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"La Chine a utilisé l'arme monétaire au service de la croissance"

Christian de Boissieu. [RIA Novosti/AFP - Ruslan Krivobok]
Christian de Boissieu, professeur en économie / L'invité de la rédaction / 23 min. / le 17 août 2015
En dévaluant sa monnaie, la Chine a fait trembler les places financières mondiales la semaine dernière. Pour l'économiste Christian de Boissieu, invité du Journal du Matin ce lundi, la guerre des monnaies est déjà lancée.

Le yuan a connu sa plus forte dépréciation depuis une dizaine d'années. Par trois fois, la Banque centrale chinoise a réduit le taux de référence du yuan face au dollar, une façon de dévaluer sa monnaie en plusieurs étapes.

Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie à Paris 1 Sorbonne et ancien président délégué du Conseil français d'Analyse économique auprès du Premier ministre, cette dévaluation monétaire est volontaire et mesure indirectement l’ampleur du ralentissement chinois.

Guerre des monnaies

"Les autorités chinoises sont légitimement inquiètes. L’arme monétaire, à savoir le taux de change, est clairement mise au service des exportations et de la croissance," indique Christian de Boissieu.

Or, dévaluer sa monnaie est une forme de concurrence déloyale. Interrogé sur une éventuelle entrée dans une guerre des monnaies, l'économiste répond que la guerre est déjà lancée depuis un moment:

"Depuis un an et demi, le Japon fait tout pour dévaluer sa devise, le yen. La Banque centrale européenne et la zone euro mènent une politique monétaire activiste depuis juin 2014, confirmée par le passage dès mars 2015 à un quantativising (faire marcher la planche à billet, ndlr), ce qui n’est pas loin de ce qu'ont fait les Etats-Unis, c'est-à-dire, créer de la monnaie pour faire baisser le taux de change. Chacun fait ce qu'il croit bon de son point de vue, mais ne tient pas compte des répercussions extérieures."

Scénario de non-coopération de la Chine

Toutes les monnaies ne peuvent pas baisser en même temps, explique l'économiste. Au moins une doit monter. "Longtemps, la devise qui montait était l’euro. Depuis un an, Pékin avait répondu aux demandes des pays du G20 de réévaluer sa devise à la hausse, puisque la Chine a des réserves de change énorme et qu'elle a un excédent extérieur. Il est donc assez normal qu'elle fasse une part de réajustement".

Mais depuis jeudi dernier, les Chinois "sont clairement dans un scénario non coopératif", juge le professeur d'économie.

Risque de sanctions commerciales des Etats-Unis

"La coopération monétaire au plan mondial n’a jamais bien fonctionné", déplore Christian de Boissieu, pour qui la réaction viendra des Etats-Unis. "La baisse du yuan, la baisse du yen japonais et la baisse de l’euro depuis juin 2014 signifient clairement la montée du dollar. Donc, il y aura un seuil de taux de change à partir duquel les Américains vont prendre des mesures de rétorsion qui ne seront pas monétaires, mais commerciales."

Le débat, qui se déplacerait du monétaire vers le commercial, serait d'autant plus compliqué dans un contexte où l'Organisation mondiale du commerce reste toujours bloquée dans les négociations.

Eviter la contagion

Christian de Boissieu tire aussi la sonnette d'alarme quant au risque de généralisation des dévaluations monétaires: "Il faut éviter que tout le monde participe à la guerre des monnaies. Ce qu'a fait la Chine, d'autres pays émergents pourraient le faire. Ce serait mauvais pour tout le monde." Et l'économiste de rappeler le scénario de 1930, qui a provoqué la montée du protectionnisme commercial.

fme

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Léger renchérissement du taux de référence du yuan face au dollar

La banque centrale chinoise (PBOC) a encore légèrement relevé lundi le taux de référence du yuan face au dollar, de 0,01. Elle signale ainsi sa volonté de stabilisation après la soudaine et spectaculaire dévaluation de la semaine précédente.

L'institution a remonté à 6,3969 yuans pour un dollar, contre 6,3975 yuans vendredi, le taux pivot autour duquel le renminbi, autre nom de la monnaie chinoise, est autorisé à fluctuer. Ce qui revient pour la PBOC à encourager l'appréciation du yuan.

Pékin continue d'encadrer étroitement la convertibilité du yuan. Celui-ci ne peut fluctuer que dans une fourchette quotidienne de 2% de part et d'autre du taux pivot déterminé par la PBOC.

Mais en dévoilant mardi dernier une soudaine dévaluation de presque 2% de ce taux de référence, ensuite abaissé de 2,6% supplémentaires environ sur les deux jours suivants, la banque centrale avait assuré vouloir rapprocher le cours du yuan de sa véritable valeur sur le marché.