Amazon cultive le secret et il a fallu plus de sept mois à la RTS pour arriver à entrer dans les locaux du géant américain. On ne vous dit pas "non", mais "peut-être" ou "pas tout de suite", on vous fait attendre, on change d'interlocuteurs. La presse a tant décrié des conditions de travail déplorables qu'Amazon se méfie.
Et puis un jour, il y a un "oui". Direction, le Nord-Pas-de-Calais, à 5 minutes de Douai: Lauwin-Planque, 1700 habitants, du vent, des terrils, des corons et 14% de chômage, une région sinistrée après la fermeture des puits dans les années 1990. C'est là qu'Amazon a choisi de construire son plus grand entrepôt en France.
4,5 millions d'articles
C'est en septembre 2013 que le géant du e-commerce a apporté un nouveau souffle à la région avec cet entrepôt de logistique, le quatrième du pays, mais le plus grand, qui réunit tous les superlatifs: colossal, démesuré, monstrueux.
Installé en pleine campagne, le bâtiment s'étale sur dix hectares, soit douze terrains de foot. Il abrite 4 millions et demi d'articles pour 126 millions de références sur le site internet. Près de 1000 employés y travaillent en période creuse, 1500 pendant les fêtes.
A ce site de 90'000 m2 s'ajoutent en France les locaux de Saran (Loiret, 47'000 m2), Sevrey (Saône-et-Loire, 40'000 m2) et Montélimar (Drôme, 47'000 m2), ce dernier étant en train d'être agrandi. Au total, on arrive à plus de 230'000 m2.
Amazon.fr a aussi récemment lancé des visites destinées au grand public de ses centres de distribution. Le site de Lauwin-Planque a ouvert pour la première fois ses portes le 11 avril lors d’une visite réservée aux institutionnels locaux et aux familles des collaborateurs. Les visites ouvertes au grand public débuteront à la mi-juin.
Des critiques sociales
Ce gigantisme contraste avec les fortes critiques adressées à Amazon lors de son arrivée en Europe en 2000. Les conditions de travail ont été dénoncées en France, mais aussi en Allemagne et en Angleterre: emplois précaires, collaborateurs sous forte pression, exploités, obligés de parcourir des kilomètres, de dépasser leurs performances jusqu'à l'épuisement.
Mais pour le site de Lauwin-Planque, le groupe semble avoir rectifié le tir et est devenu le bon élève. Les employés assurent qu'ils ne courent pas, qu'ils ne doivent pas dépasser un rythme de travail raisonnable et qu'ils sont contents d'avoir enfin trouvé un travail.
L'envers du décor
Le modèle économique est toutefois discutable. Selon Solange Ghernaoui, professeur à l'Université de Lausanne et experte en cybersécurité, ce modèle est dangereux à long terme, à force de tout rationaliser.
Ainsi, pour un chiffre d'affaires égal, quand Amazon engage un seul employé, le commerce de détail classique devrait en engager neuf, ce qui signifie qu'à terme, les emplois qualifiés, diversifiés et durables disparaissent.
De plus, dénoncent les syndicats, il ne faut pas oublier que des sociétés comme Amazon bénéficient de l'aide de l'Etat pour s'implanter mais que le retour sur investissement est très marginal car ses sociétés effectuent de l'optimisation fiscale. Selon un rapport du Sénat, le géant américain rapatrie l'essentiel de son chiffre d'affaires au Luxembourg (905 milliards sur 930 au total) et échappe ainsi pratiquement totalement à l'impôt en France. Et ce au détriment des commerces indépendants et de proximité qui génèrent nettement plus d'emplois tout en s'acquittant de leurs obligations légales.
Sabine Kennel/Frédéric Boillat
La presse et les employés réagissent
Les dures conditions de travail chez Amazon (intensité, surveillance et précarité) ont été révélées en 2013 avec notamment la parution du livre "En Amazonie: infiltré dans le 'meilleur des mondes'", du journaliste Jean-Baptiste Malet.
>> Ecouter le sujet de la RTS diffusé en 2013: Amazon: l'envers du décor
Plusieurs mouvements de grève ont eu lieu depuis 2013 en Allemagne et en France. Les employés réclamaient des hausses salariales et des pauses plus longues.