L'électricité d'origine nucléaire n'est rentable que par écart au droit comptable ordinaire. C'est en substance ce qu'affirme l'économiste Kaspar Müller, dont une étude récente met en cause la comptabilité pratiquée par les centrales de Gösgen (SO) et Leibstadt (AG). Ces sociétés incluent dans leurs bilans des actifs de manière non conforme au Code des obligations, estime le chercheur.
Du simple au double
Selon Kaspar Müller, également président de la Fondation Ethos, beaucoup de frais futurs sont inscrits aux actifs des centrales de Gösgen (Kernkraftwerk Gösgen - KKG AG) et de Leibstadt (KKL AG). Cette pratique gonfle les fonds propres qui, sans cela, seraient insuffisants et exigeraient une recapitalisation immédiate de la société. Une comptabilité correcte ferait apparaître un coût de 8 à 10 centimes par kilowattheure (kWh) et non de 4 à 5 kWh, juge-t-il.
Plus grave, selon l'économiste, les Fonds de désaffectation et de gestion des déchets sont évalués au bilan à des niveaux supérieurs au prix du marché, ce qui n'est pas conforme au Code des obligations non plus. "Aucune caisse de pension n'aurait de problème si elle pouvait mettre dans son bilan des valeurs plus hautes que ce qu'elle sont sur l'exercice en cours", explique Kaspar Müller.
Incompréhension d'Alpiq
Alpiq réfute ces affirmations et juge les comptes de ses deux centrales nucléaires rigoureusement conformes au droit fédéral. Pour le cas de Gösgen dont il est en charge de la gestion, Michael Plaschy, responsable des activités nucléaires d'Alpiq, explique que "toutes les valeurs de ces comptes sont auditées par Ernst & Young".
"Nous ne comprenons pas ces critiques sur le prix de revient de l'énergie nucléaire", poursuit-il, d'autant que "le modèle actuel de financement du stockage des déchets et de démantèlement garantit que les fonds nécessaires seront disponibles à la fin de la durée d'exploitation des centrales." La centrale de Gösgen est couverte par ses actionnaires, qui assument tous les risques de la société, ajoute Michael Plaschy.
Pascal Jeannerat/dk
Analyse: une question comptable mais surtout politique
Suivant qu'on se réfère strictement au droit comptable ordinaire ou au droit fédéral spécifique, le prix du kilowattheure nucléaire passe donc du simple au double.
Kaspar Müller, auteur de l'étude (voir texte principal), juge que cette question devrait au moins être examinée par les actionnaires des entreprises électriques, qui pour la plupart sont des collectivités publiques.
Si les Fonds de désaffectation et de gestion des déchets (devant atteindre à terme 20 milliards de francs) ne suffisent pas, qui paiera? s'interroge-t-il.
Question importante dans le contexte de l'abandon du nucléaire: vaut-il la peine d'investir pour prolonger la durée de vie des centrales actuelles, ou est-ce que chacun de ces francs ne serait pas plus rentable s'il était investi dans les énergies renouvelables?
L’analyse comptable pose la question, mais la réponse, elle, demeure politique.