Le suspect a été arrêté jeudi matin à son bureau par la police londonienne, qui avait été alertée par UBS, et a été inculpé vendredi. (Lire: Un trader fait perdre 2 milliards de dollars à l'UBS). Il est poursuivi pour "abus de position et fraude comptable", a précisé le police qui l'a maintenu en détention.
Il va rester en prison jusqu'à sa prochaine comparution devant la justice le 22 septembre, a décidé vendredi un tribunal londonien à l'issue d'une première audience. Le jeune homme, qui a pleuré en écoutant la décision du tribunal. Sa première fraude présumée remonte au 1er octobre 2008 et s'est poursuivie jusqu'à fin 2009, selon l'acte d'accusation de la justice.
Le courtier est accusé d'une autre fraude comptable entre le 1er janvier 2010 et le 14 septembre 2011, soit la veille de son arrestation. Il se serait en outre rendu coupable d'un "abus de position" entre le 1er janvier 2011 et le 14 septembre.
Le même profil que Jérôme Kerviel
Le jeune homme d'origine ghanéenne travaillait sur des produits financiers complexes, au département ETF ("Exchange Traded Funds", montages financiers adossés à l'évolution d'un indice boursier) dans la branche actions européennes. Son profil ressemble étrangement à celui de Jérôme Kerviel, le trader français qui avait fait perdre près de 5 milliards d'euros à la Société Générale en 2008 avec des transactions non autorisées.
Le fraudeur présumé a choisi pour sa défense le même cabinet d'avocats que celui qui avait représenté Nick Leeson, l'ex-courtier à l'origine de la faillite de la banque Barings dans les années 90. "Nous pouvons confirmer" que sa défense est assurée par le cabinet Kingsley Napley, a indiqué vendredi une porte-parole des avocats à l'AFP. Nick Leeson avait été condamné fin 1995 à six ans et demi de prison, après avoir fait perdre 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros) à la prestigieuse banque britannique Barings, provoquant sa faillite. Il a été libéré au bout de quatre ans et demi.
Régulation du système en cause
Malgré le manque de détails à ce stade, cette nouvelle fraude suscite des interrogations sur la régulation du système financier britannique, qui avait justement été renforcée en théorie dans la foulée de l'affaire Kerviel. Mais, après la révélation d'une nouvelle fraude géante, les experts pointaient surtout du doigt les défaillances du contrôle interne de la banque suisse plutôt que la régulation du secteur.
"Je ne crois pas que ce soit un échec du système financier dans son ensemble", a affirmé à l'AFP Manoj Ladwa, analyste chez ETX Capital à Londres. Selon lui, les personnes chargée du contrôle des risques au sein d'UBS "ne se sont pas rendu compte assez rapidement que ce trader avait pris des positions énormes sur une très courte période".
Les grandes agences de notation envisagent de dégrader la note d'UBS, en s'interrogeant sur les faiblesses du contrôle du risque au sein de la banque. (Lire: La note de la banque UBS sous surveillance).
Manque de transparence
L'affaire UBS remet aussi sur le devant de la scène le rôle de certains produits complexes. Le Serious Fraud Office (SFO), l'office de lutte contre la délinquance financière au Royaume-Uni, a souligné avoir "mis en garde contre les dangers inhérents aux ETF", en raison notamment de leur "manque de transparence". Ce nouvel épisode apporte des arguments supplémentaires aux partisans de la réforme du système bancaire britannique, qui doit permettre d'isoler d'ici à 2019 les opérations d'investissement du reste des activités des banques.
"Merci UBS", écrit ainsi dans le Financial Times Martin Wolf, l'un des membres de la commission indépendante qui a prôné cette séparation et dont les conclusions ont été endossées par le gouvernement. "Je n'aurais pas pu rêver meilleure illustration des risques impossibles à réguler auxquels sont exposées les banques d'investissement", ironise-t-il.
Réformes des règles de surveillance
A moyen terme, ces activités qualifiées de "casino" par leurs nombreux détracteurs, doivent être isolées afin de protéger la banque de détail dédiée aux particuliers ou aux prêts aux entreprises. Autre réforme déjà engagée, le gouvernement a lancé une refonte des autorités chargées de surveiller l'ensemble du système et de veiller à la bonne application des règles, en renforçant les prérogatives de la Banque d'Angleterre.
En revanche, le gouvernement a renoncé à encadrer strictement ou à limiter les bonus individuels dans le secteur financier, pourtant accusés d'encourager la prise de risque.
Enquête des gendarmes du marché
Les gendarmes des marchés financiers en Suisse et au Royaume-Uni ont finalement annoncé vendredi soir qu'ils lançaient des enquêtes "indépendantes" sur la perte de 2 milliards de dollars. "L'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) et l'autorité de surveillance britannique, la Financial Services Authority (FSA), lancent une enquête détaillée et indépendante sur les événements liés aux pertes sur des transactions subies par UBS SA à Londres", a indiqué la Finma dans un communiqué.
L'enquête va porter sur "le détail des activités de transactions non autorisées" et sur "l'échec des systèmes de contrôle qui ont permis à ces activités de ne pas être détectées", a précisé le gendarme suisse des marchés financiers.
Les enquêteurs de la Finma et de la FSA vont également évaluer "l'efficacité globale des mécanismes de contrôle d'UBS visant à éviter des transactions non autorisées ou frauduleuses au sein de la banque d'investissement", selon le communiqué. "Aucune indication sur la durée de l'enquête ne peut être donnée en ce moment", a ajouté la Finma.
agences/olhor
UBS DANS LE FLOU MAIS SON ACTION REBONDIT
UBS n'était vendredi pas en mesure de donner des informations supplémentaires sur cette affaire. Ce scandale ternit une nouvelle fois la réputation du numéro un bancaire helvétique, qui avait frôlé la faillite suite à la crise financière, avant les foudres des autorités américaines dans le cadre d'affaires d'évasion fiscale.
L'établissement veut éclaircir le cas "au plus vite", a expliqué à l'agence financière AWP un porte-parole d'UBS.
La perte sur transaction (du trader londonien) intervient à un moment où la profitabilité d'UBS a été mise sous pression par des facteurs comme la faible activité des clients et la solidité du franc suisse", a relevé Moody's. Cette dernière a cependant estimé que la perte était "gérable" du moment qu'elle ne dépassait pas les 2 milliards de dollars annoncés.
Cette "surveillance" par les agences de notation n'a pas empêché l'action UBS de rebondir vendredi après la chute spectaculaire survenue jeudi, jour de l'annonce de la fraude. En fin de journée, le titre avait gagné plus de 5%.
Côté politique, le Conseil fédéral a pris connaissance de l'affaire et n'a pas mené de discussion à ce sujet, a indiqué le porte-parole de gouvernement.
Le courtier est un pur produit de la City
Elégant, bien éduqué, parfaitement intégré : au fil des témoignages, le suspect d'une gigantesque fraude contre la banque suisse UBS, renvoie l'image type d'un trader de la City, un trentenaire travaillant dur pour réussir et aimant la fête et le luxe. Depuis l'annonce de son arrestation jeudi à Londres, amis, voisins et collègues font part de leur incrédulité, surpris que ce garçon posé et affable puisse être suspecté d'avoir fait perdre des sommes colossales à UBS -jusqu'à deux milliards de dollars- en effectuant des opérations non autorisées.
Selon la BBC, il a lui-même averti la banque d'une situation devenue hors de contrôle, la banque n'ayant pas été en mesure de repérer par elle-même ces malversations. "C'est un garçon très gentil, très poli. Il parlait à tout le monde", a raconté à la presse un de ses anciens propriétaires qui lui louait, il y a peu, un appartement à 1000 livres la semaine à Shoreditch, un quartier à la mode de l'est de Londres. Il était toujours "très élégant et très courtois. C'était un gars tranquille".
Jusqu'à son interpellation en pleine nuit dans son bureau, qui a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans les milieux financiers, la vie de ce jeune trader d'origine ghanéenne, fils d'un ancien fonctionnaire des Nations unies à la retraite, avait tout d'une "success story" : voyageant beaucoup avec ses parents dans son enfance, bénéficiant d'un éducation internationale, il a ensuite fréquenté une école privée réputée au Royaume-Uni, puis l'université de Nottingham (centre de l'Angleterre). Une fois son diplôme d'e-commerce et d'économie numérique en poche, il est entré en 2006 en tant que stagiaire à UBS, où il a rapidement gravi les échelons.
A 31 ans, "en pleine ascension professionnelle" aux dires mêmes de ses collègues, il travaillait au département ETF ("Exchange Traded Funds", montages financiers adossés à l'évolution d'un indice boursier) au sein de la division banque d'investissement d'UBS. Comme beaucoup des trentenaires qui forment le gros des troupes de la City, il travaillait dur, mais gagnait gros (environ 300'000 livres par an, d'après les évaluations de la presse).
Amateur de bons vins, de photographie et de vélo, parcourant le monde pendant ses vacances, il organisait régulièrement de grandes fêtes dans son appartement dernier cri, toujours selon les témoignages de ses collègues.
Sa famille, qui réside au Ghana, a désormais le "coeur brisé". "D'après les informations qui sortent, il est possible qu'il ait fait une erreur ou une faute de jugement", a reconnu son père, cité dans la presse britannique. "Frauder ne correspond pas à (l'éthique de) notre famille, que j'ai élevée dans la crainte de Dieu, avec du sens moral". Sur son compte Facebook, on pouvait encore lire jeudi cette phrase, une des dernières attribuées au jeune trader : "j'ai besoin d'un miracle". Ce compte est désormais inaccessible.