"Je pense que la Banque nationale suisse a fait une erreur de stratégie en abandonnant le taux plancher en janvier dernier. Ce plancher était devenu crédible sur les marchés financiers", a déclaré Patrick Artus sur les ondes de la RTS.
Selon le chef économiste de la banque Natixis, cette décision entraîne un important problème de compétitivité pour l'économie helvétique: "Un industriel ne peut pas ajuster ses coûts à la baisse de 15% très rapidement. C'est la première fois qu'on commence à voir un problème industriel en Suisse, avec une chute et une délocalisation des investissements qui ne sont pas compensés par d’autres morceaux de l’économie".
L'Allemagne à la peine
D'autant que la Suisse pourrait subir de plein fouet l'absence de reprise des investissements en Allemagne, son premier partenaire économique. "Je suis très inquiet pour l'Allemagne, commente Patrick Artus. Depuis trois ou quatre ans, on n'assiste plus à aucun gain de productivité. Il y a trop d'emplois dans les entreprises. Celles-ci n'ont pas ajusté l'emploi à la baisse comme elles auraient dû le faire pour préserver cette espèce de modèle social allemand".
Et l'économiste français d'ajouter: "Un véritable problème structurel apparaît. Ce qui tire la croissance allemande, c'est la consommation des ménages et l'immobilier. Les entreprises n'investissent plus dans leur pays mais en Espagne parce que c'est beaucoup plus attrayant".
Retour de la croissance en Espagne
Après plusieurs années de crise en Europe, la croissance fait effectivement son retour dans certains pays, parmi lesquels l'Espagne, le Portugal ou encore l'Irlande. Une reprise due à l'affaiblissement des coûts salariaux, selon Patrick Artus: "La baisse des salaires a permis de créer des emplois, d'exporter et de réinvestir".
Reste que les nouveaux emplois créés proposent des salaires de 20 à 30% plus bas qu'auparavant. N'est-ce pas problématique? "Évidemment, pour la population, c’est pénible. Il y a une perte importante de pouvoir d’achat mais je ne crois pas qu’il y ait d’autres stratégies efficaces à l'intérieur d’une union monétaire", rétorque l'économiste.
Deux chocs favorables
Si certains pays sortent progressivement la tête de l'eau, d'autres se débattent dans une situation beaucoup plus difficile. A l'instar de l'Allemagne, la France et l'Italie en font partie. "Leur économie est essentiellement tirée par les deux chocs favorables que vient de connaître l'Europe, à savoir la baisse du prix de pétrole et la dépréciation de l'euro", explique Patrick Artus.
"Pour l’instant, si l’on enlève ces deux facteurs en Italie, en France et en Allemagne, il ne reste plus aucune croissance. Or, ces deux chocs vont s’user. Vers l’été 2016, on en aura tiré tous les profits", relève-t-il sans pour autant se montrer trop pessimiste.
Le principal enjeu concerne surtout ces trois pays. "Va-t-on voir, d’ici l’année prochaine, les entreprises y réinvestir, créer des emplois solides et fabriquer de la vraie croissance? Pour l’heure, ceci ne se produit pas. Mais cela pourrait arriver."
kg