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Les banques suisses refusent l’argent grec

De nombreuses enquêtes désignent la Suisse comme lieu de refuge pour les fortunes grecques tentant d'échapper au fisc
De nombreuses enquêtes désignent la Suisse comme lieu de refuge pour les fortunes grecques tentant d'échapper au fisc / 19h30 / 4 min. / le 18 octobre 2012
Un figurant, sur demande de la RTS et en caméra cachée, s’est fait passer pour un binational, chargé par sa famille grecque de placer deux millions d’euros non déclarés dans une banque suisse. Cinq banques sur six ont refusé cet argent.

La Suisse et la Grèce ont entamé des négociations pour conclure un accord fiscal du type Rubik. Selon les estimations les plus réalistes, 20 à 30 milliards d'euros qui échappent au fisc grec sont placés dans les banques suisses. Ces dernières accueillent-elles toujours les fraudeurs du fisc hellénique? La seule manière de le savoir était de les tester. Un figurant "binational" - mandaté par la RTS et en caméra cachée - s'est rendu dans six banques suisses afin de placer deux millions d'euros non déclarés sur demande de sa famille grecque. Sur les six établissements testés, un seul a encouragé le client-figurant à placer cette fortune en Suisse. Récit.

Sous conditions

Dès le premier contact téléphonique, trois banques ont posé comme conditions que les deux millions d’euros du figurant soient déclarés. Lors de rendez-vous, deux autres établissements lui ont conseillé de placer son argent en Suisse, mais de le déclarer.

"Je ne peux plus ouvrir un compte grec ou européen si c'est de l'argent non déclaré, a expliqué un banquier. La Suisse ne peut pas d'un côté proposer des accords à des pays pour régulariser les avoirs de leurs ressortissants en Suisse et, de l’autre, continuer à les encourager à ouvrir un compte en Suisse. Rien ne vous protégera de Rubik".

"Pouvez-vous protéger mon argent?"

"Concrètement, si j’ouvre un compte chez vous, est-ce que vous pouvez encore protéger mon argent non déclaré?", a demandé notre figurant à un autre gestionnaire de fortune. "Pour l'instant on peut, a répondu ce banquier de la place. Mais à l'avenir, on sera embêté."

Tant qu’un accord Rubik est signé avec la Grèce, légalement, les banques suisses sont tenues de vérifier que l’argent grec soit d’origine licite. Le fait qu’il soit déclaré ou non n’est pas déterminant. Mais seule une banque sur six a accueilli l’argent de notre figurant à bras ouvert. "Jusqu'en 2014, il ne va rien se passer, a expliqué en substance le banquier de cet établissement. Si on ouvre le compte maintenant, ils ne vont pas poser beaucoup de questions. On va faire le 'due diligence' vite fait et ouvrir ce compte en un jour ou deux. A mon avis, vous devriez ouvrir un compte au plus vite." Et d’exclure que la banque donne des informations aux autorités grecques: "Si elles nous appellent, nous raccrochons."

La tentation du "hard offshore"

Un autre banquier a proposé au figurant de la RTS de placer son argent dans une filiale européenne de la banque. "Une possibilité, c'est d'ouvrir un compte dans un pays européen, mais pas en Suisse. C'est clair qu'en Europe, de manière globale, tous les pays pratiquent entre eux l'échange automatique d'informations; mais c'est théorique, ce n'est pas vraiment fait."

Plusieurs banquiers ont expliqué à notre figurant que "la plus grande partie de l’argent grec placé en Suisse n’était pas déclarée." Ils ont noté que, pour échapper au futur accord Rubik, de grosses fortunes grecques étaient tentées de clôturer leurs comptes en Suisse pour transférer leur argent hors de la sphère européenne, aux Bahamas, Hong Kong ou Singapour. "En faisant du 'hard offshore', ils préservent leur anonymat et échappent à l’impôt. Mais ensuite, il leur sera difficile de réinjecter cet argent dans le circuit pour pouvoir l'utiliser."

Et un banquier de conclure : "Franchement, si votre argent reste en Grèce et que vous l’investissez, je ne pense pas qu’il risque grand-chose."

Anne-Frédérique Widmann/gax

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Des milliards en jeu

Impossible de connaître avec précision les montants déposés par des Grecs en Suisse pour échapper à l’impôt. Les estimations varient de 2 à 200 milliards dans la presse grecque. Selon l’ONG Transparency international, 12 milliards d’euros d’impôts échapperaient au fisc grec chaque année, soit 30% de la richesse nationale. Une partie de cette somme se trouve dans les banques suisses où les Grecs avaient placés 24,2 milliards de francs en 2009, dont seulement 200 millions (1%) seraient déclarés, selon une étude du courtier Helvea.

Berne et Athènes ont repris les négociations en vue de conclure un accord fiscal de type Rubik. Le futur accord Rubik avec Athènes devrait laisser deux possibilités aux Grecs disposant de fortune non déclarée en Suisse: se déclarer aux autorités grecques, ou alors préserver leur anonymat en s’acquittant d’un prélèvement libératoire auprès de leur banque, un impôt à la source qui sera conséquent (30% en moyenne).

Le calendrier est encore flou, mais les banques estiment que cet accord pourrait entrer en vigueur en 2014.

La réaction d'un fiscaliste

Le fiscaliste Philippe Kenel estime que les banquiers qui ont découragé le figurant mandaté par la RTS de placer son argent non déclaré en Suisse "sont dans le juste", tant du point de vue de la place financière suisse dans son ensemble que dans celui du client grec.

"Dès janvier prochain, les autorités étrangères pourront déposer des demandes groupées de renseignements fiscaux à la Suisse et l’accord de type Rubik entre Berne et Athènes pourrait être signé l’an prochain et entrer en vigueur en 2014. Dans ce contexte, un banquier helvétique qui dit à un client grec que son argent défiscalisé ne court aucun risque en Suisse ne dit pas la vérité. Dès que l'accord Rubik sera signé, ce client sera piégé. Il devra soit s’annoncer au fisc grec, soit payer l’équivalent de 30% de sa fortune environ pour pouvoir conserver l’anonymat de ses comptes en Suisse."

Dans ce contexte, Philippe Kenel estime qu’aujourd’hui les grosses fortunes grecques sont tentées de transférer leur fortune à Singapour ou aux Bahamas, des places financières où de nombreuses banques suisses comptent des filiales. "Transférer cet argent dans les filiales européennes des banques suisses est à mon sens une folie car le champ des directives européennes en matière de fiscalité vont sans doute augmenter.", conclut le fiscaliste.