1) Bouquets de brevets… et de procès
Les brevets confèrent une protection limitée aux traitements. L'objectif de leurs détenteurs est donc d'en étendre au maximum la portée et la durée. De nombreux laboratoires déposent ainsi une ribambelle de brevets secondaires, à des dates distinctes, dans des pays différents.
Beaucoup de brevets tardifs ne sont pas très forts. S’ils sont attaqués en justice, ce sont les producteurs de génériques qui gagnent dans la majorité des cas.
La plupart des médicaments sont protégés par une centaine de familles de brevets, parfois plus de 1000 pour ceux qui se vendent le mieux. Il est donc difficile pour les fabricants de génériques de s’y retrouver et de savoir où, quand et comment ils peuvent lancer leur produit. Les procédures judiciaires se multiplient et se complexifient.
Mais selon Valérie Junod, professeure de droit aux Universités de Genève et de Lausanne, "beaucoup de ces brevets tardifs ne sont pas très forts. S’ils sont attaqués en justice, ce sont les producteurs de génériques qui gagnent dans la majorité des cas – ce qui signifie donc que dans cette majorité de cas, ils n’étaient pas valables".
Effectivement, un rapport d’enquête de la Commission européenne publié en 2009, relève que "les titulaires de brevets ont conscience que certains de leurs brevets ne sont peut-être pas très sérieux".
2) Monnayer un délai
Pour prolonger la protection de leur substance, certains producteurs de médicaments originaux (encore appelés princeps) passent des accords avec les fabricants de génériques. Que ce soit par des paiements directs, ou des deals plus sophistiqués, le résultat est toujours le même: la date de sortie du générique est retardée.
Les accords de type "paiement contre délai" sont de plus en plus surveillés par les autorités de la concurrence, et peuvent coûter cher. D’autres arrangements, plus subtils, peuvent encore avoir lieu, selon Valérie Junod, "comme des arrangements qui portent sur une collaboration en matière de marketing par exemple".
3) Occuper le terrain avec ses propres molécules
A défaut de pouvoir influer sur son concurrent, une autre méthode est d'occuper le terrain avec ses produits alternatifs maison. "Pour cela, la plupart des grandes entreprises pharmaceutiques ont développé leur propre filiale de génériques, Zentiva pour Sanofi ou Sandoz pour Novartis, par exemple", explique l’économiste Josef Hunkeler.
Certains laboratoires choisissent également de préparer une molécule de remplacement, plus efficace ou plus ciblée. Ce traitement de seconde génération dont le brevet court plus longtemps est lancé en moyenne un an et demi avant la fin de la protection du médicament parent, dont il prend petit à petit la place.
4) Pressions en tout genre
La pression est par exemple mise sur les autorités responsables de l’autorisation de commercialisation – en dénigrant la sûreté, l’efficacité ou la qualité du générique qui demande une autorisation de mise sur le marché. Le rapport d’enquête de la Commission européenne publié en 2009 chiffre ainsi que "les autorisations de mise sur le marché ont été accordées en moyenne quatre mois plus tard lorsqu'il y avait eu intervention du laboratoire de princeps".
Des pressions sont aussi exercées sur les médecins pour qu’ils ne prescrivent pas les génériques. Sanofi a écopé d’une amende de 40,6 millions d’euros en 2013 pour avoir dénigré les génériques de son médicament Plavix, quatrième médicament le plus vendu au monde. L’autorité de concurrence française avait estimé que Sanofi a mis en œuvre une stratégie de communication auprès des médecins avec l’objectif "d’enrayer le processus de substitution générique".
Des pressions politiques existent également de la part des pays abritant les multinationales pharmaceutiques envers ceux qui tentent d’avoir une politique d’octroi du brevet plus souple. C’est le cas de la Suisse, comme en témoigne cette lettre envoyée par le Secrétariat d’Etat à l’économie au Ministère de la santé colombien le 26 mai 2015, dans laquelle la Confédération défend les intérêts de Novartis.
Interrogé sur le coût investi dans ces stratégies, Novartis répond "comprendre et reconnaître l’importance des génériques une fois que le brevet est échu. Mais nous devons aussi être préoccupés par la reconnaissance et la protection des droits régissant la propriété intellectuelle, qui aident à maintenir et à faire avancer la recherche et développement dans le secteur pharmaceutique".
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Natalie Bougeard