresse de la Société Générale, c'est qu'ils reconnaissent que Kerviel a travaillé pour leur compte et uniquement pour leur compte".
"Aujourd'hui, nous considérons que nous ne devons aucun argent à la Société Générale", a ajouté le conseil de Jérôme Kerviel, qui a fait appel dès mardi du jugement.