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Décryptage des enjeux de la décision de la Banque centrale européenne

BCE [Keystone - EPA/Boris Roessler]
La mesure attendue de la BCE est présentée comme le dernier recours possible pour relancer la croissance dans la zone euro. - [Keystone - EPA/Boris Roessler]
La BCE a lancé jeudi un programme inédit de rachat massif de dettes d'Etat pour tenter de relancer la croissance dans la zone euro. Explications des principaux enjeux et conséquences.

La Banque centrale européenne (BCE) doit annoncer jeudi un rachat massif de dette publique, une annonce attendue et objet de spéculations depuis des mois. Cette mesure doit permettre de relancer la croissance dans la zone euro.

Quelques clés pour comprendre les principaux enjeux de cette décision.

Pourquoi la BCE a-t-elle décidé de racheter des centaines de milliards de dettes d'Etat?

Depuis la crise des subprimes, en 2008, l'Union européenne fait face à deux fléaux: la crise de la dette et un manque de croissance. Pour y faire face, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé, depuis 2012, de réduire les taux directeurs afin de ranimer l'économie.

Sachant que les taux directeurs ont été baissés à 0,05% et qu'il n'est pas possible de les faire passer en dessous de 0%, la BCE a donc dû miser sur un autre outil pour tenter de relancer la croissance: l'assouplissement quantitatif ou "quantative easing" (QE).

Qu'est-ce que l'assouplissement quantitatif?

Il s'agit d'un outil non conventionnel qui permet, par un jeu d'écriture comptable, de créer de l'argent frais sans imprimer de nouveaux billets de banque.

Le Japon, le Royaume-Uni ou encore les Etats-Unis ont déjà eu recours au QE. La Banque fédérale américaine (Fed), par exemple, l'a mis en place en 2008, au début de la crise.

Comment la BCE entend-elle procéder?

La Banque centrale européenne pourrait injecter des centaines de milliards d'euros d'argent frais. Selon des informations de presse, la BCE pourrait racheter plus de 1000 milliards d'euros en rachetant des actifs pour 60 milliards chaque mois jusqu'à fin 2016.

En quoi cette opération est-elle non conventionnelle?

Le traité de Lisbonne, qui s'appuie sur le traité de Maastricht, interdit le financement monétaire des Etats. La justice européenne autorise cependant le QE lorsque celui-ci permet à la BCE d'atteindre une inflation de 2% ou de sauver l'euro.

Qui sont les perdants et les gagnants?

Un probable rachat massif de dette publique profitera principalement aux pays périphériques de la zone euro, tels que l'Italie, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande. Ces Etats bénéficieront de crédits plus abondants et moins chers. La baisse de l'euro sera quant à elle profitable pour leurs exportations.

Ce n'est pas un secret que l'Allemagne désapprouve cette opération. Elle craint surtout que l'action de la BCE ne décourage les réformes structurelles dans les pays du sud. Ce qui pourrait déboucher sur une "faillite" de la Grèce par exemple.

"Plus ils en font, plus l'incitation pour que les gouvernements agissent est faible", a indiqué l'ancien président de la Banque centrale allemande Axel Weber à Davos.

L'Allemagne bénéficiera en revanche beaucoup d'une éventuelle baisse de l'euro, qui favoriserait ses exportations vers les pays émergents.

Au niveau des ménages, les personnes qui empruntent seront avantagées, contrairement aux épargnants qui verront leur épargne rapporter moins. Pour les crédits immobiliers, les acheteurs pourront bénéficier de taux exceptionnels pour financer l'achat de leur maison.

Quelles seront les conséquences pour la Suisse de la décision de la BCE?

Avec la décision de la BCE d’injecter des liquidités, il y aura davantage d’euros en circulation, ce qui devrait encore faire baisser la monnaie unique européenne. Face à elle, le franc suisse va donc se renforcer d’autant plus. La Banque nationale suisse a tenté d’anticiper la mesure de la BCE en abolissant le taux plancher entre l’euro et le franc suisse afin d’éviter des pertes trop importantes.

"Le moment de la décision [de la BNS] n’est sûrement pas le fait du hasard. L’attente d’un programme de rachat de dette par la BCE doit encore faire baisser l’euro à moyen terme et ainsi creuser les pertes de la Banque centrale suisse", commentait le président de l’institut berlinois DIW Marcel Fratzscher, sur le site Les échos vendredi dernier.

Avec l’euro perdant du terrain, la BNS subirait de fortes pertes sur ses réserves de devises, dont une large part est en euros (environ 180 milliards).

Suite à la décision de la BCE, le renforcement du franc suisse face à l’euro pourrait continuer de plomber l’économie suisse, les exportations et le tourisme notamment. La Suisse est moins compétitive sur le plan international, ses produits d’exportation augmentant, et la concurrence des produits importés dans le pays est plus forte.

Quels sont les scénarios possibles suite à l'annonce de la BCE?

Les spéculateurs ont certainement déjà anticipé la baisse de l’euro, la décision de la BCE étant largement attendue. Il existe cependant trois scénarios différents:

 - Les effets des décisions de la BCE se sont déjà fait ressentir et le cours de l’euro va se maintenir

 - Les spéculateurs ont sous-estimé le montant des liquidités injecté et le cours de l’euro va chuter

 - Les spéculateurs ont surestimé ce montant et le cours va monter

Mathieu Henderson, Sophie Badoux et Cécile Rais

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